2-La réactivation du projet au tournant des années 2000
Le 25 juillet 2000, à 16h44, le vol Air France 4590 du Concorde, reliant Paris à New York, s’écrase au décollage après seulement quelques minutes de vol, sur un hôtel de la petite ville de Gonesse, qui se situe juste au bout des pistes de l’aéroport de Roissy. L’accident fait 113 victimes dont les 100 passagers et membres de l’équipage. C’est surtout une catastrophe symbolique, touchant le plus mythique des avions modernes et qui met fin, prématurément sans doute, à l’exploitation commerciale du Concorde.
Cette tragédie ravive des peurs et des angoisses, en particulier à Nantes. En effet, puisque le projet de Notre Dame des Landes ne s’est pas fait, c’est l’ancien aéroport de Château-Bougon, devenu aéroport de Nantes Atlantique en 1988, qui a pris le relais et qui a absorbé le trafic passager et de fret de la région. Il est situé au sud-est de l’agglomération nantaise, sur les communes de Bouguenais et de Saint-Aignan-Granlieu. Il possède toujours qu’une piste, de 2900 mètres, orientée nord-est/sud-ouest, c’est-à-dire directement face au centre ville de Nantes.
Cette situation génère deux énormes problèmes : les nuisances sonores pour les riverains de l’infrastructure et la risque d’accident comme avec le Concorde car les avions, à l’atterrissage, survolent à basse altitude l’agglomération, des zones densément peuplées et des bâtiments sensibles comme un hôpital.
Le décret n° 2001-705 du 31/07/2001 a inscrit l’aéroport de Nantes Atlantique parmi ceux sur lesquels l’Autorité de Contrôle des Nuisances Sonores Aéroportuaires (ACNUSA) a des compétences élargies (10 aéroports en France) : 42 000 personnes seraient impactées par les nuisances sonores[1].
De plus, l’aéroport actuel est implanté à proximité du Lac de Grand Lieu, site protégé Natura 2000 et réserve naturelle, et à moins de 10 kilomètres de la vallée de la Loire. La question de savoir si l’aéroport de Nantes Atlantique est une nuisance pour ces sites naturels ou alors un moyen de les préserver en les retirant de la pression immobilière, est une question centrale dans ce sujet.
Il n’empêche, les Nantais peuvent voir tous les jours des avions, voler bas au dessus de leurs têtes, en plein centre-ville, au-dessus du château d’Anne de Bretagne, et il est certain que le risque zéro n’existant pas, même pas pour un des avions les plus modernes à l’époque, la question du transfert de l’aéroport du sud de Nantes vers le site de Notre Dame des Landes est ressorti des cartons.
En effet, le 25 mai 2000, le préfet de Loire Atlantique fait savoir à Jean Marc Ayrault, député maire socialiste de Nantes, qu’un Plan d’Exposition au Bruit (EPB) concernant l’aéroport de Nantes Atlantique est notifié. Cet EPB a une telle extension spatiale qu’il interdit toute nouvelle construction à l’ouest de l’île de Nantes. Or, cette intervention coïncide avec les projets nantais de renouveau urbain, en particulier justement autour de l’Ile de Nantes : les friches industrielles du passé doivent alors laisser place à de nouveaux quartiers, à des projets culturels et urbanistiques qui vont permettre à la ville de changer son image d’espace en déclin industriel.
Il est probable que des tractations en coulisses ont eu lieu à ce moment pour sauver le développement de l’île de Nantes, projet phare de l’agglomération, se débarrasser d’une « verrue » bruyantes, aux portes de la ville et sans doute épargner le conseil général de Loire Atlantique (tenu par la droite), propriétaire des terres de Notre Dame des Landes et qui pourra se targuer de la paternité du futur aéroport. Dans le même temps, la métropole de Rennes qui verra son aéroport Saint Jacques périclité avec la montée en puissance du grand aéroport de l’Ouest obtient, en dédommagement, une ligne TGV Paris-Rennes.
