Ces dernières décennies, la ruralité connaît de profonds bouleversements. Avec l’arrivée des néo-ruraux, c’est-à-dire ces habitants qui choisissent de s’installer à la campagne sans pour autant avoir de racines paysannes, le paysage sociétal rural se transforme. Il y a quelques décennies, cet « exode urbain » était encore le fait de personnes qui avaient pu connaître la campagne, qui avaient encore des grands-parents paysans et qui, comme moi-même, ont passé une partie de leurs vacances dans une ferme quelque part en France. Mais à présent, les nouveaux néo-ruraux n’ont plus ces racines, ils sont nés dans des familles urbaines qui ont perdu ce lien avec la terre.
Ce mouvement migratoire s’inscrit dans une quête de calme et de proximité avec la nature, mais il soulève des enjeux majeurs : comment concilier cette nouvelle ruralité avec les contraintes écologiques qui s’imposent à tous, et avec des usages qui restent souvent urbains ?
Un renouveau de la ruralité : mythe ou réalité ?
Les néo-ruraux sont souvent perçus comme des personnes désireuses de fuir la vie citadine pour retrouver un rythme plus humain et une proximité avec la nature. Cette image, bien que parfois vraie, masque la réalité complexe de ces nouvelles installations. En effet, les prix des logements dans les grandes agglomérations sont également en cause et poussent les jeunes actifs à s’éloigner des centres-villes. Beaucoup de ces nouveaux arrivants continuent de dépendre des villes pour leur emploi, leurs loisirs ou leurs besoins essentiels, accentuant le phénomène d’« urbanisation diffuse ». En somme, ils vivent à la campagne tout en conservant un mode de vie principalement urbain. C’est ce que l’on nomme la « périurbanisation » en géographie.
Cette nouvelle ruralité amène également un changement des attentes en termes de services, d’infrastructures, mais aussi de mode de vie. Les nouveaux néo-ruraux réclament des services similaires à ceux des zones urbaines : internet haut débit, transports en commun fiables, commerces de proximité, etc. Ces attentes, qui peuvent entrer en conflit avec le mode de vie traditionnel des campagnes, posent un véritable défi pour les communes rurales. Plus on se rapproche d’une grande agglomération et plus les petites communes périurbaines peuvent apparaître comme des « villages dortoirs » où on ne fait que rentrer le soir. On fait ses courses sur le chemin du travail, on sort le vendredi soir à la ville, on va chez le médecin spécialiste à plusieurs dizaines de kilomètres de son habitation, parfois même la Poste a disparu du bourg et il faut faire un détour pour récupérer un colis.
Comment accueillir ces nouveaux habitants tout en préservant l’identité et les particularités de la vie rurale ? Comment ne pas devenir une « petite ville à la campagne » et résister aux exigences parfois déplacées de ces « ruraux » qui veulent bien la campagne mais avec les avantages de la ville ? Les conflits d’usage deviennent nombreux. On a vu depuis quelques temps, dans les médias, ces nouveaux arrivants se plaindre des odeurs des élevages ou du bruit des cloches de l’église. Certains maires font apposer à l’entrée du village un panneau qui rappelle que la campagne ce sont aussi des « nuisances » qui existaient bien avant l’arrivée des urbains. Ces conflits peuvent être parfois surprenant : on demande un éclairage public dans un hameau en rase campagne… ou des passages piétons en milieu d’une départementale !

Les contraintes écologiques : un défi commun
En parallèle, la question des contraintes écologiques se pose avec une acuité croissante, tant en milieu urbain qu’en milieu rural. La transition énergétique, la préservation des ressources en eau, la biodiversité, ainsi que la gestion des déchets et des émissions de gaz à effet de serre sont des défis auxquels toutes les régions sont confrontées, rurales ou non. La ruralité, autrefois perçue comme un espace où la nature domine, est également menacée par la pollution, l’urbanisation et les dérèglements climatiques.
