Que faire à présent ? Il semble bien que les vieux démons du continent européens soient de nouveaux à l’œuvre. Le Nord contre le Sud, les protestants contre les catholiques, les anglo-saxons contre les latins.
Ce qui se déroule sous nos yeux depuis plusieurs semaines, ce que l’on appelle la crise grecque, me fait penser plutôt à l’éternelle tragédie de notre continent. Jusqu’à présent les failles, les mésententes étaient tues, car le bénéfice de la construction européenne était bien plus important que les dissensions. Nous avons la paix, une certaine prospérité, une certaine sécurité. Mais voilà que les vieux paradigmes historiques refont surface. Les habitants du Nord veulent plus de rigueur tandis que ceux du Sud préfèrent vivre la Dolce Vita au Soleil. Ces clichés sont-ils vraiment dépassés ? Sont-ils vraiment des clichés ?
Franchement, iriez-vous habiter en Allemagne ou en Finlande ? Qui ne préférerait pas passer sa vie dans la douceur de vivre méditerranéenne ? Est-ce que par hasard la crise économique et politique que subit l’Europe ne pourrait pas se résumer à ces questions ? Dans ce cas, il est évident que nous n’avons toujours pas surmonté nos différences. D’ailleurs faut-il le faire ? Ou bien faut-il apprendre à vivre ensemble selon nos différences et en les acceptant ? Un Grec ne pourrait jamais vivre comme un Allemand, et ce serait trop triste si c’était le cas. J’ai parfois l’impression que la fureur et l’humiliation que portent les actes et les discours de certains européens face aux habitants de la Grèce relèvent davantage de la jalousie. Ils ont la mer, un pays de cocagne, un passé millénaire. Certes, ils ont vécu au-dessus de leurs moyens, ils ont profité du système, mais c’est la faute des Européens qui ont permis aux Grecs d’entrer trop tôt dans la zone euro. D’ailleurs, ils n’ont pas fait la même erreur ensuite avec les Etats de l’ex-Yougoslavie ou avec la Roumanie !
Bien plus qu’une question économique, je pense que cette crise grecque est une épreuve éthique, je dirais philosophique : il faut à présent choisir le monde dans lequel on vit. Pour ma part, je n’aime pas les gens du Nord ! Quand on vit dans des pays où il fait froid et nuit plusieurs mois par an ou dans des villes grises comme en Allemagne, je ne pense pas que l’on peut être heureux. Je suis sans doute très proche de la « théorie des climats » de Montesquieu : cette théorie a toujours eu beaucoup de répercussion chez moi, même si son fond colonialiste voire raciste ne peut-être niée.
Je ne peux m’empêcher d’ailleurs de citer Aristote, philosophe grec au demeurant 🙂 :
« Les peuples qui habitent les climats froids, les peuples d'Europe sont en général pleins de courage ; mais ils sont certainement inférieurs en intelligence et en industrie ; et s'ils conservent leur liberté, ils sont politiquement indisciplinables, et n'ont jamais pu conquérir leurs voisins. En Asie, au contraire, les peuples ont plus d'intelligence, d'aptitude pour les arts, mais ils manquent de cœur, et ils restent sous le joug d'un esclavage perpétuel. La race grecque, qui topographiquement est intermédiaire, réunit toutes les qualités des deux autres. Dans le sein même de la Grèce, les divers peuples présentent entre eux des dissemblances analogues à celles dont nous venons de parler : ici, c'est une seule qualité naturelle qui prédomine, là elles s'harmonisent toutes dans un heureux mélange . »Aristote, Politique, VII, VI.
La Grèce, le pont entre l’Occident et l’Orient, entre l’Europe et l’Asie. C’est cette position stratégique, civilisatrice, géo-politique aujourd’hui, qui explique sans doute les longues tractations actuelles pour que ce pays reste dans la zone euro et, par le fait même, n’aille pas négocier une aide avec la Russie par exemple ! En fait, il me semble que même au XXIe siècle, ce sont encore et toujours les mêmes questions géo-politiques qui se posent. C’est encore et toujours la question de la prédominance de l’Occident sur l’Orient… ou aujourd’hui de la montée en puissance de l’Orient sur l’Occident. Il faudrait que ce qui constitue la principale faiblesse de l’Europe, cette division qui n’est plus politique, guerrière mais qui reste sociétale, je dirais intellectuelle, il faudrait que cette division devienne notre force. Que nous n’essayons pas de ressembler tous aux Allemands (diable !) mais que nous soyons capables de construire ensemble un nouveau peuple, constitué de cette mosaïque à l’histoire si riche. C’est ce qu’avait tenté Alexandre le Grand en son temps… il est mort trop tôt pour achever son projet, mais il en avait grandement lancé les fondations.