Déception face au dernier ouvrage de Mona Chollet : un rendez-vous manqué ?

Jusqu’ici, j’étais une lectrice assidue des écrits de Mona Chollet. Chaque nouveau livre de son cru était pour moi une promesse : celle de longues heures de réflexion, de confrontation aux injustices dénoncées, mais aussi d’indignation. C’est donc avec enthousiasme que j’ai acheté son dernier ouvrage, Résister à la culpabilisation, sur quelques empêchements d’exister, me préparant à cette habitude de lectures enrichissantes. Malheureusement, cette fois-ci, l’expérience a viré à la torture. Jamais auparavant je n’avais été aussi déçue par une de ses œuvres. J’ai même sauté des pages, un geste rarissime dans mon parcours de lectrice.

Une admiration déplacée

Dès le début, mon enthousiasme a été douché par une surprise de taille : l’admiration déclarée de Mona Chollet pour Elizabeth Gilbert, l’autrice du livre Mange, prie, aime. Certes, ce livre et le film qui en a été tiré sont agréables à regarder, mais de là à en faire une source d’inspiration constante ? Nous sommes dans le domaine du développement personnel, et pas du tout dans un univers philosophique ou sociologique rigoureux. Ma première grande déception, donc.

Mais je n’ai pas voulu juger trop vite. Après tout, il est toujours possible qu’un auteur surprenne au-delà de ses références. J’ai donc poursuivi ma lecture, non sans quelques réserves.

Une dérive nombriliste et des sources douteuses

Très vite, j’ai constaté un autre problème : Mona Chollet parle beaucoup d’elle-même. Si cette approche introspective est parfois utile pour illustrer un propos, ici, elle prend une place démesurée, diluant le sujet dans des considérations personnelles qui n’apportent pas grand-chose à la réflexion collective. Qui plus est, ses « sources » laissent à désirer : des blogs, des podcasts, des récits d’amies, ou encore des ouvrages de thérapeutes anglo-saxons peu accessibles au grand public. Ce manque de rigueur est déconcertant, d’autant plus pour une autrice respectée, même si souvent critiquée.

On se retrouve ainsi face à un ouvrage où les généralités abondent et où les anecdotes personnelles tiennent lieu de preuves. Et cela devient franchement irritant.

Une vision manichéenne de l’éducation

Le chapitre sur l’éducation des enfants a été particulièrement déroutant. Chollet y propose une vision radicale : l’unique solution à tous les problèmes éducatifs serait l’éducation positive prônée en Scandinavie, faisant abstraction des voix divergentes. Elle semble oublier que depuis quelques années les éducateurs du Nord remettent en cause cette éducation qui produit des « enfants tyrans ». L’autrice, qui n’a aucune expérience de près ou de loin avec le monde éducatif, nous explique que ces enfants tyrans n’existent pas… elle devrait faire des stages dans les écoles pour se rendre compte de l’ineptie de son propos.

En tant qu’enseignante, je ne peux qu’être perplexe devant une telle simplification. L’éducation positive, si elle a ses mérites, n’est pas exempte de critiques, y compris dans les pays qui en sont à l’origine. De plus, la diabolisation des psychologues comme Caroline Goldman ou Aldo Naouri, accusés d’encourager la maltraitance, est un raccourci déconcertant.

L’éducation des enfants est bien plus nuancée que ce que l’autrice laisse entendre. La bienveillance, lorsqu’elle vire au laxisme, peut aussi devenir une forme de maltraitance. L’autorité, dans certaines situations, est nécessaire pour encadrer des enfants qui, contrairement à ce que semble croire Chollet, ne savent pas instinctivement ce qui est bon pour eux.

Une culpabilisation omniprésente

Le sentiment de culpabilité traverse l’ensemble du livre, alors même que Mona Chollet semble vouloir s’en libérer. En dénonçant les attentes et les pressions imposées aux femmes – qu’il s’agisse de leur rôle de mères, de leur comportement au travail ou encore de leur engagement militant – elle finit par renforcer ces mêmes injonctions qu’elle critique. Sous couvert de déconstruire les normes patriarcales et les héritages culturels qui poussent les femmes à se sacrifier, Chollet, sans le vouloir, instaure de nouvelles normes, tout aussi étouffantes.

Les femmes qui lisent ce livre, et qui, épuisées par leur quotidien, élèvent parfois la voix sur leurs enfants ou imposent des règles strictes pour maintenir un semblant de discipline, se retrouveront immédiatement cataloguées comme étant dans l’erreur. Il n’y a pas de place, dans cet ouvrage, pour la nuance ou pour des approches éducatives différentes. Soit vous êtes une mère « bienveillante », toujours à l’écoute des besoins de l’enfant, soit vous tombez dans la maltraitance émotionnelle et l’oppression parentale. Ce manichéisme est d’autant plus dangereux qu’il fait peser sur les mères une nouvelle forme de culpabilité, leur suggérant qu’elles échouent continuellement à atteindre un idéal inatteignable.