C’est alors que, le 26 octobre 2000 sous le gouvernement de Lionel Jospin, la décision du Comité interministériel de « réaliser un nouvel aéroport, en remplacement de Nantes-Atlantique, sur le site de Notre-Dame-des-Landes afin de valoriser la dimension internationale et européenne des échanges de l’Ouest Atlantique » a ouvert la phase d’études. De nouveau, il s’agit d’une intervention étatique, gouvernementale, qui se préoccupe semble-t-il moins de développement local que d’attractivité internationale. Le contexte de toute façon n’est plus le même que dans les années 70. La décentralisation a connu son Acte I en 1982 et le début des années 2000, sous le gouvernement socialiste de Lionel Jospin, est celui de l’Acte II. C’est pourquoi, dans cette renaissance du projet de Notre Dame des Landes, les collectivités locales et les élus vont être partie prenante et intégrés au projet.
C’est ainsi, qu’en janvier 2002, un syndicat mixte d’études est crée, pour pouvoir piloter le projet, non plus seulement depuis les ministères. Le but de ce syndicat était à l’origine de permettre aux collectivités territoriales, « associées au projet de transfert de l’Aéroport de Nantes Atlantique sur le site de Notre Dame des Landes », de pouvoir « se doter d’une structure partenariale pour engager un dialogue étroit et permanent avec l’Etat, maître d’ouvrage, et avec l’ensemble des territoires impactés par la réalisation de la future plateforme aéroportuaire. »[2]
On voit donc alors se lever les élus locaux qui ne veulent plus être les simples exécutants d’une volonté venues d’en-haut, mais bien prendre part aux discussions, aux études d’un projet qu’ils soutiennent, mais qui aura des impacts non négligeables sur leurs territoires.
« Cette structure de coopération inter-collectivités se veut à la fois complémentaire de la procédure menée par l’Etat et un lieu de concertation, de dialogue et de consensus entre les collectivités territoriales concernées, leurs élus, partenaires et les populations, dans leur rapport au maître d’ouvrage. »[3]
A sa création en 2002, le syndicat mixte était composé de 15 collectivités territoriales :
- les deux régions des Pays de la Loire et de la Bretagne
- les six départements d’Ille-et-Vilaine, Loire-Atlantique, Maine-et-Loire, Mayenne, Morbihan, Sarthe et Vendée
- six agglomérations et intercommunalités dont les villes de Rennes, Nantes et Saint Nazaire.
Les compétences de ce syndicat sont explicitées dans les statuts :
Article 4 de l’arrêté : « Ce syndicat a pour objet de procéder[…] à la réalisation d’études préalables à l’aménagement du site et à la création du nouvel aéroport de Notre-Dame-des-Landes […] en particulier ces études pourront porter sur l’aménagement spatial du site, la desserte routière de la plate-forme, la desserte de l’aéroport par transport ferroviaire de Nantes et Rennes et du sud Bretagne, l’impact agricole du site, l’impact économique et financier du site et de son environnement immédiat. »
En même temps que ce mouvement de réactivation, piloté par l’Etat avec le soutien des collectivités et des élus locaux, les opposants au projet se réveillent eux aussi. En 2000, l’ADECA devient l’ACIPA, l’Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet de l’aéroport. C’est une association loi 1901 composée au départ de seulement 9 personnes (dont seulement un membre fondateur était agriculteur), riverains du projet. Selon les statuts de l’association, elle a pour objet :
« – de s’opposer au projet de création d’une plate forme aéroportuaire à Notre Dame des Landes (Loire Atlantique) ;
– d’informer les adhérents et la population des zones concernées par ce projet, y compris sur les équipements connexes nécessaires à cette réalisation (aménagements routiers et ferroviaires, constructions diverses…) ;
– de faire prendre conscience de toutes les transformations qui en découlent, aussi bien pour les zones urbanisées que pour les espaces ruraux ;
