Dans le quotidien moderne, la notion de charge mentale est devenue un concept central. Introduite par la sociologue Monique Haicault dans les années 1980, la charge mentale désigne cet état d’épuisement psychique né de la gestion invisible des tâches : penser à tout, tout le temps, que ce soit au travail ou dans la sphère familiale. Mais cette charge mentale ne se limite pas à l’organisation pratique. Une autre forme, plus subtile et souvent moins nommée, nous habite : la charge mentale existentielle. Elle renvoie au poids des grandes questions qui jalonnent notre vie : être ou ne pas être libre ? Quelles responsabilités assumer ? Comment faire face à la finitude de l’existence ?
L’analogie entre charge mentale quotidienne et charge mentale existentielle
La charge mentale quotidienne repose sur une accumulation incessante de tâches, souvent invisibles : anticiper les repas, penser à payer les factures, organiser les activités des enfants. Elle s’impose à nous comme une évidence, au point de devenir un bruit de fond constant. Ses conséquences sont nombreuses : fatigue chronique, irritabilité, sentiment de submersion, voire des troubles plus graves comme l’anxiété ou le burn-out. Cette surcharge cognitive perturbe notre capacité à profiter pleinement de l’instant présent et altère notre bien-être global.

La charge mentale existentielle, quant à elle, est le produit de notre condition humaine. Être conscient de soi implique une confrontation permanente avec les questions fondamentales : « Quelles sont mes valeurs ? », « Quelle trace laisser ? », « Comment donner un sens à ma vie ? ». Ses origines plongent dans l’histoire de la pensée philosophique, où des auteurs comme Socrate, Kierkegaard ou Camus ont exploré ce poids lié à la conscience de soi et à la quête de sens. Cette charge se manifeste par une tension intérieure constante, oscillant entre aspiration et doute. Ses conséquences sont souvent profondes : un sentiment d’angoisse existentielle, une difficulté à se projeter, ou au contraire une fuite dans des distractions pour éviter de faire face à ces interrogations fondamentales.
Ces deux formes de charge mentale présentent donc une même dynamique : une sollicitation constante de notre esprit. Là où la charge quotidienne concerne le faire, la charge existentielle concerne l’être. Mais dans les deux cas, il s’agit d’apprendre à composer avec un trop-plein.
« Apprendre à vivre » : quelques pistes pour alléger la charge mentale existentielle
Si la charge mentale quotidienne peut parfois être partagée ou allégée par une meilleure organisation, celle qui concerne les grandes questions de l’existence semble plus solitaire. Mais vivre avec légèreté n’implique pas de négliger ces questions : c’est plutôt apprendre à leur faire face différemment.
Accepter l’incomplétude
Tout comme il est illusoire de penser pouvoir tout prévoir dans une journée, il est vain d’espérer résoudre toutes les questions existentielles. L’acceptation de l’incomplétude est une manière d’alléger ce fardeau. Il ne s’agit pas d’abandonner toute réflexion, mais d’accepter que certaines questions restent ouvertes, et c’est bien ainsi. Cette idée rejoint celle de Søren Kierkegaard, qui souligne dans La maladie à la mort : « Le désespoir est précisément cette contradiction intérieure entre l’infini et le fini. » Accepter cette dualité nous permet de relâcher le poids des exigences infinies.
Cultiver la gratitude

La charge mentale, qu’elle soit quotidienne ou existentielle, naît souvent d’un sentiment de manque : « Il faut que j’y arrive » ou « Je ne suis pas à la hauteur.» La gratitude, elle, recentre sur ce qui est déjà là, sur les moments de beauté fugace, sur ce que nous avons plutôt que sur ce qui manque. Marc Aurèle, dans ses Pensées pour moi-même, écrit : « N’oublie pas que tout ce qui arrive, arrive conformément à la nature, et ne te mécontente pas de ce qui te satisfait la nature. » Cette réflexion invite à reconnaître ce qui dépend de nous et à en tirer satisfaction.
Dédramatiser l’échec
L’échec est souvent perçu comme un poids insupportable, qu’il s’agisse d’échouer à concilier travail et vie personnelle ou de ne pas être « à la hauteur » de ses propres idéaux. Pourtant, échouer, c’est aussi apprendre. Albert Camus, dans Le Mythe de Sisyphe, affirme : « Il faut imaginer Sisyphe heureux. » Ce paradoxe nous enseigne que l’absurde de la condition humaine n’est pas un appel au renoncement, mais une invitation à persévérer et à créer du sens, même dans l’échec.
Se tourner vers le présent
Une grande partie de la charge mentale existentielle naît de projections dans le futur ou de ruminations sur le passé. Ralentir, se recentrer sur l’ici et maintenant, peut être une voie pour retrouver un peu de légèreté. Thich Nhat Hanh, moine bouddhiste et philosophe zen, écrit : « Lorsque vous marchez, marchez simplement. Lorsque vous mangez, mangez simplement. » Ces mots simples rappellent que le présent, pleinement vécu, est une porte vers la sérénité.
Partager et créer du lien
Les questions existentielles paraissent souvent écrasantes parce qu’elles sont intériorisées. Partager nos interrogations avec d’autres, que ce soit dans des discussions philosophiques ou des moments de vulnérabilité, peut les rendre plus légères. Emmanuel Levinas écrit dans Totalité et Infini : « La relation à l’Autre est la relation à l’infini. » En créant du lien, nous dépassons la solitude de nos angoisses pour trouver un écho dans l’humanité commune.

Vivre léger sans fuir la profondeur
Alléger la charge mentale existentielle ne signifie pas vivre en surface. C’est apprendre à jongler avec le poids de l’être tout en accueillant la légèreté de l’instant. La philosophie elle-même peut devenir un art de vivre à travers lequel la question de la charge mentale trouve une réponse : non pas un échappatoire, mais une manière de rendre le voyage plus fluide, plus joyeux, et plus éclairé. En cela, Nietzsche, dans Le Gai Savoir, nous inspire à « danser avec la vie » : à ne pas voir le poids des questions existentielles comme une fatalité, mais comme une musique à laquelle apprendre à répondre par le mouvement. Vivre sa vie comme on danse un tango…
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