La vie ordinaire d’Adèle Van Reeth

Comme beaucoup de professeur de philosophie et d’auditeurs aimant se questionner, j’apprécie l’émission quotidienne et matinale d’Adèle van Reeth sur France Culture, Les Chemins de la philosophie. C’est une journaliste passionnée, qui sait mêler avec intelligence la philosophie et l’actualité, pour redonner à cette discipline toute l’importance qu’elle doit avoir dans nos sociétés en mal de sens. J’ai donc lu le dernier essai de Mme Van Reeth, qu’elle a écrit lors du premier confinement (!), élément qui doit nous mettre la puce à l’oreille. Je l’ai lu avant tout pour son titre « La vie ordinaire » car c’est un thème qui m’intéresse, passionnée que je suis par l’extraordinaire et bien décidée, comme beaucoup d’entre vous, à faire de mon existence tout autre chose qu’une glissade vers les banalités et le quotidien. Justement, nous dit l’auteure, la vie ordinaire n’est pas la vie banale ou la vie quotidienne. Ce n’est pas l’ennui mais toutes les petites choses ordinaires qui remplissent nos vies et qui en font ce qu’elles sont : des histoires qu’il faut parfois ne pas raconter.


A part cette distinction, je n’ai rien appris de bien folichon dans cet essai et je ne l’ai absolument pas apprécié. Déjà parce que l’on ne sait pas ce que c’est. Je déteste cette mode actuelle, un peu comme dans Yoga d’Emmanuel Carrère, de mélanger l’auto-fiction et la fiction, sans que le lecteur ne soit vraiment acteur de sa lecture. Est-ce un roman ? Celui d’une femme qui fait de la philosophie sans en avoir l’air et qui tombe enceinte. Ou bien est-ce une auto-fiction centrée sur la personne de l’auteure ? On raconte sa vie mais sans avoir l’air d’y toucher, parce que l’auto-fiction n’a pas bonne presse, mais tout de même « je » est un bon matériaux, en tout cas le plus simple d’accès et pourquoi pas digne d’intérêt pour les lecteurs. En attendant, on ne sait pas ce qu’on lit et si Emmanuel Carrère pouvait subtilement nous faire comprendre que certaines pages étaient imaginaires, ici on nage en pleine confusion. Ce n’est pas agréable.


Mais surtout le sujet est tout aussi flou, vague. Est-ce un essai de philosophie, certes très maigre, autour de la découverte par une jeune femme du concept de vie ordinaire ? Ou bien le roman d’une grossesse et des émerveillements très naïfs et d’un ordinaire consommé d’une femme sur son état, l’enfant qu’elle porte et la magie de la maternité ?
L’auteure essaye tant bien que mal de faire quelques liens entre philosophie et maternité, avec les images éculées de la maïeutique socratique, accouchement des idées, qu’elle trouve bien fade face à l’énormité de son expérience de vie. On a droit à l’actuelle rengaine très #metoo sur une discipline totalement masculine qui aurait a gagnée non pas à faire entrer des femmes dans le sérail (elles existent déjà, d’Hannah Arendt à Simone de Beauvoir ou Simone Weil) mais à faire entrer des mères ! Mais peut-on philosopher en changeant la couche d’un nouveau-né ou en donnant le bain ?
La partie philosophique de l’ouvrage se contente d’une compilation de quelques concepts bien connus autour de l’œuvre de Clément Rosset, figure paternelle et professorale pour la narratrice ou d’Emerson, qui ont approché le concept de vie ordinaire. La narratrice nous conte son souhait d’écrire une grande œuvre sur ce thème, ses recherches, ses velléités d’écriture qui sont vites abandonnées face à la maternité. Eh oui ! La vie ordinaire rattrape tout le monde.
Au final, ce livre n’est pas ordinaire, il est d’une banalité sans nom, d’un ennui odieux : si c’est cela le niveau des « livres du confinement », j’ai peur pour le « monde d’après » ! Pourtant, il y avait bien quelque chose à dire sur ces deux thèmes : devient-on fatalement ordinaire quand on choisit la vie familiale et la maternité ? Peut-on et doit-on se contenter d’une vie ordinaire, faite de petits riens, de petits bonheurs diront certains : celle qui glisse sur nous, celle dont on ne se souvient pas mais qui pourtant marque nos vies dans un continuum parfois délicieux et souvent automatique ? Il faudrait aller plus loin que ces évidences et se demander ce qui peut nous permettre de vivre une vie ordinaire en la rendant extraordinaire.

2 commentaires sur “La vie ordinaire d’Adèle Van Reeth

  1. « ;;;le plus simple d’accès … » , « En attendant … » 2 petites coquilles à corriger !
    Au plaisir de vous lire en 2021 , tous mes vœux pour cette année nouvelle , cordialement
    Thibault

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