Depuis le 7 octobre 2023, le monde s’est souvenu qu’un conflit presque antique persistait au Moyen Orient. Aujourd’hui les esprits sont échauffés, le n’importe qui l’emporte dans les discours des uns et des autres et surtout la haine est la valeur la mieux partagée entre ceux qui prennent des partis pris sans souvent savoir de quoi il en retourne précisément. Je ne vais pas revenir sur les tenants et aboutissants de ce conflit complexe mais j’aimerais y apporter l’éclairage d’un concept de philosophie qui, je pense, peut permettre de comprendre l’impasse dans laquelle beaucoup de nos contemporains se trouvent quand ils tentent de poser une opinion sur ce qui se passe entre Israël et la Palestine. On voit bien que le débat est dualiste, très primaire : il y a les bons d’un côté et les méchants de l’autre, et ceux qui prennent partis croient évidemment que leur camp est celui du bien et l’autre celui du mal. Cette binarité est constitutive de notre modèle de pensée européen, né de la philosophie classique grecque et de celle des Lumières. En fait, actuellement on se trouve dans l’impasse que créé le principe de non contradiction et qui empêche de sortir du dualisme primaire qui attise la haine autour de la guerre entre l’armée israélienne et le Hamas.
le principe de non-contradiction
Le principe de non-contradiction est un concept fondamental en logique et en philosophie qui stipule qu’une proposition ne peut pas être à la fois vraie et fausse en même temps dans le même contexte et sous le même aspect. En d’autres termes, une affirmation et sa négation ne peuvent pas être vraies simultanément. Ce principe joue un rôle essentiel dans la logique formelle et la pensée rationnelle, en établissant les bases de la validité des arguments et du raisonnement. Ce principe repose sur l’idée que la réalité a une structure cohérente et rationnelle. Il est souvent formulé comme suit : « Il est impossible que dans le même temps et sous le même rapport, une chose soit et ne soit pas ». L’Etre et le Non-Etre ne peuvent coexister dans la même réalité : si l’un est vrai alors l’autre ne peut pas l’être. Si quelqu’un dit « Il pleut » et que c’est vrai ici et maintenant, il ne peut pas dire « Il ne pleut pas ». La réalité ne peut pas se contredire et on ne peut contredire le principe de non-contradiction. Le faire c’est passer pour un fou, du moins dans nos contrées occidentales. Le principe de non-contradiction a été formalisé par le philosophe grec Parménide au VIe siècle avant notre ère. Il a été ensuite développé plus en détail par d’autres philosophes, notamment Aristote, qui l’a intégré dans son système logique et métaphysique. Aristote a formulé le principe de non-contradiction comme l’un des trois principes fondamentaux de sa logique, les deux autres étant le principe d’identité (une chose est ce qu’elle est) et le principe du tiers exclu (une proposition est soit vraie, soit fausse, sans troisième possibilité). Toute la pensée européenne est fondée sur cette logique aristotélicienne sans jamais avoir été remise en cause. C’est le fondement de nos sciences, de nos idéologies politiques et même de nos religions monothéistes. Le principe de non-contradiction est le principe essentiel de la métaphysique parménidienne qui considère que l’être est immuable, homogène et indivisible. Pour Parménide, l’existence réelle (l’être) est immuable, c’est-à-dire qu’elle ne peut ni naître ni périr, et elle est uniforme et cohérente. Il rejette l’idée du non-être, considérant que ce qui est réel ne peut pas être réduit à rien. Dans ce cadre, le principe de non-contradiction émerge comme une conséquence de cette conception de l’existence. Puisque l’être est immuable et cohérent, il ne peut y avoir de contradictions internes dans l’existence. Une chose ne peut pas être à la fois ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas en même temps et dans les mêmes conditions. Cette idée s’oppose à la vision plus fluide et changeante de la réalité soutenue par d’autres philosophes présocratiques comme Héraclite ou Démocrite.

