Olivier Norek – Entre deux mondes

Ce livre est une claque monumentale.
Quand je pense qu’on décerne des prix littéraires à des plumassieux qui font des chichis, qui n’ont aucun style, qui ne racontent rien et qui en plus chouinent à la télé parce qu’ils ne sont pas reconnus, ça m’énerve grave… ce livre mérite bien plus que des prix littéraire, et de toute façon il reçoit depuis sa sortie des pluies de critiques élogieuses et c’est amplement mérité !

J’ai lu un polar d’Oliver Norek, Territoire, dont j’avais beaucoup apprécié le réalisme rude et froid.
Mais là… on dépasse le polar, car de toute façon le livre n’est pas un polar, mais un roman tout simplement. L’affaire policière est totalement engloutie dans la Jungle et dans l’histoire complexe qui se noue entre trois personnages, Adam, Bastien et Kiliani.

Synopsis

Fuyant un régime sanguinaire et un pays en guerre, Adam a envoyé sa femme Nora et sa fille Maya à six mille kilomètres de là, dans un endroit où elles devraient l’attendre en sécurité. Il les rejoindra bientôt, et ils organiseront leur avenir.
Mais arrivé là-bas, il ne les trouve pas. Ce qu’il découvre, en revanche, c’est un monde entre deux mondes pour damnés de la Terre entre deux vies. Dans cet univers sans loi, aucune police n’ose mettre les pieds.
Un assassin va profiter de cette situation.
Dès le premier crime, Adam décide d’intervenir. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il est flic, et que face à l’espoir qui s’amenuise de revoir un jour Nora et Maya, cette enquête est le seul moyen pour lui de ne pas devenir fou.

Bastien est un policier français. Il connaît cette zone de non-droit et les terreurs qu’elle engendre. Mais lorsque Adam, ce flic étranger, lui demande son aide, le temps est venu pour lui d’ouvrir les yeux sur la réalité et de faire un choix, quitte à se mettre en danger.

J’ai eu beaucoup, beaucoup de mal à entrer dans le livre, non pas à cause du style ou de tout autre choix de l’auteur, mais parce que l’histoire qui est raconté au début est totalement glaçante, terrifiante et elle m’a rendu malade au point que je ne pouvais pas avancer dans ma lecture.
Le roman commence par la fuite de Syrie d’une famille, celle de Adam, flic qui a décidé depuis quelques mois de trahir le régime de Bachar El-Assad qui massacre son peuple. Il fait d’abord partir sa femme et sa fille, son trésor, pour l’Europe et la liberté. La peur, pure et dure, enchaîne ces gens à un destin qu’ils n’ont pas choisit. Adam est prêt d’être arrêté mais finalement il s’enfuit aussi en espérant retrouver sa femme dans la Jungle de Calais. Ce qui arrive à Nora et Maya, sa femme et sa fille, sur les flots de la Méditerranée, est ce qu’il y a de plus dur à lire dans le livre… et pourtant Norek fait de la scène qui clôt ce chapitre un pur chef-d’œuvre cinématographique.

En parallèle on lit l’histoire de Bastien Miller, flic qui s’est fait muté à Calais (mais pourquoi donc lui demandent ses collègues, en lui assurant qu’il ne pourra jamais repartir de la ville). Il a aussi une femme et une fille, Manon et Jade, Manon étant en dépression après la mort de son père.

Et puis le livre c’est l’histoire de la Jungle, que Olivier Norek raconte avoir parcouru, ou du moins s’y être rendu pour comprendre et voir, avant qu’elle ne soit démantelée à la fin de l’année 2016. C’est l’histoire aussi des flics de Calais, de la PJ et de la BAC qui sont pris entre les tenailles diaboliques : ne pas arrêter les migrants qui tentent de passer en Angleterre mais ne pas non plus s’en occuper sinon ils pourraient vouloir rester sur place. Et on apprend qu’il existe à Calais un statut unique et illégal, celui de réfugié potentiel… pas vu, pas pris, pas aidé, pas soutenu…

Enfin, le roman raconte aussi l’histoire de Kilani, un enfant soudanais, qui sert de jouet sexuel aux Afghans, les vrais maîtres de la Jungle, parce qu’ils sont les plus nombreux. Il est sauvé par Adam et devient son ombre.
Adam et Bastien vont devenir amis, car ce sont deux hommes qui font ce qui est juste, ce qui leur semble juste.

Mais outre ces histoires, ces fictions, on sent que la réalité est là, car ce que raconte Norek ne peut pas être seulement sorti de l’esprit d’un romancier, aussi doué soit-il. Surtout on sent la Jungle : les odeurs pestilentielles des toilettes qui débordent, les odeurs des feux de camps, les bruits de la rue principale où tout la planète en fuite se retrouve pour faire des affaires, la vue du chaos du plus grand bidonville d’Europe. La Jungle c’est la brutalité humaine à l’état sauvage : on le sait, nous qui sommes chez nous au chaud, on le sait avec nos neurones, on le comprend, on l’intériorise. Le roman ici joue tout son rôle d’œuvre d’art en nous plongeant tripes et boyaux dans ce monde de fous. En lisant ce livre j’ai vraiment réalisé à quel point le monde dans lequel je vis est non seulement hors de contrôle mais surtout totalement suicidaire et malade. Parce que je lis est à la fois un roman et pas un roman. Cela m’a fait furieusement penser à Eldorado de Laurent Gaudé. Ces livres sont précieux car ils nous permettent de faire quelque chose qui est extrêmement difficile et dangereux : nous identifier quelques instants à des gens qui fuient leurs pays et qui trouvent au bout de leurs routes souvent bien pire que ce qu’ils ont quitté.

Je me dis souvent, souvent ces derniers temps, que ce que ce livre nous raconte, comme celui de Gaudé, pourrait être notre futur, à nous aussi… plusieurs fois Adam calme Kilani en lui disant qu’il se trouve en France dans un pays démocratique… mais en fait rien du tout n’est plus sûr et assuré.

La fin du roman est poignante : j’ai refermé ma liseuse avec des larmes pleins les yeux, ce qui m’est arrivé aussi tout au long de ma lecture. Olivier Norek a écrit là un grand roman, un texte puissant qui ne dénonce jamais, ne juge personne, ni les Calaisiens, ni les flics, ni les migrants qui courent comme des zombies la nuit pour essayer de s’engouffrer dans les camions qui vont vers Youké

A lire d’urgence s’il vous plaît.

5 commentaires sur “Olivier Norek – Entre deux mondes

  1. J’ai juste entendu parler de l’auteur, mais je ne l’ai jamais lu. Ca a l’air assez glaçant, à ne pas lire n’importe quand !

    Et puis Eldorado de Laurent Gaudé est une bonne référence 😉

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  2. J’adore ce commentaire, je te conseille aussi Code 93 d’Olivier Norek qui fait froid dans le dos quand il informe des « accords » entre la ville et les « dealers » des cités
    On comprend parfaitement que tout n’est pas fiction!

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