La dame au petit chien

Cela fait 5 ans que je fais le même trajet quotidien pour me rendre à mon travail. Je n’habite pas très loin, d’une campagne à une autre. La route n’est pas difficile, je passe par un axe majeur du département, et je suis « dans le bon sens » je n’ai pas à affronter les embouteillages de ceux qui se rendent dans les deux grandes agglomérations de Nantes et Saint Nazaire. Quand j’arrive dans la petite ville où je travaille, j’entre par une grande avenue, de celle que les biens pensants urbains et surtout parisiens appellent « la France moche ». C’est une avenue bordée d’entreprises et d’industries, celles qui font encore fonctionner notre pays. Tous les matins c’est le ballet des camions, des bus qui entrent par les portails dans les cours des entreprises. C’est une zone dédiée à la voiture et aux transports lourds. Il y a bien pourtant une toute petite piste cyclable empruntée par quelques vélos et des trottinettes.

Depuis 5 ans, tous les matins (j’arrive avant 8h), qu’il vente, qu’il pleuve, qu’il neige (c’est assez rare par chez nous), qu’il fasse jour ou que la nuit s’attarde encore, je croise la route d’une dame avec un petit chien. Elle remonte le grand boulevard déjà encombré, tenant en laisse son chien, une forte de griffon au poil hirsute. La dame est toujours vêtue d’une veste de pluie orange criard, pour bien être vue par les automobilistes car elle marche le long de la route. La dame tient le chien en laisse, elle marche toujours du côté de la route et le chien est protégé, trottine du côté des grilles des entreprises. Je pense que tous les habitués, les travailleurs qui arrivent comme moi ou ceux qui partent de chez eux pour aller plus loin, l’ont remarquée. Elle a les cheveux courts et blonds, toujours en pantalon et toujours à faire sa promenade à la même heure, entre 7h45 et 7h55. Elle est devenue pour moi comme un marqueur de la journée qui commence. Elle va avec son petit chien, pour entamer sa journée elle aussi, dont j’ignore tout, à part ce petit morceau de vie volée.

A la rentrée, après les vacances, quand je suis arrivée sur le boulevard « moche », j’ai revu la dame… mais elle n’avait plus de laisse et le petit chien n’était plus à ses côtés. Elle marchait plus vite et d’ailleurs je l’ai croisée plus en aval de la route, presque au rond point qui fait bifurquer les automobilistes et les camionneurs vers telle ou telle métropole en empruntant la nationale. Elle portait toujours sa veste orange criarde mais ses bras étaient ballants. Je me suis sentie triste : le petit chien était certainement mort durant les vacances d’été ! En passant je n’ai remarqué aucun changement dans sa démarche, qui trahisse sa peine, mais j’ai été touchée par ce manque, comme si ce duo qui faisait partie de ma propre vie, de mes habitudes, m’avait été enlevé comme un plaisir dont je ne pourrais plus me passer.

Depuis deux mois, la dame continue sa promenade le long de la route, seule et en orange. Peut-être pour honorer le souvenir de son chien (c’est ce que je m’invente comme motif) ou plus simplement parce qu’une petite sortie le matin fait toujours du bien. Alors je guette, jours, après jours, pour voir si la dame sera accompagnée par un nouveau petit chien. Je sais que le deuil d’un compagnon à quatre pattes peut être long et douloureux et peut-être aussi que si elle adopte un nouvel animal, elle pourrait ne plus suivre le même itinéraire. Mais j’espère qu’elle continuera à entrer dans mon champ de vision quotidien encore longtemps, comme une ancre solide et tranquille dans un univers où tout est trop changeant


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