philosophie de guerre
Qu’est-ce que cette démonstration philosophique peut bien à voir avec le conflit israélo-palestinien ? Les discours idéologiques qui s’affrontent autour de cet évènement sont engoncés dans ce principe. En effet, si les 1200 victimes israéliennes du 7 octobre sont réelles et sont bien des victimes, alors les 35 000 palestiniens massacrés depuis sont quoi ? Selon le principe de non-contradiction, elles ne peuvent pas êtres des victimes elles aussi ! Puisque si le premier terme est vrai alors le second ne peut pas être vrai en même temps ou alors c’est contradictoire. Puisque dans nos modes de pensées il ne peut pas exister deux régimes victimaires dans la même situation historique. De plus, face aux victimes nous avons deux barbares : le gouvernement Nétanyahou (A) et le Hamas (B). Si A est le mal alors B ne peux pas être la mal aussi, il doit forcément être le bien. Si A est le bien, alors B ne peux pas être le bien en même temps, il doit être la mal pour ne pas contredire le principe de non-contradiction. Il ne peut pas exister deux mal dans la même situation historique. On ne peut penser, surtout dans le cadre d’une « guerre juste » voire sainte, l’hypothèse farfelue que les deux belligérants soient tout aussi mauvais l’un que l’autre. Il est bien plus facile et reposant pour le cerveau de penser que l’ennemi est celui qui a tort et que l’on se trouve toujours du côté du bien et du juste. La réalité est figée, dans une vision parménidienne : soit A ; soit B et 1/ ne pas prendre parti c’est être l’ennemi des deux ; 2/ pour la plupart des commentateurs il n’existe pas d’autre possibilité, pas de tierce opinion, selon le principe du tiers exclu d’Aristote. Et le pire étant de ne pouvoir accepter pour réel le fait qu’il y ait des victimes et des bourreaux dans les deux pays, que l’on envisage comme des blocs homogènes, des réalités uniques, immuables. Chaque Israélien est, dans l’esprit de l’Autre quel qu’il soit, soit une victime, soit un bourreau de façon figée et de même pour chaque Palestinien. On n’est absolument pas capable de penser « pointilliste », de penser la différenciation et la subtilité d’une réalité qui est beaucoup plus mouvante.
Cette impossibilité de penser la complexité est encore plus visible quand les deux arguments suivants sont mis dos-à-dos : Israël colonise depuis des décennies la Palestine et le Hamas est une organisation terroriste. Si on considère que ces deux affirmations sont vraies, pour la plupart des gens on viole le principe de non-contradiction : ce n’est pas possible. Soit l’une est vraie et l’autre est obligatoirement fausse. Et si on a le malheur d’exprimer une tierce opinion, alors on est rejeté dans les limbes de l’antisémitisme d’un côté ou de l’islamophobie de l’autre. L’argument Ad hominem étant, dans notre modernité décomplexée, la seule parade à la contradiction et à la nuance. Je déteste Parménide…
se contredire pour dire
Quelle solution ? Penser le flux et la contradiction, oublier les arguments idéalistes et se tourner vers Héraclite et les philosophies orientales. Déjà accepter le fait réel suivant : l’attaque du 7 octobre est un acte terroriste et un pogrom ET en même temps la guerre menée à Gaza est un génocide. La vérité de l’un ne peut pas renvoyer l’autre dans le non-être. Les deux existent, sont vraies et l’existence de l’un n’empêche pas l’existence de l’autre. Pour ma part, je n’arrive pas à voir où serait la contradiction dans la réfutation de ces deux vérités. Mais il est vrai que je ne sais penser en termes parménidiens. Je n’ai pas vraiment d’accointance avec le dualisme mortifère de nos idéologies et autres religion. Et surtout j’apprécie fortement le non-être.
Je ne sais plus prendre partie et surtout je ne veux plus être menée par les émotions réactionnelles qui semblent être la nouvelle boussole de cette société. Enfin, il serait peut-être sain de ne plus faire de la victimisation une valeur centrale de nos vies ! Il faudrait peut-être arrêter de jouer à la compétition des victimes, du nombre des victimes et de la valeur même de ces victimes. Etre une victime est devenu un passeport international pour la reconnaissance tant attendue par les masses, mais dans mon esprit sans doute vieillissant, être une victime n’a jamais été une gloire. Aujourd’hui on joue à qui a été le plus victime, tant individuellement que collectivement … c’est pathétique, vraiment ! D’autant plus que cette victimisation à outrance de tout et n’importe quoi apporte dans son sillage la haine de l’autre quand celui-ci à l’outrecuidance de ne pas reconnaître votre statut (envié ?) de victime. Puisque nous restons embourbés dans le principe de non-contradiction, qui exclu l’idée même que des victimes pourraient êtres aux côtés des assassins. La victime (otages, civils…) sont des agneaux et les gouvernements les loups. Or, il est bien connu que les agneaux ne peuvent vivre au milieu des loups. Mais que se passe-t-il dans la réalité de la vie sauvage, dans les plaines de la savane ou tout simplement dans les élevages alpins ? Ah mais oui… j’oubliais… on ne peut pas faire cohabiter les moutons avec les loups il faut donc éradiquer ces derniers, même s’ils sont une espèce protégée. Encore une belle illustration du principe de non-contradiction qui nous empêche de penser le complexe. Je crois qu’il serait bon de revoir nos paradigmes de pensée !
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