La Première Guerre mondiale est aussi mon histoire

11 novembre 1918 – 11 novembre 2018.
Nous fêtons le centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale.
Cette guerre fut la pire de l’Histoire de l’humanité. Même si d’autres conflits ont fait plus de victimes, la Première Guerre mondiale a poussé des hommes, jeunes et victimes avant tout de la folie d’autres individus, à vivre durant quatre années les pires épreuves que l’on puisse imaginer sur Terre. J’ai enseigné durant 12 ans l’Histoire de ce conflit à de jeunes personnes qui n’avaient déjà plus aucun lien avec lui. J’ai toujours ressenti beaucoup d’émotion à raconter les tranchées, à tenter de faire comprendre ce que pouvait bien être cette vie dans la boue, les rats et les cadavres. Certes, le totalitarisme nazi et la Shoah de la Seconde Guerre mondiale ont leur part d’horreurs, et non des moindres, mais ils s’ajoutent à cet enfer qui a été plus terrible et surtout plus silencieux. Car après la guerre, les vétérans ont tu leurs vies de soldats. Aujourd’hui on parle facilement du stress post-traumatique que ressentent les soldats français ou autres dans les conflits modernes. Mais les Poilus non seulement n’ont pas été accueillis avec chaleur par leurs contemporains, mais surtout on n’a pas vraiment fait attention à ce qu’ils avaient vécu. Comme les rescapés des camps de concentration nazis ou communistes, la plupart étaient incapables de raconter ce qu’ils avaient traversé, car c’était tout simplement incompréhensible.

Cette guerre résonne aussi dans ma propre histoire, car sans elle je n’existerais pas ! Je suis une descendante du conflit, sans la Première Guerre mondiale je ne serais pas née.

Je suis une petite fille de la guerre

Mon arrière-grand-père de ma branche maternelle était un GI américain, venu sur le sol français en tant qu’allié pour aider à combattre les pays de la Triple Alliance. Il s’appelait Tony Giant, il avait 20 ans en 1916 et il était né à Springfield dans l’Illinois aux États-Unis. Ses parents étaient des migrants européens, Paul et Modesta, italien et marseillaise, ou vice-versa. J’ai fait des recherches, mais je n’ai rien trouvé sur leur histoire. Rien qui me dise quand ils sont arrivés sur le sol américain ni par quel point ils sont entrés. Sont-ils passés par Coney Island ? Je n’ai trouvé aucune trace de leur passage sur les registres de l’immigration. Ont-ils changé leur nom de famille à l’entrée aux États-Unis ? Je n’ai pas non plus de trace de la vie de Tony aux États-Unis. Rien. C’est le vide. Je pense qu’il est arrivé en France, comme beaucoup de troupes américaines entre 1917 et 1918, quand le pays entre enfin dans la guerre, soit par Brest, soit par Saint Nazaire. D’ailleurs, quand j’ai découvert Saint Nazaire, près de laquelle je vis aujourd’hui, j’ai été frappé par cette grande statue sur la grande plage, dédiée aux troupes alliées venues soutenir l’effort de guerre français. J’ai alors compris que mon ancêtre était certainement passé par là.

Le « Sammy » de Saint Nazaire photoloirealtantique.com

Je ne sais pas non plus ce qu’il fit durant la fin du conflit. Je sais seulement qu’il reste sur le sol français et qu’en 1921 il épouse à Mâcon mon arrière-grand-mère, une jeune vendeuse dans une bijouterie, Louise Marcelle, née de parents inconnus en 1897. Après leur mariage, le jeune couple décide de partir pour les États-Unis et ils commencent un voyage vers les Pays-Bas pour trouver un bateau en partance. Mais mon aïeule est enceinte et sur le point d’accoucher. Elle met au monde son premier enfant en Lorraine. Tony et Marcelle décident alors de rester sur place… adieu le rêve de l’Amérique. Ils achètent une ferme dans la vallée de la Moselle, près de Metz, et ils vivent difficilement du travail de la terre. Ils auront six enfants, trois garçons (dont un meurt en bas âge) et trois filles, dont ma grand-mère. Dans le petit village lorrain où ils habitent, Dornot, on appelle la famille les Américains. Mon arrière-grand-père parle mal le français. Il apprend quelques mots d’Anglais à ses enfants. Il semble qu’il n’ait pas été très heureux de sa vie de paysan lorrain, ce que l’on peut comprendre, quand on vient de l’Illinois !