Ici, la tension entre modes de vie néo-ruraux et contraintes écologiques se fait sentir. Beaucoup de néo-ruraux, malgré leur volonté de se rapprocher de la nature, utilisent des modes de vie qui accentuent la pression écologique : usage accru de la voiture en raison du manque de transports publics, grands espaces résidentiels énergivores, consommation importée des villes, etc. La transition écologique doit donc non seulement être pensée à l’échelle globale, mais aussi adaptée aux spécificités locales et à cette nouvelle ruralité. Ainsi, la nouvelle norme de la ZAN, zéro artificialisation nette, qui prévoit de réduire drastiquement la consommation de terres pour l’urbanisation, conduit les collectivités à densifier les centres-villes, les bourgs mais aussi les espaces ruraux. Ainsi, on envisage de construire des petits ensembles collectifs d’un ou deux étages dans les villages ou les hameaux…
Redéfinir la ruralité à l’aune de la transition écologique
Comment, dès lors, concilier cette nouvelle réalité rurale avec la nécessaire transition écologique ? Une des pistes pourrait être la co-construction de projets de territoire entre les habitants historiques, les nouveaux arrivants, les municipalités et les acteurs de la transition écologique. Ce dialogue est essentiel pour éviter que des clivages se creusent entre les habitants « de souche » et les nouveaux venus, souvent perçus comme étrangers aux problématiques agricoles et rurales. Il faut faire dialoguer les différents « usagers » des campagnes : agriculteurs, randonneurs, chasseurs, habitants…
Les solutions doivent être locales et adaptées aux spécificités de chaque territoire. Ainsi des initiatives d’agriculture durable et de circuits courts peuvent non seulement revitaliser l’économie locale, mais aussi créer du lien social entre les différents acteurs du territoire. Les magasins de producteurs font partie de cette dynamique. Ils sont de plus en plus plébiscités non seulement par les agriculteurs et éleveurs qui y trouvent un débouché intéressant pour leurs produits à des prix qu’ils ont eux-mêmes fixés, mais aussi par les consommateurs qui y retrouvent un mode de consommation proche du supermarché. Des coopératives d’énergie renouvelable, des politiques locales d’aménagement limitant l’étalement urbain, ainsi que la promotion de la mobilité douce sont autant de solutions qui peuvent permettre une cohabitation harmonieuse entre la ruralité et les impératifs écologiques. Par exemple l’association Terre de Liens, qui achète des terres agricoles grâce à sa Fondation et qui propose des baux emphytéotiques à de jeunes agriculteurs en bio, peut être un intermédiaire solide dans cette transition.
Encourager une écologie du quotidien
L’écologie à la campagne ne se limite pas à de grands projets structurels ; elle peut aussi être une démarche quotidienne. Les néo-ruraux, bien que souvent perçus comme déconnectés des réalités agricoles, peuvent être de précieux alliés dans cette transition. Ils apportent souvent une sensibilité écologique développée en ville, où la prise de conscience environnementale est plus marquée. Mais il faut pouvoir faire se rencontrer les deux mondes qui sont souvent caricaturés, entre l’agriculteur pollueur et le néo-rural-bobo-écolo venu à la campagne avec une image idéalisé du territoire.
Les pratiques telles que le compostage, la récupération de l’eau de pluie, l’utilisation des énergies renouvelables et la réduction de l’empreinte carbone personnelle doivent devenir des réflexes partagés par tous, qu’ils soient néo-ruraux ou ruraux de longue date. Une écologie du quotidien, à l’échelle individuelle mais aussi collective, est indispensable pour réussir cette transformation. Et c’est là que les collectivités locales et surtout les municipalités ont un rôle à jouer, dans ce rapprochement réciproque, par exemple en proposant des ateliers « zéro déchets » ou en pesant au niveau des départements ou des régions pour créer des voies douces ou de nouvelles lignes de transport en commun.

Vers une nouvelle identité rurale
La cohabitation entre néo-ruraux et anciens habitants des campagnes est donc un défi à relever, mais aussi une formidable opportunité de repenser le rôle de la ruralité dans un monde en pleine mutation écologique. Plutôt que de voir l’arrivée de ces nouveaux habitants comme une menace, elle peut être perçue comme une chance de renouveler la ruralité, capable de répondre aux enjeux du XXIe siècle. Il faut pouvoir s’appuyer sur les héritages du passé mais sans s’y accrocher et sans vouloir revoir les campagnes des années 50. Mais au contraire, profiter des nouvelles technologies et des consciences écologiques pour créer une nouvelle ruralité.
Les villages et communes rurales ont une carte à jouer dans cette transition : en se réinventant autour de valeurs écologiques, de solidarité locale et de coopération entre anciens et nouveaux habitants, ils peuvent devenir des modèles d’équilibre entre modernité et préservation de la nature. La ruralité de demain sera celle qui saura concilier l’ancien et le nouveau, la tradition et l’innovation, dans un souci commun de respect et de protection de notre planète.
En savoir plus sur Bisogna Morire
Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.