Travail ou Emploi ?

J’ai déjà dit sur ce blog à quel point je n’ai plus du tout envie d’enseigner. Mon bore-out est également un brown-out, c’est-à-dire une perte totale de sens de ce que je fais et un ennui profond de ce métier. Je pourrais sans nul doute écrire un livre sur le système schizophrène dans lequel j’exerce mes talents. Un monde à double visage où un discours humaniste et prônant des valeurs humaines est confronté à des actes dignes du néo-libéralisme économique et politique qui fait notre société. On parle de principes républicains et de morale tandis que les professeurs dont je fais partie ne sont devenus que les maillons d’une réelle oppression verticale. Le mammouth est en train d’imploser des l’intérieur. Et pour ma part je n’ai plus l’envie et l’énergie de faire partie de ce désastre.

Cette année j’ai eu la bonne idée de demander à exercer mon emploi à temps partiel. J’ai décidé de quitter l’établissement public alternatif auquel j’ai appartenu durant 7 ans. J’ai appartenu. C’est bien le mot juste. Pour faire autrement à l’éducation nationale il faut donner sa vie et se sacrifier. Je suis donc revenue dans un établissement classique. Et comme j’ai d’autres projets professionnels j’ai choisi de ne travailler qu’à temps partiel. J’ai donc en charge 3 classes pour 12 heures de cours (et autant au moins de préparation et de correction).

Ce que je dis ici semble souvent incompréhensible au simple mortel qui ne connait pas le monde fabuleux de l’école. Comment est-il possible qu’une telle privilégiée que je serais, celle qui a la chance de faire un métier avec du sens, qui a autant de vacances, puisse être à ce point négative et en souffrance. Mais je ne suis pas la seule dans ce cas et l’institution est bien en mal de trouver des solutions humaines à ces professionnels qui souhaitent évoluer dans leurs carrière.

J’en arrive au sujet de ce billet. Mon temps partiel est l’occasion pour moi de tenter de créer ma propre activité. Je cherche actuellement à intégrer une coopérative d’activité et d’emploi pour faire partie d’un incubateur de projets. Mon temps est donc divisé en deux. Une partie de la semaine je vais faire mon job de professeure de philosophie et l’autre partie du temps j’essaye de développer mon projet. La première partie de ma vie professionnelle, celle de l’école, est un emploi. La seconde est pour moi un travail. Ce que j’exerce sans envie mais pour des raisons financières est un job, un emploi, une obligation de cette société qui nous fait croire que gagner beaucoup d’argent est nécessaire, qu’un emploi est la seule manière de trouver une place sociale. Mon travail, mon projet d’activité de conseils et de consultant, n’est pas pour l’instant rémunérateur : pour mes contemporains c’est donc quelque chose d’inutile.

J’ai donc actuellement un emploi et un travail. Les deux pour l’instant incompatibles. Et cela provoque pour moi beaucoup de difficultés et d’angoisses. Si, par exemple, j’avais eu la possibilité de recevoir un revenu de base, il est à peu près certain que mon activité serait déjà en place. Il serait certain également que mes compétences d’enseignante auraient été mis en œuvre dans un autre cadre qu’un lycée public français. Mon emploi actuel n’a aucune utilité sociale car je ne fais que participer à la reproduction d’une oppression verticale et violente sur de jeunes esprits. Alors c’est sûr ma liberté pédagogique me permet de mettre en œuvre d’autres méthodes et d’autres façon de faire cours. Je ne m’en prive pas. Mais ce n’est pas évident quand par exemple vos collègues vous rappellent ce qu’il faut avoir travailler pour le Bac Blanc en février. Cela demande de l’énergie. Encore et toujours.

Je pourrais très bien mettre en œuvre ce que je sais faire autrement dans d’autres situations et pour un public qui en aurait vraiment besoin. Mais travailler pour des associations ou dans le milieu social n’est pas rémunéré ou si peu que cela ne suffit pas à en vivre, dans une société où l’argent est roi. Mon temps partiel a déjà grevé mon revenu de 1000€. Ce fut un choix à deux de vivre différemment et de repenser nos modes de consommation. C’est, je l’avoue, un exercice motivant et très épanouissant car c’est une manière aussi de résister.

Alors travail ou emploi ? Le monde industriel, pour ne pas dire capitaliste, nous a fait croire que les deux mots étaient synonymes. Mais c’est faux. Un emploi est utilitaire, philosophie proprement capitaliste. Il sert à nous faire gagner de l’argent dans une société où l’échange et le simple fait de faire ou de fabriquer ne sont plus au centre des préoccupations. Le travail c’est faire, pour soi, pour les autres, pour gagner de l’argent ou pas, pour créer non pas de la richesse mais de créer, c’est tout. Travailler c’est écrire dans un blog, c’est élever ses enfants, c’est faire son jardin ou le jardin du voisin. On nous a tout simplement volé le sens du travail pour le transformer en une torture, une obligation aussi bien économique que sociale.

8 commentaires sur “Travail ou Emploi ?

  1. Article très intéressant ! Je ne voyais pas du tout cette différence entre emploi et travail et même quand on me disait que j’étais courageuse de tenir un blog car ça prend du temps et c’est du travail, je tiquais un peu car à mes yeux, ça restait du domaine du loisir, et ça l’est aux yeux de beaucoup de gens dans mon entourage… Tenir un blog n’est pas un travail pour eux (ils ne sont pas au courant de l’existence du mien), on ne t’oblige pas à le faire, si ça te prend du temps, t’as qu’à arrêter, blablabla… C’est vrai que cette notion de travail a été complètement dévoyée, il faut que j’y réfléchisse car je viens d’une famille où la valeur « travail »(/emploi) est considérable et où il est complètement accepté que si ça te plaît pas, c’est pas grave, tu fermes ta gueule et t’encaisses les sous à la fin du mois… J’ai jamais été trop en accord avec ça et en même temps, je culpabilise de ne pas l’être, c’est dire à quel point ce mode de pensée est intégré.

    Bref, ton article me fait réfléchir. Et j’espère vraiment que t’arriveras à t’épanouir. 🙂

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    1. on en est tous là ! même si on n’a pas reçu une éducation dans ce sens (ce qui est mon cas), on est formaté par une société anglo-saxonne protestante et capitaliste où si tu ne fais rien tu fais mal… c’est la porte du péché et du diable 😉

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