– de contribuer et de participer à la réflexion sur le développement du transport aérien au niveau régional en particulier dans une perspective d’aménagement humain du territoire, et de défendre les intérêts tant matériels que moraux de ses adhérents, ainsi que ceux de la population concernée par le projet ;
– d’une manière générale d’agir pour la sauvegarde de ses intérêts dans le domaine de l’environnement et de l’aménagement harmonieux du territoire. »
Il semble que c’est à ce moment de l’histoire du projet que les choses se compliquent, avant tout par manque de discussion entre les parties prenantes. Les élus locaux et nationaux, sûrs de leur bon droit et de la nécessité de cet aéroport, ont tout mis en œuvre pour que le projet soit réactivé et réalisé. Ils ont agit comme leurs prédécesseurs avaient agit à la fin des années 60 : les décisions sont prises par les représentants au pouvoir ; la nouveauté dans les années 2000 est d’inclure dans le processus de décision des élus et des collectivités territoriales locales (région département, communes). Mais il apparaît que, dès cette époque, faire fi des attentes et des demandes des citoyens, des riverains, des professionnels de la terre n’est plus possible. La façon de procéder, qui avait été celle de l’Etat centralisé et que les collectivités locales, imitant ce que tout le monde connaissait, ont également mis en œuvre sur leurs territoires, n’est plus acceptables par une partie des habitants, non seulement de l’espace impacté mais bien au-delà. On voit bien que ce manque de concertation, de discussion, de pédagogie même est au cœur des objectifs de l’ACIPA. Il s’agit d’ « informer », « de faire prendre conscience », « de contribuer et de participer », « d’agir » : il existe bien un axe double qui, du point de vue des adhérents et des populations locales, va à la fois vers la recherche de connaissances, d’informations autour du projet, ce qui prouve qu’ils en manque ; et vers la volonté d’agir, de participer, de prendre part à ce projet, non pas seulement par une opposition systématique mais également par la réflexion en amont, mitoyen à ce projet qui apparaît donc comme accaparé par des élus, des techniciens, des agents du secteur privé qui ne sont pas légitimes pour décider seuls de l’avenir du territoire.
On sent bien également la volonté du syndicat mixte, et donc des collectivités qui y participent, d’aller le plus vite possible dans ce dossier, non seulement pour que les résistances s’éteignent de même mais surtout pour permettre une réalisation la plus rapide et donc une mise en place des autres projets urbains nantais concomitant. Car le projet de l’aéroport de Notre Dame des Landes devient alors bien plus vaste : c’est tout un espace qu’il faut aménager, desservir par la route et le train, le TGV peut-être, des liaisons qu’il faudra assurer entre le site, Rennes et Nantes, et qu’il faudra construire ex nihilo. Quand le syndicat mixte parle d’ « aménagement », l’ACIPA elle parle d’ « impact » ; quand le syndicat nomme des projets matériels à vocation économique, l’ACIPA répond en terme « d’aménagement humain du territoire », « de défendre les intérêts tant matériels que moraux de ses adhérents », « l’aménagement harmonieux du territoire ». On se trouve bien face à deux logiques différentes : l’une rationnelle, envisage avant tout l’aménagement comme un moyen de développement économique d’un territoire où les choix urbains dominent ; l’autre considère le territoire dans sa globalité, utilise des termes plus philosophiques qu’économiques, veut mettre l’humain au centre des préoccupations. Se pose alors la question : l’aménagement est l’affaire de qui ? L’évidente réponse qu’il serait l’affaire uniquement des élus et des techniciens n’est plus de mise. Les habitants veulent à présent avoir à faire avec ces enjeux qu’ils considèrent comme les concernant en premier lieu et de manière importante. Les acteurs de l’aménagement territorial ne sont plus seulement que les élus et les collectivités territoriales, eux qui déjà avaient pris en main cette compétence, déléguée par l’Etat lors des premiers temps de la décentralisation.
