Cette phrase si célèbre de Nietzsche tiré du Gai Savoir, m’a toujours laissé perplexe, et je pense que je ne suis pas la seule dans cette situation. En effet, il s’y trouve un paradoxe spatio-temporel : « devenir » est un verbe très héraclitéen, c’est un mouvement, une ascension parfois, un pont qui va vers une potentialité. Par contre, « être », bien plus parménidien, rappelle la fixité de l’existence, de l’un-tout immobile. Nietzsche nous enjoins donc de se mettre en mouvement, d’entrer dans le flux du devenir pour aller vers la fixité de l’Etre. Voilà pour le paradoxe temporel. Qu’en est-il du paradoxe spatial ? Le verbe « devenir » implique une antériorité spatiale : un point de départ qui se trouve très vite derrière nous quand le mouvement advient. On vient… vers une situation qui serait déjà. Je suis déjà, bien avant de devenir. Pourtant, ici, l’être n’existe pas tant que le mouvement n’est pas réalisé. L’être n’est donc pas évident, mais bien potentiel, il n’est que puissance, déterminée uniquement par une volonté, car devenir se décide.
Deviens ce que tu es, certes. Encore faut-il agir pour construire cet être. Il y a également dans la citation nietzschéenne un brin de socratisme : pour devenir ce que l’on est, encore faut-il savoir qui on est ! Connais toi toi-même donc. Le souci est que l’on aurait tendance à s’arrêter à cette unique étape. La Connaissance comme action. Ce n’est pas la vision de Nietzsche, bien sûr. Et c’est là que réside toute l’énorme difficulté de la mise en pratique essentielle de sa maxime. Le devenir est une action, s’il ne veut pas rester qu’un potentiel. La connaissance de soi ne suffit pas. Il faut se retrousser les manches, faire advenir en soi cette puissance que l’on a pu déceler.
Je crois que je me suis bien trop attardée sur la connaissance de moi-même. J’ai bien arpenté ces chemins assez rassurants de mes jardins fleuris, mystiques ou philosophiques. Mais aujourd’hui, il advient que le potentiel est en train de mourir. Il faut faire coïncider la connaissance et l’action. Comment ? Comment faire pour être vraiment ce que la Nature, comme la décrit les stoïciens la décrivent, cette nature panthéiste fait de moi. Un être divin ? Un simple être humain. Mais ceci est exactement la même chose. La peur à être, la peur à réaliser cette puissance de vie m’a visiblement assez freiné. J’espère être aujourd’hui capable d’enfin revêtir ce nouveau costume.