lectures : le Saint Suaire de Turin de Jean Christian Petitfils

Jean Christophe Petitfils est un écrivain particulier dans le paysage intellectuel français. Il n’est pas professeur mais banquier mais fait œuvre d’historien avec des lubies autour de deux figures centrales : Louis XIV et Jésus. Ce non professionnalisme, reconnu par l’intéressé et par les critiques, pêche souvent dans ses ouvrages qui manquent trop d’impartialité. C’est ainsi que j’ai littéralement laissé tombé de mon fauteuil de lecture sa biographie de Louis XIV, plus proche du panégyrique que de la biographie historique. L’Histoire n’est déjà pas une discipline très scientifique puisque ce sont des individus qui écrivent ce qu’ils interprètent de traces archéologiques, textuelles ou artistiques laissées par nos ancêtres, il faut donc qu’elle soit exercée avec un minimum de rigueur.
C’est le sujet qui, cette fois-ci, m’a poussé à retrouver cet auteur, dans son ouvrage paru en 2022 chez Taillandier sur le Saint Suaire de Turin.

l’histoire du suaire

Comme beaucoup, croyants ou non, je suis fascinée par ce tissu, que je n’ai jamais vu, mais dont le mystère et surtout la quantité astronomique de débats passionnés qu’il déchaîne m’ont toujours intéressés. Jean Christophe Petitfils proclame dans son ouvrage qu’il réalise là une histoire globale des péripéties du Suaire, de l’Antiquité à nos jours. Et il est vrai que les premiers chapitres, sur l’histoire du Suaire, sont denses par la quantité d’informations historiques proposées. Il faut avoir quelques connaissances des âges obscurs du Haut Moyen Age et en particulier de l’Empire byzantin pour suivre les aléas du saint drap.

Rappelons d’abord de quoi nous parlons : le Saint Suaire est le drap mortuaire de 4,4 mètres de long et de 1,1 mètre de large, dans lequel Jésus aurait été enveloppé à la descente de la croix par sa famille et Joseph d’Arimathie avant d’être ensevelis dans le caveau de ce dernier à Jérusalem. Ce drap de lin serait resté dans le tombeau après la résurrection du Christ et serait devenu une relique d’autant plus précieuse qu’elle garderait la marque fantomatique du corps du supplicié, des stigmates des tortures subies comme la couronne d’épines ou les clous enfoncé dans les talons et les poignets. On peut y voir, en négatif, la visage d’un homme aux cheveux long et à la barbe fournie, les mains croisées et des traces de sangs seraient encore visibles. Le mystère principal est de savoir comment cette image a été produite : a-t-elle été peinte ? S’est-elle imprégnée après la mort avec les fluides corporels du cadavre ?

Selon la tradition, le Suaire apparaît dans l’Histoire à la fin du Moyen Age : la première mention documentée remonte à 1354 lorsqu’il est exposé dans l’église de Lirey, en France, par Geoffroi de Charny qui l’aurait ramené de Terre Sainte. La suite de l’histoire est bien connue et rappelée par Jean Christophe Petitfils :

1390 : L’évêque de Troyes, Pierre d’Arcis, écrit une lettre au pape déclarant que le suaire est une fraude, affirmant que l’image avait été peinte par un artiste habile.
1453 : Marguerite de Charny, descendante de Geoffroi de Charny, donne le suaire à la maison de Savoie.
1532 : un incendie dans la Sainte Chapelle de Chambéry a failli le détruire et laisse des traces de brûlures sur le tissu
1578 : Le suaire est transféré à Turin par Emmanuel Philibert de Savoie.
1898 : Le photographe amateur Secondo Pia prend les premières photographies du Suaire, révélant que l’image est un négatif photographique.
1978 : Le Suaire est examiné par une équipe de scientifiques internationaux, le STURP (Shroud of Turin Research Project). Ils concluent que l’image n’est pas une peinture, mais l’origine de l’image reste inexpliquée.
1988 : Des tests de datation au carbone 14 sont effectués par trois laboratoires indépendants. Les résultats indiquent que le tissu date du Moyen Âge (1260-1390), suggérant qu’il s’agit d’un artefact médiéval. Cependant, ces résultats sont contestés par certains chercheurs en raison de possibles contaminations et des prélèvements effectués sur des zones réparées.

