Le Complexe de la Pieuvre de Séverine C. Camus

Pour ma première participation à l’opération Masse critique de Babelio (que je remercie pour cet envoi), j’ai reçu le livre de Séverine C. Camus, Le Complexe de la pieuvre aux éditions Vuibert. Cela ne pouvait pas mieux tomber… car bien sûr, il n’y a pas de « hasard ». En effet, je m’étais positionnée sur plusieurs titres de cette Masse critique spéciale non-fiction et, quand j’ai ouvert l’enveloppe contenant le livre et que j’ai lu la quatrième de couverture, j’ai ri intérieurement : c’est le livre dont j’ai besoin en ce moment.
L’autrice se présente plutôt comme une artiste qui aurait eu plusieurs vies professionnelles (commerce du vin, thérapeute) avant de (re)trouver sa voie vers l’expression picturale. Son livre est donc avant tout un témoignage personnel, dont elle a fait une grille de lecture psychologique d’un « complexe » ou plutôt d’un concept, celui de la pieuvre.

Cette image (vous voyez bien : une pieuvre, animal considéré comme intelligent, avec de multiples tentacules — je rappelle au passage que tentacule est masculin !) peut être appliquée, c’est la théorie de l’autrice, à certains profils humains. Ce sont des personnes qui, comme la pieuvre avec ses tentacules, parcourent et découvrent le monde en tâtonnant, en cherchant dans tous les sens. Ce sont des personnes qui ne peuvent se contenter d’un seul centre d’intérêt, qui vivent en mode projet, qui aiment apprendre mais font vite le tour de la question. Car, une fois qu’elles ont obtenu ce qu’elles désirent comme savoir, elles s’en désintéressent et passent à autre chose.
En effet, le marqueur principal qui caractérise la personne-octopus, c’est la nécessité vitale de changement et de nouveauté. Il lui faut sa dose d’adrénaline ; rien de pire que la routine, le train-train professionnel surtout. Ces changements se font selon des cycles de vie qui varient selon les individus, mais il est nécessaire, et cela régulièrement, que les « pieuvres » passent à autre chose, dans n’importe quel domaine de leur vie.


La personne-octopus est en fait un généraliste et non un spécialiste. Certains, ceux qui deviennent « experts » (mais attention, beaucoup de blaireaux, surtout dans les médias, se qualifient d’experts — ici, je parle des experts qui ont une formation scientifique), creusent un sillon droit toute leur vie dans un champ de connaissance, une compétence, un métier. C’est très bien, il en faut. Mais la personne-octopus est l’exact contraire. Elle peut creuser un champ de savoir ou de compétence jusqu’au niveau qui l’intéresse, qui répond à ses questions, puis, une fois la tour réalisée, elle change et va voir ailleurs, une nouvelle envie grisante l’appelant vers une herbe autrement verte. Cet attrait de la nouveauté est irrépressible. Rien ne peut l’empêcher. Ce qui fait des personnes-octopus des êtres qui peuvent sembler superficiels et nonchalants, mais qui, en réalité, sont mus par un profond dégoût de l’ennui intellectuel.


Ce mode de fonctionnement est surtout visible dans la sphère professionnelle, selon l’autrice. En revanche, je ne suis pas d’accord avec ce qu’elle dit sur les couples : ce chapitre est trop « bien-pensant ». En effet, si les « pieuvres » sont toujours à la recherche de nouveauté et de changement, dans leur vie professionnelle comme personnelle, toujours en quête de nouveaux défis, de nouvelles choses à apprendre, pourquoi cela ne pourrait-il pas s’appliquer à la vie amoureuse ? Dans le chapitre, Séverine C. Camus rapporte le témoignage d’un homme qui se dit tenté d’aller voir ailleurs dans son couple parce qu’il a besoin de nouveauté. La réponse de la thérapeute : pensez-y, mais ne le faites pas ! Laissez-vous libre de penser à aller voir ailleurs, fantasmez même, laissez du temps à ce désir de se déployer et laissez-le s’éteindre ! Bonjour la frustration ! Au contraire, si les personnes-octopus ont un tel besoin de changement, pourquoi leur imposer une vie monacale avec un seul partenaire toute leur vie ? C’est contre-nature. La nouveauté et le changement peuvent aussi se vivre dans les relations humaines : rien de pire que de s’ennuyer dans une amitié ou un amour simplement parce que cela « ne se fait pas » d’aller voir ailleurs !


J’ai, en revanche, bien apprécié la dernière partie du livre, où l’on sent l’ouverture plus spirituelle de l’autrice, qui livre des pistes pour s’élever au-dessus des considérations matérielles de ce monde « efficace » et propose une approche plus philosophique de la vie de la personne-octopus. Cela peut se résumer en un mot : tempérance. Qui va d’ailleurs de pair avec la patience. Pour l’autrice, la personne-octopus doit apprendre à organiser ses projets et à ne pas laisser le feu qui l’anime brûler toutes ses cartouches. Elle compare la tempérance à l’eau qui coule et vient assainir les aspérités de nos vies souvent brouillonnes. La tempérance, c’est la sophrosynè grecque, ce juste milieu, contraire de l’hybris, la démesure, qui caractérise les héros qui meurent jeunes mais auréolés de gloire.


Le livre de Séverine C. Camus peut sembler quelque peu « foutraque », mais il est sans doute à l’image de sa génitrice et tout à fait dans le thème : il faut savoir y retrouver « ses petits », et celles et ceux qui pensent correspondre au « complexe de la pieuvre » le liront avec attention.


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