Nos émotions sont les réactions, instantanées et inconscientes, à des situations données, extérieures ou intérieures. La plupart du temps elles débarquent dans la seconde et nous ne pouvons que les supporter, passif. Le bouddhisme et la psychanalyse donnent des outils pour les observer et s’en libérer. Il faut tout d’abord comprendre que les émotions (en tibétain, ce mot comprend également les pensées), en fait tout ce qui agit et réagit dans notre esprit, sont la plupart du temps la source de nos souffrances. On s’y attache ou au contraire on voudrait les voir disparaître, et dans ces états d’esprit on n’est pas soi-même, mais un pantin régit par des réactions non maîtrisées. Quand on commence à s’observer, on peut voir les émotions et les pensées courir dans la tête, nous faire leur cinéma, la confusion qui nous prend, la moutarde qui monte au nez ou au contraire la joie illusoire qui sera perdue la seconde suivante. Rien de fiable, de stable. Quand on les observe, qu’on les pointe juste d’un coup d’esprit, juste une plume sur l’émotion ou la pensée qui nous traverse, elles perdent de leur force, de leur puissance sur nous.
Je suis entrain de lire un livre très intéressant sur les émotions, Surmonter les émotions destructrices, de David Coleman. C’est en fait un livre dont la forme est très étrange : il s’agit de la collection de conférences faites à Dharamsala, en présence du Dalaï-Lama en 2000 dans le cadre de l’Institut Mind and Life qui explore les liens entre neurosciences, techniques bouddhistes, psychologie et psychanalyse. Des moines dont Matthieu Ricard ou Yongey Mingyour Rinpotché (Le Bonheur de la méditation ) ont participé ainsi à des expériences futuristes où placés dans un IRM les scientifiques leur demandent d’entrer en méditation pour pouvoir analyser leurs cerveaux. Les conclusions de ce genre d’expériences sont stupéfiantes et il apparaît que les neurosciences confirment ce que les expériences spirituelles bouddhistes mais aussi les pratiques de la psychanalyse apportent de guérison ou tout simplement de bien-être à l’esprit. Il semble que le cerveau soit bien plus malléable que ce que l’on croyait : on a pensé pendant longtemps qu’à partir de l’âge adulte on ne fait que perdre des neurones alors qu’en fait la plasticité cérébrale est étonnante ; et surtout que l’on peut le transformer, changer ses états d’âmes, faire œuvre d’alchimie !
Pour cela il faut savoir jouer et maîtriser les émotions. Changer son esprit passe inévitablement par cette lutte qui ne doit jamais être une guerre.
Avec un certain entraînement on peut arriver à voir l’émotion perturbatrice, comme la colère, la tristesse, la rage, dans la seconde où elle se déclenche. On peut alors la juguler, seulement en la regardant. La connaissance de soi est indispensable, puisqu’ainsi on est plus au fait de nos propres tendances : tel est colérique, l’autre est plutôt envieux, chacun doit apprendre à connaître son panel de confusions mentales. Ensuite on sait mieux dans quelles situations données on réagit le plus vite, le plus fort, le plus mal. On se rend compte que cela tourne toujours autour de quelques grands motifs, toujours les mêmes douleurs, les mêmes poisons, et surtout les mêmes sources, les mêmes causes. La psychanalyse complète ce travail, par la prise de conscience de nos refoulements, de nos névroses, par la mise à plat de tout ce qui, dans notre passé, nous amène aujourd’hui à réagir de telle façon face à telle situation. Mais la connaissance de soi ne suffit pas. Elle va de pair avec une forte conscience du monde tel qu’il est, de la Réalité. Les émotions confuses nous viennent souvent d’une mauvaise appréciation de la réalité de la situation : on interprète sans cesse, continuellement, ce qu’il/elle m’a dit, pourquoi il/elle me fait cela, pourquoi telle chose m’arrive à moi, etc… La Réalité du monde, des actes des autres, de nos propres actions est souvent très éloignée de ce que l’on croit être. Se connaître soi-même pour connaître les autres et le monde ! N’est-ce pas ce que dit l’inscription de Delphes ?
L’autre qui vous blesse, est un être perdu comme vous qui cherche aussi le bonheur et ne veut pas souffrir, qui a ses propres rêves, ses fantasmes, sa volonté de puissance. Au lieu de réagir dans la seconde par de la colère ou de la tristesse ou même de la joie quand on vous fait du bien, mieux vaut dans la même seconde poser la situation dans la Réalité, la regarder de près, se regarder de près, observer quelles sont les tendances qui nous poussaient jusque là à inter-agir d’une façon toujours identique, et à changer cela. Parce que nos tendances, nos émotions vibrantes, ne sont pas nous… c’est le conditionnement de notre société, de notre éducation, la force d’imprégnation de notre famille, les conventions sociales de notre culture… rien de nous-mêmes, être libre. Se défaire des émotions destructrices, de celles qui ne font rien avancer mais nous immobilisent dans les gouffres de l’humaine condition, c’est juste ne plus souffrir, et c’est cela le bonheur.
Image tirée de centreparamita qui représente la voie de la méditation et du calme mental. L’éléphant est l’esprit qui au début du voyage est mené par le singe qui représente les émotions, la confusion mentale, l’ego … tant que le singe est devant l’éléphant, l’esprit est confus, non maîtrisé, perturbé, il souffre. Petit à petit le méditant dompte le singe et l’esprit se purifie : l’éléphant devient de plus en plus blanc. Puis un jour, c’est l’esprit qui guide le singe, l’esprit est devenu libre, maître chez lui…
J’aime particulièrement ces images… elles ne sont pas si fréquentes que cela. La seule que j’ai pu voir était dans un monastère du Ladakh.