Les lectures de l’été sont souvent plus légères et faciles que celles que l’on s’impose tout au long de l’année. Je lis souvent des romans en même temps que des essais et j’apprécie que les premiers me fassent quitter la réalité pour des sphères où l’imagination est reine. Je lis de moins en moins de « romans » contemporains qui ont trop tendance à être des récits personnels ou ceux qui traitent de sujets déjà débattus dans les médias, en particulier ceux liés aux violences faites aux femmes. J’apprécie peu, avec l’âge, de passer du temps à lire un texte qui me plonge dans un vécu ou des expériences que j’ai pu moi-même subir. Mais je dois dire que le livre d’Emilia Hart, La maison aux sortilèges, bien que très actuel dans son sujet féministe, m’a transporté dans un imaginaire séculaire grâce en partie à une langue souple et élégante.

synopsis
L’histoire est celle de trois femmes britanniques aux travers des siècles qui vivent au même endroit, dans la même petite maison qu’elles se transmettent de génération en génération. Altha est une jeune femme du XVIIe siècle accusée de sorcellerie par son village. Violet est une adolescente naïve et coupée du monde par un père tyrannique qui vit en 1942. Enfin Kate, notre contemporaine, est une femme fragile depuis la mort accidentelle de son père dont elle se croit responsable et qui subit les violences quotidiennes d’un compagnon brutal. Ces trois femmes sont liées par le sang puisque les deux dernières sont les descendantes de la première. Kate est par ailleurs la petite-nièce de Violet. Les trois femmes ont deux points communs. Tout d’abord elles possèdent un don particulier et exceptionnel, celui de « dialoguer » avec la nature, en particulier avec les insectes et les oiseaux. Elles comprennent les signes que le monde leur envoie et elles ont même un certain pouvoir sur lui. Ce pouvoir terrifie la société et surtout les hommes. De ce fait, elles subissent toutes des violences à la fois psychologiques, physiques et sexuelles. Elles sont les archétypes de ce que les femmes vivent depuis des siècles dans ce monde patriarcal. Les pères qui imposent leurs lois ; les hommes qui violent ; les conjoints qui frappent ; les juges qui décident de votre vie ou de votre mort. Bref, ces trois histoires nous rappellent en un roman tout ce que peut être la domination masculine sur les femmes. Mais ces trois femmes vont, à leur manière, décider de résister et même de se rebeller contre cet ordre des choses et c’est pour cela qu’elles devront vivre parfois en dehors de la société qui les regarde un peu comme des bêtes curieuses.
Des femmes résistantes
Les trois personnages féminins sont dépeint avec beaucoup de délicatesse, entre sensibilité qui confine parfois à la naïveté et qui peut faire apparaître ces femmes comme des victimes alors que c’est bien souvent l’ignorance dans laquelle le monde masculin les tient pour les empêcher d’exprimer leurs dons. Et de ce fait, les trois personnages, au moment de la compréhension de ce qu’elles sont vraiment, prennent des décisions courageuses qui leur permettent de gagner leur autonomie.
De l’autre côté, l’auteur peint des personnages masculins tous plus mauvais et perfides les uns les autres. Cela peut sembler même une caricature. Puis à la lecture on en arrive à la conclusion que, au regard des faits divers de ces derniers temps, le mal et le mâle ne se distingue vraiment que par une seule petite lettre ! Le tyran, le violeur, le pervers narcissique, le méprisant, le dominateur… finalement, toutes les femmes de cette planète et de toutes les époques ont rencontré un exemplaire de ces « hommes lambda ». Ainsi, le roman d’Emilia Hart est bien un roman de son époque, écrit par une femme pour des femmes ; un roman d’initiation qui nous permet de comprendre que la domination masculine n’est pas une fatalité et que les femmes peuvent vivre heureuses, joyeuses et puissantes sans un homme auprès d’elles. Elle rappelle aussi que les femmes ont une connexion singulière avec la nature et le monde naturel, qui est une forme de pouvoir qui a été depuis trop longtemps gâché et caché aux regards malveillants. Ces sorcières qui furent les victimes des juges civils ou religieux sont en fait des femmes (il y eu aussi des hommes) qui connaissaient les arcanes de la nature et qui savaient les utiliser à bon escient. Et c’est la rationalité et le scientisme de l’époque moderne qui considérèrent ces connaissances ancestrales comme une superstition.
Les femmes doivent pouvoir renouer avec ces secrets :
« Elle avait l’impression qu’on venait de lui retirer un bandeau des yeux. Elle n’avait pas mesuré à quel point elle était devenue sourde au monde – à présent ses terminaisons nerveuses semblaient crépiter d’électricité. »
La qualité littéraire du roman, bien que traduit de l’anglais avec brio par Alice Delarbre, est un indéniable atout pour ce premier roman. La langue est véritablement addictive, douce et souple comme un champs de blé qui ploie sous le vent du matin. La construction est classique, les chapitres qui se succèdent décrivent les vies des trois héroïnes chacune à son tour, soit à la première personne soit à la troisième personne. Le suspens n’est pas absent du livre car Altha, Violet et Kate se retrouvent chacune à leur époque dans des situations dangereuses mais dont la fin sera une vraie surprise à chaque fois pour la lectrice.
féminisme contemporain
Le roman d’Emilia Hart fait partie de ces œuvres actuelles qui nous permettent d’ouvrir les yeux et de comprendre que le monde change et que la parole se libère et que les femmes ont décider de résister. Alors, oui, dans cette Révolution la violence et la honte commencent à changer de camps et cela ne se fait pas sans dommages collatéraux. Quand j’entends ou je lis, dans la suite de #Metoo, #NotAllMen… et bien en fait si… ce roman comme les faits divers du moment nous prouvent que si, tous les hommes sont nourris, pour la plupart d’entre eux certes inconsciemment, de la culture du viol et de la domination et de l’idée saugrenue que les femmes sont leurs propriétés et des objets soit sexuels soit domestiques. Mais en fait, parler des hommes c’est encore faire partie du modèle patriarcal. Donc parlons des femmes, comme le fait Emilia Hart, de leurs forces et de leurs faiblesses et de leur façon de les dépasser comme Violet qui décide d’être la seule maîtresse de sa vie et de son corps ou de Kate qui utilise la violence de la nature contre son bourreau pour se venger. Les trois personnages de la Maison aux sortilèges peuvent être nos modèles car leurs épreuves sont celles que nous toutes nous endurons ou avons endurés. Elles nous montrent comment nous pouvons nous connaître nous-mêmes, au-delà de ce que la société veut faire du féminin et surtout du corps féminin.
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