Histoire perse

Cette nuit c’est Schubert… encore et toujours, surtout par une nuit d’hiver froide et sèche. Le calme est partout, personne dehors par ces températures polaires. L’hiver nous mine : en décembre on était content de cette neige qui nous rappelait le « bon vieux temps » où les hivers étaient des vraies saisons, plus comme maintenant, hein ma bonne dame… mais là nous sommes tous fatigués. Ma voiture la première, qui n’a pas voulu démarrer ce matin. Ce n’est décidément pas ma semaine… trop de choses négatives que j’ai tendance à lier à mon état d’esprit négatif. Non pas que je prenne les choses négativement, mais ce qui m’arrive en ce moment – et une telle série de faits si chaotiques ne m’était pas arrivée depuis des lustres – arrive justement parce que mon état d’esprit est chaotique. C’est, je pense, cela le karma : la fabrication de faits, d’actes issus d’une mauvaise appréciation de la réalité. Car le problème juste là ce n’est pas les collègues qui me soûlent, le rhume qui me paralyse, ou la voiture qui me fait défaut… le souci est qu’en ce moment je n’arrive pas à voire les choses telles qu’elles sont. Trop ancrée dans la conscience illusoire, dans le chaos de ma confusion mentale la plus primaire, dans l’instant émotionnel et pas dans l’instant ouvert sur la réalité, je crée des actes qui me plongent encore davantage dans l’émotivité destructrice. La batterie de la voiture : je savais depuis plusieurs jours qu’elle faiblissait… je le savais. Le rhume : je l’ai senti venir. La colère contre les collègues : je l’ai provoquée et surtout je l’ai prise au premier degré, je l’ai macérée, je l’ai bien machouillée et je ne l’ai pas observée juste comme ce qu’elle est, une simple brise qui déjà s’était envolée à la minute où j’étais rentrée chez moi.

D’où l’intérêt de vivre « dans le monde ». Hier après midi, en essayant de rester éveillée, j’ai écouté le podcast d’une émission de France culture, celle de Frédéric Lenoir, directeur du Monde des Religions, qui passe le mardi soir : les Racine du Ciel . L’émission traitait de la méditation vipassyana, pratiquée surtout dans le bouddhisme theravadin et en particulier birman, par les moines de forêts… je passe, si cela vous intéresse, écoutez l’émission ! Mais à un moment, on raconte un conte philosophique perse à propos de deux frères jumeaux: l’un s’est fait ermite, anachorète et l’autre est devenu boutiquier, il vend des tissus colorés dans les bazars d’une ville d’Iran. Un jour, l’ermite tout fier de ses pouvoirs spirituels fait envoyer à son frère une braise dans un coton qui ne brûle pas. Miracle ! Le frère boutiquier envoie alors une lettre à son jumeau solitaire pour le féliciter de sa réalisation spirituelle et l’invite à venir le visiter en ville. L’anachorète quitte son sanctuaire et se rend chez son frère : quand il arrive dans sa boutique, il voit des femmes qui lui sourient, l’aguichent, rient avec lui… le moine sent son cœur, son corps se transporter de désir… et à ce moment là le précieux coton s’enflamme de la braise qui ne se consummait pas. Le frère boutiquier ne fait aucune remarque et à son tour pose sur le comptoir une passoire remplie d’eau… qui ne se vide pas. C’est son miracle à lui… sa réalisation spirituelle. Quand les femmes entrent dans sa boutique, il rit avec elles, s’amuse et papote, mais l’eau dans la passoire reste imperturbable. La morale de l’histoire ? Il est toujours facile d’aller trouver l’accomplissement de soi au sein des solitudes des montagnes ou des déserts, de ne jamais se frotter aux désirs, aux plaisirs, aux illusions de ce monde… mais quand arrive la tentation, alors plus rien n’est stable. Par contre, il est beaucoup plus difficile d’obtenir la réalisation et la liberté dans le monde, car le chaos nous entoure, les distractions sont grandes, les illusions sont partout et les autres sont parfois comme des vautours, le chemin est plus long et rude… mais quand l’objectif est atteint il est bien plus stable. Comme Marpa ou Milarépa, vivre aux côtés des citoyens de ce monde… mais alors pourquoi le monachisme est-il autant mis en valeur tant dans le bouddhisme que dans le christianisme ?

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