Depuis quelques mois je m’essaye à une discipline subtile et délicate, la philosophie comparée, en espérant travailler avec des professeurs et des chercheurs que je rencontre, de-ci de-là. La philosophie comparée, pour ma part des philosophies bouddhiste et occidentale (surtout antique et contemporaine), est un art ardu, car il demande une très bonne connaissance de deux mondes radicalement différents, un point de vue aussi indifférent que possible ce qui est totalement impossible puisque celui qui écrit a forcément été élevé au sein d’une des cultures, un jeu subtil des langues et une prudence à toute épreuve dans la pensée. Bref, c’est difficile, d’autant plus que cette discipline est contestée par certains, y trouvant plus de désagréments que d’avantages. Mais la philosophie comparée fait partie d’une volonté, aujourd’hui possible dans notre Village planétaire, de trouver une voie (ou même une voix) quasi unique dans la quête philosophique et spirituelle, comme si une pensée primaire (comme les linguistes évoquent une langue primaire, première) pouvait se dégager de toutes les pensées, métaphysiques, logiques, transcendantales que l’humanité a bien pu produire sur cette terre depuis sa naissance. Les mathématiques sont bien un langage universel… n’existerait-il pas une même Vérité, unifiée, à propos de l’humaine condition ? En tout cas, ce pari m’a toujours fasciné et mes nombreux voyages comme mes tout aussi fatiguantes études me poussent, inlassablement, dans cette direction. Rien ne peut m’y soustraire, et ce n’est pas, à présent que j’appréhende et expérimente avec joie les philosophies orientales, l’heure de me défaire de ma passion 🙂
Voici quelques exemples de mes réflexions, à la suite de ma lecture de l’être et le néant de Sartre. Je n’aime pas Sartre, trop mondain à mon goût, trop fumeux, pompeux, mais je dois avouer que ces préjugés ne sont fondés sur aucune connaissance sérieuse de son œuvre… shame on me. A la suite d’un article de Françoise Bonardel sur les liens (possibles ?) entre Sartre et le Zen (« Existence et vacuité selon Sartre et le bouddhisme Zen », in Bouddhsime et philosophie , l’Harmattan, 2008), je me suis dit qu’il fallait mettre le nez là-dedans. Cela rejoint parfaitement mes « réflexions » personnelles du moment.
Sartre, p. 56 (L’être et le néant, édition Gallimard: « Le néant, s’il n’est soutenu par l’être, se dissipe en tant que néant, et nous retombons sur l’être. Le néant ne peut se néantiser que sur fond d’être : si du néant peut être donné, ce n’est ni avant ni après l’être, ni, d’une manière générale, en dehors de l’être, mais c’est au sein même de l’être, en son cœur, comme un ver. »
Le néant, le vide du monde, l’illusion, la douleur, la négativité du monde se trouvent dans l’être du monde, dans la positivité, la réalité telle que nous la vivons. Il n’y a pas un “néant extra-mondain” qui nous faciliterait la tâche, nous rendrait plus calme, semblerait éloigner la peur de la néantisation du monde. Le vide est dans la vie, le temps, le monde, le flux et ce n’est pas une autre face du monde, c’est, avec l’être du monde, le monde lui-même : il n’y a pas de dualité, d’opposition qui encore une fois nous permettrait de comprendre ce qui est, ce que nous sommes, ce qui nous fait peur. Le néant est ce qui permet de définir l’être, car il est le moyen de poser les limiter, de cerner les choses qui font le monde. La négation (ceci n’existe pas) est la seule limite, dessine les contours du réel positif, sinon il n’y aurait qu’une réalité extra-positive qui étoufferait le monde et l’humain. Le néant est donc l’unique condition de l’existence du monde. Le souci est que cette constatation a du mal à passer, à être acceptée car elle choque : comment le non-être pourrait-il participer de ma vie, de ma joie et de mes douleurs, de la construction de ce monde-là ? Cette idée, cette appréhension du néant conduit à l’angoisse du monde (Kierkegaard, Heidegger) : car le néant est une néantisation du monde ; est-ce à dire que cette néantisation est une destruction du monde ? Le dernier mot de cet extrait me paraît être le plus important et soutenir ici toute la difficulté de la métaphysique actuelle : le néant est-il comme un ver dans le fruit de l’être, si positif, si charmant ? La vision négative du néant et de la négation n’est-elle pas se qui est à la source de l’angoisse et des douleurs de notre monde moderne ? Si le néant est la condition de l’être, peut-on oser le juger comme un parasite ? puisque si le néant n’était pas (c’est drôle, puisque justement le néant est ce qui n’est pas!) l’être ne serait pas. Rejeter le néant c’est rejeter l’être et croire, faussement, qu’il est possible de trouver un être-en-soi autonome et non contaminé. Quel fascisme ! Un être pur ? Il faudrait apprendre à changer sa vision et voir à partir du néant, comme la seule chance qui nous reste pour entrer dans le monde du bon côté, stopper les douleurs et les souffrances, car où l’être fixe et attache, le vide vous apprend que le monde est un mouvement, qui rien n’existe vraiment et qu’il vaut mieux s’en détacher pour ne pas être paralysé par les larmes.
PS : je sais que je suis très loin de la ligne du Parti (le nihilisme rigolo), mais je ne peux pas m’en empêcher, il faut que j’écrive des trucs sérieux… désolé 😦