Participation citoyenne : un bilan

Elue depuis 2020 d’une petite commune ligérienne qui a tenté l’expérience de la participation citoyenne, je voudrais faire ici un bilan de ce processus. Depuis plusieurs années, et j’en ai fait partie, bon nombre d’acteurs des territoires ont vu dans la participation citoyenne une des solutions au manque de démocratie qui caractérise notre époque. A tel point que même au plus haut sommet de l’Etat on a fait de ce dispositif un des axes majeurs de la politique élyséenne avec, entre autre, la convention citoyenne pour le climat.

Participation partout ?

A l’échelle locale c’est même devenu un poncif et la réponse à presque toutes les questions démocratiques : les budgets participatifs, les concertations locales, les ateliers collaboratifs, les commissions citoyennes comme dans ma commune de Malville. Après les débuts timides dans quelques communes pionnières comme Saillans ou Monnières, la participation citoyenne est aujourd’hui un outil bien intégré dans les pratiques politiques des élus et des techniciens. Sauf que, après plusieurs années d’expérimentation et de mise en pratique à grande échelle, et non plus de discussion dans des forum militants, et au contact des citoyens participants ou non, je suis plutôt mitigée sur le bilan de cet élan. A mon enthousiasme d’il y a 4 ans, où je voulais de la participation partout et tout le temps, j’en suis réduite à me dire que cette belle utopie s’est elle aussi fracassée sur les constats de la réalité immédiate du quotidien. Aujourd’hui je pense que la participation citoyenne n’est pas la réponse au manque de démocratie et qu’il ne faut surtout pas en faire partout et tout le temps, même si cela reste un instrument intéressant dans certaines situations très précises de la vie politique locale.
Pourquoi un tel désaveu ?

Où sont les femmes ?

La première raison et pour moi la principale, surtout en milieu rural et dans une petite collectivité c’est le manque de diversité et de représentativité parmi les citoyens participants. Tous les citoyens ne participent pas de manière égale aux processus participatifs. Certains groupes socio-économiques ou démographiques peuvent être sous-représentés, ce qui peut biaiser les résultats et ne pas refléter les besoins de la population dans son ensemble ni les opinions de toutes les parties prenantes. En effet, j’ai très vite constaté qu’une catégorie centrale de la population ne s’inscrivait pas aux comités citoyens et si elle faisait l’effort de la démarche, ne restait pas longtemps : ce sont les femmes de moins de 50 ans, c’est-à-dire les femmes actives et mères de famille. Quand j’ai fait un rapide sondage auprès de quelques impétrantes elles m’ont toutes fait la même réponse avec la même argumentaire : « quand j’ai du temps je préfère le prendre pour moi ». Cette phrase me met dans une colère noire car elle sous-entend qu’en 2024 ce sont encore et toujours les femmes qui mènent des doubles vies, professionnelles et familiales, et que la charge mentale de la famille n’est absolument pas partagée avec les conjoints, puisque le peu de temps qu’il leur reste dans la soirée ou la journée, elles préfèrent bien évidement le passer à se détendre que d’enfiler une énième casquette en participant à la vie locale. La politique, au sens d’engagement citoyen, n’est toujours pas ouverte aux femmes actives et mères… quand les hommes peuvent se permettre de venir aux réunions du soir, leurs compagnes restent à la maison parce qu’elle ont en déjà trop fait dans la journée ! Au contraire, nos comités sont remplis d’hommes, plutôt âgés. Dans certains comités spécifiques et techniques, comme ceux en lien avec la voirie ou la ruralité, la parité est en plus totalement inexistante, avec parfois deux ou trois femmes pour une dizaines de messieurs. Comment dans cette situation laisser la place à la parole féminine ?