continuités

L’auteur reprend à son compte une hypothèse d’un journaliste britannique, Ian Wilson, qui fait correspondre une autre relique à figure humaine acheiropoïète, le Mandylion d’Edesse, au Saint Suaire de Turin. Le Mandylion est un linge carré sur lequel, du vivant du Christ, se serait imprimé l’image de son visage et serait en lien avec la légende du roi Agbar. La première occurrence de ce linge apparaît au VIe siècle, d’abord à Edesse, puis transporté au Xe siècle à Constantinople et sans doute au XIIe siècle, après la 4e croisade si malheureuse pour les Byzantins qui ont vu leur ville pillée par les Européens, rapportée par Saint Louis et conservée à la Sainte Chapelle de Paris qu’il fit construire pour les reliques précieuses comme la couronne d’épines. Par des circonvolutions érudites mais finalement très hypothétiques, Jean Christian Petitfils affirme que ces linges ou suaires ne seraient qu’un seul et même objet, le Saint Suaire qui apparaît donc à Edesse puis à Constantinople, puis à Paris pour aller s’échouer dans un petit village bourguignon et finir à Turin. Il est d’ailleurs intéressant de voir la façon dont l’auteur cherche et trouve bien sûr une explication au fait que le roi de France se serait séparé d’une relique aussi précieuse au profit d’un de ses barons de province.

histoire ou prosélytisme


En fait, tout le problème de ce livre sur le Saint Suaire est ici : l’auteur ne fait pas œuvre d’histoire mais œuvre de propagande. Pour lui, il ne fait aucun doute que le Saint Suaire est une relique authentique et que le corps qu’il a contenu est bien celui du Christ. Il balaye avec des arguments d’autorité, dont les lecteurs auraient bien aimé avoir plus de détails, les résultats des datations au carbone 14 de la fin des années 80. Alors certes, les analyses sont aujourd’hui plus précises et les instruments modernes sans doutes plus efficaces que ceux de cette époque, mais l’argument principal reste celui du fait que les échantillons découpés ont été pollués voire même dérobés, échangés. Bref, on a l’impression à la lecture de certains passages que les scientifiques qui se sont occupés de ces expériences ont tout fait pour rendre les résultats conformes à leurs souhait de faire du suaire un linge du Moyen Age. Des analyses plus récentes à l’aide d’une nouvelle technique de datation appelée Dispersion de Rayons X aux Grands Angles (WAXS) prouverait que le linge daterait bien de l’époque du Christ et rebattrait les cartes de l’authenticité du linge.
Il m’a manqué également une analyse plus précise et scientifique autour de l’image elle-même qui s’est trouvée piégée dans les fibres de lin. Alors oui, ce n’est pas une peinture, en tout cas quand on l’analyse aujourd’hui, car l’image est inscrite au cœur de la fibre naturelle. Mais est-ce que cette image fantomatique ne pourrait pas être l’ombre d’une peinture médiévale qui se serait désagrégée au fil du temps ? Et l’explication finale de l’auteur pour résoudre l’énigme de la création de cette image n’est rien de moins que la résurrection de Jésus : en effet, pour lui l’image est la preuve irréfutable de la désintégration du corps du Christ qui aurait laissé à un niveau subatomique cette trace visible uniquement en négatif. Le dernier chapitre est, à ce titre, un parfait exemple de prosélytisme car l’auteur met en coïncidence, sans aucun esprit critique, les récits de la Bible concernant la Passion du Christ et les « preuves » des traces sur le Suaire : chaque éléments retrouvés sur le linge serait la preuve de ce que la Bible décrit. C’est le Graal des historiens et archéologiques bibliques qui depuis des années cherchent en particulier en Israël des preuves tangibles non pas tant de l’existence de Jésus mais des évènements miraculeux qui entourent sa courte existence. C’est comme ces policiers qui font une enquête pour mettre en prison le coupable idéal qu’ils ont déjà repéré : ces erreurs judiciaires sont plus nombreuses qu’on le croit et ces biais cognitifs très fréquents.


Au final, si ce livre nous en apprend beaucoup sur le sujet, il est effectivement complet sur l’histoire du Suaire et des recherches récentes autour de lui, il n’est absolument pas un ouvrage d’historien. Et c’est ce que j’aime de moins en moins dans l’Histoire, c’est cette impossibilité de parvenir à un écrit à peu près vrai et objectif quand ceux et celles qui l’écrivent mettent tant d’eux-mêmes dans la balance. J’aurais aimé que Jean Christian Petitfils nous avertisse tout de suite sur sa foi pour que le lecteur ne perdre pas son temps à comprendre à demis-mots que l’auteur est convaincu de l’authenticité du Suaire, alors que tous les papes ont tous émis des doutes et n’ont jamais appelé le linge une relique mais bien une image.
La foi ne fait pas bon ménage ni avec l’Histoire ni avec la Philosophie ou la Politique, car elle exige de l’humain des preuves totales qui oblitèrent l’esprit critique et l’entendement certes faillible mais combien plus poétique. C’est pourquoi au terme de ma lecture de cet ouvrage, je reste sur le mystère de ce Suaire et surtout sur la dévotion populaire qui l’entoure à chaque de ses monstrations tant passées que présentes. C’est ici l’imaginaire qui est au centre du sujet : il faudrait écrire le roman du Suaire et non son histoire pour explorer toutes les possibilités même les plus étranges qui pourraient rendre compte de sa réalité.

Alors pour finir il vaut mieux visionner cet épisode de « Faire l’Histoire » sous la direction de Patrick Boucheron sur Arte.


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