Il n’empêche, il faut aller vite. Les lois de l’Acte II de la décentralisation, en 2004, en particulier celle sur les Libertés et responsabilités locales, transfèrent plusieurs compétences de l’Etat vers les collectivités locales, dont les ports et aéroports. De même, les débats publics concernant les grands projets d’aménagement sont rendus obligatoire. Pour le projet de Notre Dame des Landes ils sont organisés entre 2002 et 2003. Pour ce faire, la Commission nationale du Débat public nomme une commission particulière autour du projet du futur aéroport, présidée par Jean Bergougnoux, ancien patron de la SNCF. Elle fait le lien entre le maître d’ouvrage, qui à l’époque est encore l’Etat par l’intermédiaire du Ministère de l’Equipement, des Transports, du Logement, du Tourisme et de la Mer et de la DGAC (Direction générale de l’Aviation Civile), et le « public » qu’il soit des élus locaux, des habitants de la région, des riverains. Cinq réunions publiques ont eu lieu à Nantes, à Rennes, à Notre Dame des Landes, un site internet a été mis en place qui rassemble toute la documentation, les études, les dossiers mis à disposition de tous (http://cpdp.debatpublic.fr/cpdp-aeroport-ndl/sommaire.htm). La commission a en charge d’organiser ces rencontres mais aussi de centraliser les questions qu’elle reçoit directement, par internet ou par voie postale. Au vu de cette demande d’information, une expertise complémentaire au dossier déposé par le maître d’ouvrage a été réalisée par un bureau indépendant.
Au débat public succède une enquête d’utilité publique entre 2006 et 2007, décidée par le ministère de l’équipement et des transports. Cette enquête est nécessaire pour l’obtention d’une Déclaration d’Utilité publique (DUP) pour pouvoir commencer les travaux. La commission d’enquête était présidée par Thierry Flipo, urbaniste, et elle était composée de différents experts, ingénieurs, géographes, et de citoyens ordinaires. La commission a rencontré :
– le 11/01/2007 :
- L’ADECA
- La Confédération Paysanne
- La Chambre d’agriculture
– le 6/02/2007 :
- Bien Vivre à Vigneux
- L’ACIPA
- Solidarité Ecologie
– le 21/02/2007 :
- L’ACIPRAN
- La CCEG et le SIVU de l’aéroport de NDDL
– Le 15/03/2007 :
- Les porteurs du projet (services de la Préfecture, DRE, DDE, DDAF,
DIREN, DGAC…)
- Monsieur Michel BENOIT en sa qualité d’ancien directeur de l’aéroport.[4]
Elle rend son rapport et son avis en avril 2007 à la préfecture de Loire Atlantique. Il s’avère que « La commission d’enquête a émis un avis favorable à l’utilité publique du projet d’aéroport de Notre Dame des Landes et de sa desserte routière. Cet avis est assorti de quatre réserves et de quatre recommandations.[5] L’argument du Grenelle de l’environnement de refuser l’ouverture de tout nouvel aéroport est rejeté du fait qu’il s’agit d’un transfert des activités de Nantes Atlantique sur le nouveau site. Les réserves concernent les impacts sur l’environnement et le traitement des eaux, sur le désenclavement routier du bourg de Notre Dame des Landes et sur la limitation stricte du trafic aérien de l’aéroport de Nantes Atlantique quand le nouvel aéroport sera ouvert. Les recommandations concernent les compensations pour les agriculteurs, l’urbanisme dans la communauté de commune d’Erdre et Gesvres, la liaison ferroviaire de Rennes avec Notre Dame des Landes de la responsabilité de l’Etat et les méthodes de terrassements pour éviter trop d’impacts sur l’environnement. A la suite de cet avis, le projet de l’aéroport de Notre Dame des Landes est déclaré d’utilité publique au Journal Officiel de février 2008. Mais ce qui, pour beaucoup, devait sonner la fin des oppositions au projet en amenant la preuve de son utilité pour l’intérêt général, ne fut en fait que le début d’une véritable opposition au projet.
[1] http://www.pierrederuelle.com/notre-dame-des-landes-un-projet-de-1967-pour-repondre-aux-defis-de-notre-temps/
[2] http://leblogdelaeroportdugrandouest.eu/qui-sommes-nous/
[3] http://www.ecopole.com/files/dossiers_doc/aeroport/Acteurs.pdf
[4] Rapport d’enquête, http://www.sma-grandouest.eu/images/3_rapport_enquete-web.pdf, p. 8
[5] Communiqué de presse de la Commission d’enquête du projet d’aéroport de Notre Dame des Landes, 13 avril 2007 : http://www.sma-grandouest.eu/images/2_communique_20070413.pdf