Drôle d’histoire pour une drôle de guerre

Durant la Seconde Guerre mondiale, la famille franco-américaine se trouve en mauvaise posture. Ils vivent en Moselle, qui à l’été 1940, après l’offensive allemande, devient ou plutôt redevient un territoire allemand. La Guerre de 14-18 avait rendu l’Alsace et la Moselle à la France. En 1940 le gouvernement nazi rapatrie dans le Reich ces territoires germanophones. Ma famille habite au sud de Metz, mais le village fait partie, sur la carte, de la zone annexée par l’Allemagne. Voilà une famille américaine au cœur du IIIe Reich ! Même si en 1940 les États-Unis n’ont pas encore déclaré la guerre à l’Axe, il est peu probable que les nazis laissent libre toute cette famille au cœur même du nouvel Empire allemand. D’ailleurs, en juillet 1940, au moment des moissons, des voisins de mes arrières-grands-parents viennent les avertir un matin que des troupes allemandes sont aux portes du village pour les emmener. Heureusement, le village est situé sur les coteaux de la Moselle, et une route bien pentue est la seule voie pour les véhicules. Le temps que les troupes arrivent, ils ont juste le temps de s’enfuir par les champs derrière le village. Ils laissent tout, leur maison, leurs biens, leurs récoltes, leurs animaux de ferme. Ils avaient déjà peu, ils se retrouvent sans rien. Bien sûr, gentiment, les voisins viendront se servir… passons.

Dornot dans la vallée de la Moselle. val-de-moselle.com

La famille au complet fuit et traverse la « frontière » : ils s’installent dans le village voisin, à Ancy, qui lui est en France, occupée certes, mais en France et pas en Allemagne. La vie est dure, mais elle l’est pour tout le monde durant l’Occupation. Ma grand-mère, à peine âgée de 15 ans, sera placée comme bonne dans une famille parisienne. Ses deux frères et l’une de ses sœurs, plus âgés, seront agents de liaison de la résistance et feront passer des messages, mais surtout des prisonniers évadés des camps allemands vers la France occupée puis vers la Suisse. Ma grand-tante sera même arrêtée par la Gestapo… elle n’a jamais parlé de ce qu’elle avait vécu là-bas, mais elle s’en est sorti. Elle ne s’est jamais mariée et elle est restée toute sa vie auprès de sa mère. Une autre de mes grand-tantes, Michelle, à la fin de la guerre, est partie sur les terres de son père. Elle a émigré aux États-Unis et a construit sa vie là-bas, dans une petite ville du Missouri.

Voilà comment la grande histoire rencontre les petites histoires des humains. Je voulais écrire cette histoire, mon histoire, et la publier aujourd’hui pour répondre, à ma manière, aux propos du Président actuel des États-Unis. Il insulte sans arrêt ses alliés, mais il oublie trop vite que les nations, les pays dont lui et ses petits camarades sont les « dirigeants » sont avant tout des peuples, des personnes de chairs et de sang, qui ont des vies, des amours, des amitiés qui heureusement, transcendent encore leurs pauvres combines et l’effroyable gouffre que sont leurs ego.

4 commentaires sur “La Première Guerre mondiale est aussi mon histoire

  1. C’est dingue tout ce que tu sais sur ta famille ! En tout cas, c’est une belle histoire, ça rappelle le côté humain de cette guerre alors qu’on nous parle de rendre hommage aux maréchaux qui ont envoyé plein de gens au casse-pipes…

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    1. Oui, en fait j’ai écrit ce billet et je l’ai tweeté sur le compte de Donald Trump ! Il m’avait énervé avec ses propos encore une fois polémique sur l’ingratitude des français face aux soldats américains. Ces gens oublient trop vite qu’il y a surtout des rencontres entre les gens et c’est ce qui est le plus important !

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  2. Ce sont ces milliers de petites histoires qui font la grande Histoire et que l’on devrait plus souvent raconter autour de nous, dans les écoles, à nos enfants, pour qu’on comprenne enfin que tout n’est pas si simple, que rien n’est tout noir ou tout blanc et qu’avant tout, dans les conflits, il y a des êtres humains…

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