Peu d’engagement

Le processus de participation est également long et fastidieux et il peut démotiver les personnes qui n’envisagent cet engagement que comme un « à côté » de leur vie personnelle, ce qui n’est pas le cas des élus qui ont fait des choix conscients qui ont des conséquences directes sur leurs vies. La réunionite aiguë vécue en entreprise peut aussi apparaître dans une commune. Par contre, ce qui m’a frappé et parfois déstabilisé c’est le manque de respect de certains citoyens qui arborent un comportement de consommateur : ils décident de ne plus venir aux réunions sans en parler au collectif, sans argument et sans trouver de remplaçant alors que cette clause est fondamentale pour le bon fonctionnement de la démocratie locale et qu’elle est stipulée dans la charte qu’ils signent. Cette désinvolture est caractéristique de toute la société et elle est le signe du manque flagrant de culture politique au sens noble du terme dans notre pays. De même, il est difficile pour les citoyens participants de se défaire d’un biais inhérent qui consiste à vouloir faire passer son intérêt personnel avant celui du bien commun. Le lobbyisme n’est pas absent des petites communes et les comités participatifs se sont parfois transformés en cabinets parallèles d’experts.

Et les élus ?

Le problème de la participation n’est pas uniquement du fait des citoyens. Les élus ont aussi des manques, et le plus important est à mon sens la culture et la connaissance des principes et des valeurs de la participation démocratique. Pour que cela puisse fonctionner il faut que cela fasse partie du projet certes mais aussi de la façon de fonctionner de tous les élus et des agents. Pour cela il faut se former, en particulier à l’animation des groupes collaboratifs. Ou comme dans certains communes, engager un tiers (agent territorial dédié ou consultant) qui organise les réunions, qui anime les débats, qui rédige les comptes rendus, qui fait le lien entre les participants, qui fait vivre les comités.

Enfin, pour ce bilan mitigé, je pense à présent, après plusieurs années à défendre les collectifs et à les faire vivre, que la participation pour tous et tout le temps n’est pas la solution à la crise démocratique. La participation citoyenne doit être un outils et non une fin : la participation pour la participation vide de son objectif le processus même. Ainsi, dans certains comités, les réunions d’information ont été transformées en ateliers de travail plus pointus sur une seule thématique. Les groupes sont alors plus souples et s’adaptent plus facilement aux agendas des actions à mener. Un groupe se créé sur tel point pour quelques mois, met en place une action, par exemple un sondage de la population sur l’usage futur d’un bâtiment communal. Puis le groupe se dissout une fois l’action menée et le bilan dressé. Dans le même temps d’autres groupes issus du même comité se montent et les citoyens comme les élus peuvent aller et venir plus simplement dans les instances. De même, dans cette optique, les réunions de travail n’ont plus forcément lieu le soir… mais peuvent se tenir en journée en semaine ou le samedi matin. Ainsi, avec des groupes plus petits, l’agilité spatiale et temporelle permet un appréhension plus fine des dossiers. Mais ces organisations sont difficiles à faire perdurer dans le temps, en particulier face aux urgences quotidiennes des agents territoriaux. En effet, si ces derniers viennent à changer de poste et si les recrutements se font prioritairement sur les compétences professionnelles et moins sur l’aspect participatif, la collectivité perd alors des usages qui ne peuvent plus revenir. L’une des difficultés reste bien le création d’un binôme élu-agent qui résiste dans le temps pour que l’historique du dispositif né après les élections de 2020 puisse perdurer.

Revoir la copie

En définitive, après plusieurs expériences collaboratives dans des univers différents (école, entreprise, commune), je pense que le travail collectif n’est pas la seule solution car il n’est pas adapté à nos besoins ni surtout en phase avec la réalité socio-économique de notre monde. La réalité est que la société est individualiste et qu’il est de plus en plus difficile de sortir de sa zone de confort (famille, amis, voisinage) pour aller donner du temps et de l’énergie pour un groupe plus vaste composé d’inconnus. J’ai longtemps pensé que le collaboratif pouvait être un levier pour lutter contre cet individualisme mais en fait l’inertie de notre monde, du « on fait comme cela depuis toujours » et « je n’ai pas le temps pour cela » me rend quelque peu amère sur ce modèle alternatif que j’ai défendu durant 10 ans. Car même dans les milieux militants ou dans d’autres univers, les égos et la volonté de pouvoir (quand on en a un petit peu) transforment les situations et faussent les rapports humains. Le projet politique ne peut plus être seulement la participation citoyenne, ce n’est pas l’horizon qui enchantera nos lendemains. Mais que proposer à la place ? C’est là tout l’enjeu des prochaines années.


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