En ce mercredi après midi pluvieux, mais néanmoins très doux, où mes arbres du voisinages ont perdus tout leur plumage, me voilà embarquée dans une nouvelle (encore une) réflexion philosophique. J’aime particulièrement enseigner l’histoire du programme de 6e, car il est entièrement consacré à l’Antiquité. Même si le nouveau programme essaye de nous emmener jusqu’à Charlemagne… ce qui me semble particulièrement difficile à tenir comme promesse. Voilà pourquoi aussi je ne veux pas aller enseigner au Lycée : qu’ais-je à faire de l’histoire contemporaine, presque du journalisme, qu’on essaye de nous faire passer pour de l’Histoire 😉 de toute façon, dans quelques années il ne sera plus nécessaire de se poser se genre de question. Bien que médiéviste de cœur, cette passion-là, adolescente, à mal vieillit ; par contre mon enthousiasme pour l’Antiquité perdure. L’Antiquité de l’Iliade que je vais encore demain matin, avec toujours autant de délice, raconter à des gamins aux yeux écarquillés devant les exploits d’Achille ; l’Antiquité de Jean-Pierre Vernant, le spécialiste de la Grèce et de mes professeurs de l’Université qui m’ont fait découvrir un monde magique ; l’Antiquité de Delphes, de l’Acropole, du Colisée, de ces monuments, de pierres ou de papier, qui nourrissent encore (un peu ?) notre monde.
Tout ça pour me rendre compte que je ne suis pas du tout la seule à aimer l’Antiquité, et surtout à y revenir quoiqu’il se passe, comme une partie du connu, un endroit chaleureux, accueillant, où je connais tout le monde, où je me sens chez moi. Mes lectures depuis des années, que ce soit des philosophes comme Pierre Hadot, Michel Foucault, Michel Onfray, ou même et surtout Nietzsche, Schopenhaeur, Cioran, etc… ou des historiens, me prouvent que cette patrie est aussi celle de ceux qui veulent (re)trouver leur identité. Je n’utilise pas ce mot sans raison… il ne s’agit pas de relents passéistes… rien de cela. Mais au contraire, une prise de conscience, fulgurante et éclatante, que depuis 2000 ans on se trompe de route, qu’on se goure absolument de voie, qu’on est dans la panade ! Plus j’étudie, plus je compulse, plus j’apprend, et plus mon dégoût et ma répulsion pour la Chute monothéiste devient radicale. Déjà Cioran mais aussi tous les pessimistes, les sceptiques et autres cyniques me montraient l’ouverture. Mais aujourd’hui je laisse définitivement tomber la plus petite possibilité qu’il y ait quoique ce soit de bon à aller chercher dans toute « religion » qui se dirait révélée, fondée sur un livre sacré et adorant un Dieu absolu(tiste). Alors comme tous ces autres, que certains qualifient de damnés, de perdus pour la science, de marginaux, car ils refusent de penser l’inutilité et la bêtise des monothéismes, je retourne en Antiquité. Là l’herbe est fraîche, le pain est doux et la vie est tranquille. Là, il n’y a pas d’Absolu, il n’y a que la Vie. La philosophie ne cherche pas à savoir si Dieu existe ou si une métaphysique est possible : pas de Hegel sentencieux qui crie sa famine intellectuelle, pas de Descartes à l’arrogance famélique, mais juste la vie de tous les jours, comment être humain, comment être heureux.
Il faut revenir à l’Antiquité, celle des Ecoles, des maîtres, qui apprenaient à bien vivre : une vision du monde + une pratique de vie, le tout dans un même packaging attrayant. Peu importait en réalité l’Ecole que l’on suivait, ce qui était nécessaire c’était d’appliquer à son existence sa vision du monde, de pratiquer la philosophie, comme aujourd’hui seul se pratique le bouddhisme. Il faut relire les cours de Michel Foucault au Collège de France quand il revenait au « souci de soi ». Il faut suivre aujourd’hui la pensée de Pierre Hadot qui nous montre de nouveau tout cela. Il faut même écouter les envolées lyrique de Michel Onfray qui, bien qu’un peu trop dandy à mon goût, part d’une bonne intention. Pourquoi aller chercher dans des minarets ou des églises un soir de Noël, ce que les Grecs, les Latins, les Perses ou les Phéniciens avaient compris depuis belle lurette ? S’il y a bien une « identité » humaine, de civilisation, parallèle à celles par exemple de l’Asie, ce n’est que celle-là.
Ainsi, je me suis redécouvert une passion pour les libertins, ceux qui pensent par eux mêmes, les méchants ! Pas seulement ceux de la fin, du XVIIIe siècle, les Casanova et les Don Juan, même si je relis Choderlos de Laclos et surtout même si je pratique moi-même avec délice ce libertinage là ;-). Le libertinage philosophique aussi, celui de Théophile de Viau, un de mes poètes préférés, de Cyrano, de Giordano… Je me suis acheté l’ouvrage de Didier Foucault, Histoire du Libertinage, des Goliards ou Marquis de Sade chez Perrin, et je compte bien le lire pendant les vacances.
Les libertins du monde monothéiste ne seraient-ils pas les descendants des hommes de l’Antiquité ? Ceux qui assument la vie humaine telle quelle est, faite de passion, d’amour, d’un corps ardent et d’un esprit parfois délirant. Le monde dans lequel nous vivons est en révolution ; peut-être est-ce le bon moment pour devenir libertin, revenir à l’Antiquité, oublier les 2000 ans qui viennent de passer et construire ce monde, dont je rêve très souvent, de tolérance spirituelle, de richesse intellectuelle et artistique qui aurait été le nôtre si deux ou trois fous de Dieu n’avaient pas surgit … inopinément… Fatal Error.
Temple-Tholos de Delphes. Le monument antique qui a pour moi une force symbolique extrême. J’ai passé des heures entières, jeune étudiante, à rêver devant les photographie ces pierres (restaurées). Quand je suis allée en Grèce, à 20 ans, la visite de Delphes a été le summum, le compréhension, depuis maintes fois répétées, de l’importance de certains lieux dans nos histoires individuelles. Delphes… mais c’est le centre du monde… l’omphalos… qui en douterait !