Le même schéma de culpabilisation se retrouve dans le chapitre consacré au militantisme féministe et progressiste. Chollet aborde la question des conflits internes au sein des mouvements militants, où certains membres jugent sévèrement ceux qui ne sont « pas assez » engagés ou dont les propos sont jugés sexistes ou racistes. L’autrice entend nous prévenir contre cette tendance à l’agression intra-militante, mais elle tombe elle-même dans ce piège en culpabilisant ses lectrices. Par exemple, lorsqu’elle aborde la question des privilèges des femmes blanches issues de milieux bourgeois, elle semble tenir un double discours : d’un côté, il ne faut pas se sentir coupable de ces privilèges, car tout être humain en possède par rapport à d’autres, mais de l’autre, il est bien de reconnaître que ces privilèges limitent la portée de la parole universelle.

Ce tiraillement constant crée une situation où les lectrices, en particulier celles issues des milieux plus aisés, peuvent difficilement échapper à la culpabilité. Elles ne peuvent que se sentir en faute, soit pour leur position sociale, soit pour leur incapacité à exprimer un discours légitime. Ce paradoxe renforce l’idée que, dans le monde militant progressiste, la critique des privilèges peut devenir une nouvelle source de culpabilisation, enfermant les individus dans une quête perpétuelle de justification de leurs paroles et actions. Ce phénomène contribue à mon désengagement personnel des groupes militants : leur refus du débat et du sens critique, et cette tendance à juger plutôt qu’à réfléchir.

La culpabilisation liée à la maternité

Le chapitre sur la maternité résonne un peu plus juste dans la mesure où il pointe un problème réel : la maternité est souvent perçue, par la société et les mères elles-mêmes, comme un sacrifice. La « mère parfaite » est celle qui s’oublie entièrement pour le bien-être de sa famille, laissant de côté ses ambitions et ses plaisirs personnels. Chollet souligne également que cette pression vient parfois davantage des femmes elles-mêmes, qui jugent sévèrement leurs sœurs. Ce constat, peu partagé mais pertinent, pourrait nous inciter à repenser nos priorités en tant que femmes avant de nous sacrifier pour autrui. La sororité devrait être notre idéal et non le jugement des unes envers les autres sous le couvert de la morale patriarcale. Mais attention, car la morale moralisante est aussi du côté des nouveaux progressistes qui commencent à créer une nouvelle Inquisition !

Cependant, ce chapitre est également traversé par cette tonalité culpabilisante : celles qui n’adhéreraient pas pleinement à ce modèle seraient implicitement fautives. Encore une fois, la nuance fait défaut et les injonctions prennent le pas sur la réflexion.

Le monde du travail : un constat sans innovation

Le chapitre consacré au monde du travail n’apporte rien de très nouveau. Chollet nous rappelle que, dans une économie post-libérale, les femmes continuent d’être les grandes perdantes, jonglant entre vie professionnelle et responsabilités familiales. Elles restent sous-payées, surchargées et coupables de ne pas être à la hauteur. La mention de la gymnaste Simone Biles, qui a osé renoncer à une compétition pour préserver son bien-être mental et physique lors des JO de 2021, est intéressante. Elle est pourtant devenue championne olympique aux derniers JO de Paris ! Il faut donc savoir s’écouter, écouter son corps alors que tout le système nous dit de continuer à produire. Voilà une ritournelle maintes fois entendues, surtout dans la sphère du développement personnel.

Une conclusion amère

En somme, ce livre m’a vraiment déçu. Non seulement par sa forme, qui manque de solidité, mais surtout par son ton, souvent moralisateur alors qu’il est censé au contraire donner des clés aux femmes d’aujourd’hui pour réduire la part sacrificielle qui est notre héritage commun depuis des millénaires. Mona Chollet fait état dans plusieurs paragraphes de son bonheur d’avoir quitté son emploi salarié pour devenir autrice à plein temps. Espérons que son prochain projet soit mieux mené et digne de ses précédents ouvrages.


En savoir plus sur Bisogna Morire

Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.

3 commentaires sur “Déception face au dernier ouvrage de Mona Chollet : un rendez-vous manqué ?

  1. merci pour votre long avis argumenté sur cet ouvrage, vous mettez des mots sur ce que j’ai ressenti tout au long de ma lecture. J’avais déjà été déçue par son précédent ouvrage que j’avais trouvé mal sourcé et plus de l’ordre d’une introspection voire billet de blog que d’un essai. Il est souvent difficile d lire des avis divergents sur les ouvrages de Mona Chollet car j’ai l’impression que si on adhère pas c’est qu’on est anti féministe.

    Aimé par 1 personne

    1. Bonjour, merci pour votre commentaire. Je suis d’accord avec vous : cela devient difficile de critiquer certaines auteures car dans notre société polarisée si on n’est pas pour on est forcément contre… il n’y a plus de nuances ! Conservons notre esprit critique.

      J’aime

  2. Bonsoir,
    Déçue également par ce nouvel essai de l’auteure Mona Chollet et de la tournure qu’est en train de prendre le « féminisme » aujourd’hui… J’expose quelques idées à ce sujet dans mon commentaire sur cette lecture. Cette fois pourtant, le seul titre du livre paraissait prometteur…
    Belle soirée 🙂

    Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.