Les Suppliantes

Vendredi soir j’ai assisté à la représentation de la tragédie d’Eschyle, les Suppliantes, mis en scène par Jean-Luc Bansard et sa troupe du Théâtre du Tiroir de Laval. Elle avait lieu au théâtre Jean Bart de Saint-Marc, quartier huppé de Saint Nazaire. La particularité de cette pièce de théâtre est qu’elle est jouée par des actrices et acteurs amateurs français qui ont pris sous leurs ailes des actrices et acteurs amateurs migrants et réfugiés. Ils sont ainsi 35 sur la scène pour jouer le chœur des Danaïdes poursuivies par les effrayants Égyptiens qui veulent les soumettre au mariage forcé. Avec leur père Danaos, elles échouent sur les rivages d’Argos où elles rencontrent le roi de la Cité et lui demandent asile, refuge. Le roi Pélasgos est tout d’abord réticent à les accueillir car il craint la guerre si les Égyptiens viennent à savoir que leurs proies se trouvent dans sa ville. Il ne veut pas faire courir de danger à son peuple. Mais les Suppliantes font appel à l’honneur de tout être humain, et lui rappellent que leur ancêtre, la génisse Io, poursuivie par les ardeurs de Zeus, était Argienne. C’est la fureur de Héra, l’épouse trompée de Zeus, qui la poussa à s’exiler en Libye, d’où ont fui à leur tour les Danaïdes. Le roi est donc pris entre deux peurs : celle de la guerre et celle de la fureur des Dieux pour ne pas avoir protégé ces femmes innocentes et malheureuses. Il les laisse donc sous la protection du temple de Zeus et demander à ses concitoyens de voter l’accueil ou non des Suppliantes. La Cité accepte de recevoir les femmes en exil avec leur père. Mais arrivent les Égyptiens, furieux et agressifs qui exigent qu’on leur remette leurs proies. Apeurées, les Danaïdes tentent de résister jusqu’à ce que le Roi d’Argos vienne chasser les envahisseurs, en leur assurant que le peuple a pris fait et cause pour ces femmes et que s’ils s’obstinent ce sera la guerre. La pièce se termine par l’intégration définitive des exilées au cœur de la Cité avec l’espoir cette fois d’épouser de nobles argiens et de faire partie totalement de leur nouvelle patrie.

Ce résumé montre à quel point le propos des Suppliantes d’Eschyle, écrit au début du Ve siècle AD, est d’une brûlante actualité. C’est également ce qui a frappé Olivier Py, le directeur du festival d’Avignon, qui en a fait une nouvelle traduction. C’est aussi pour cette raison que Jean-Luc Bansard et le Théâtre du Tiroir ont choisi, après des rencontres de migrants et de réfugiés débarqués à Laval après avoir traversé le monde et s’être trouvés bloqués à Calais, de leur proposer de jouer cette pièce. Les Suppliantes parlent de leur vie, de leur exil, de leur peur et de leur espoir. Alors se monte un chantier citoyen, c’est-à-dire un lieu où l’on expérimente et où l’on cherche ensemble pour aller vers un même but, qui permet à des migrants en situation très précaire de trouver une voix pour dire leurs souffrances.

La pièce nous est présentée dans un décor minimaliste : quelques bancs sombres assemblés en demi-cercle signifient l’entrée du temple de Zeus. Les costumes sont bariolés pour les femmes venues d’Orient, sobres pour le père et le roi, militaires pour les Égyptiens.
La particularité de la représentation est que certains morceaux du texte sont dits et répétés en plusieurs langues : il y a toujours du français, mais aussi de l’albanais, de l’arabe, du dari, du berbère, des langues d’Erythrée ou d’Afrique de l’Ouest. Ainsi, quand les Egyptiens font face aux Danaïdes, tous les acteurs de plusieurs nationalités, parlent à leur tour dans leur langue, répétant le même texte. Cela donne alors une sensation poétique inimitable, des couleurs de sons très différentes et un voyage auditif très particulier.

« Daigne Zeus Suppliant jeter un regard favorable sur cette troupe vagabonde, dont la nef est partie des touche au sable fin du Nil. Loin du sol de Zeus qui confine au pays syrien, nous errons en bannies. »

Les actrices et les acteurs migrants vont et viennent entre les représentations, suivant les cahots de leurs propres vies, des aléas administratifs, des départs ou des reconduites à la frontière ! J’ai été frappé par la douceur et les efforts de Walid, venu de Syrie, et jouant, avec deux autres acteurs, l’un français et l’autre algérien, Danaos le père des Suppliantes : il joue le texte en français, ce qui n’est visiblement pas facile ! Mais cette diction parfois un peu hésitante donne plus de force encore au personnage qui cherche à sauvegarder ses filles.

La pièce et la compagnie vont tourner en France et dans l’Ouest, par exemple à Rennes en novembre et à Angers en février prochain.

Si vous voulez voir et écouter les actrices et les acteurs : sur le site Histoires Ordinaires

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Un commentaire sur “Les Suppliantes

  1. Oh j’aurais adoré voir ce spectacle ! Je suis folle de tragédies grecques : elles sont belles, poétiques et toujours d’actualité ; elles continuent à nous parler au-delà des siècles et des frontières, c’est ce qui les rend universelles. Quelle chance tu as eue d’assister à cette représentation ! Merci du partage !

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