Librairies 1 : Metz-Paul Even

La première librairie que j’ai fréquenté avec autant d’assiduité que de vénération est celle de Paul Even dans le quartier de la cathédrale de Metz. Cette ville de garnison, peu connue et même méprisée à tel point que personne en France ne sait vraiment prononcer son nom (non, on ne prononce pas le « z » à la fin, comme si cette dernière lettre si peu usitée dans notre langue pouvait, par sa sonorité percutante faire ressortir un peu la ville de son oubli provincial), fut pourtant la capitale du Royaume d’Austrasie, bien avant que la France n’existe.

Dans la capitale de l’Austrasie

Comme Paris ou d’autres villes d’Europe, elle peut se targuer de posséder une histoire vieille de plus de 2000 ans. Et bien avant que l’on éveille la belle endormie, prise dans l’étau d’une histoire récente trop proche de la Germanie, par la construction d’une annexe d’un célèbre musée moderne ET parisien, Metz possédait un amphithéâtre antique, la plus vieille basilique chrétienne du territoire national, une gare wilhelminienne comme un gâteau bavarois, une cathédrale gothique décorée par Chagall. C’est non loin du parvis sud de cette cathédrale Saint Etienne que se blotti la librairie Even, institution culturelle de la cité lorraine. On y accède par la rue Ambroise Thomas qui comptait (je ne sais pas si c’est encore le cas, n’ayant pas remis les pieds sur ma terre natale depuis 20 ans) une autre librairie dont je conterais les aventures après celles-ci. La librairie Even donne sur la rue du Palais et jouxte le luthier Didier, qui fut aussi un endroit que je fréquentais beaucoup, puisque j’étais élève au Conservatoire de la ville. De l’autre côté de la rue Thomas, se trouve un bouquiniste aux rayonnages en contre-plaqués blancs assez cheap, qui n’existait pourtant pas aux splendides temps de mon enfance de dévoreuse de livres. C’est dire que se joue là un triangle des Bermudes de la culture locale, un centre d’épicentre où des forces telluriques du savoir se rencontrent pour donner au bourgeois mosellan toute la pleine mesure de leurs densités.

Premiers émois de lectrice


Comme tous les petits français, j’ai appris à lire à 6 ans. Mais pour moi la lecture fut tout de suite un élément vital, bien plus qu’une drogue qui vous laisse pantois une fois la dose avalée par un corps desséché, une évidence qui allait combler tous les doutes et les souffrances que ma jeune vie allait traverser. J’ai tout de suite demandé des livres, ce qui, dans ma famille (et je ne ferais pas ici d’autres commentaires) n’étais absolument pas habituel. Mes deux grands-mères se plièrent à mes désirs et m’achetèrent très vites mes premiers ouvrages que je dévorais avec la passion d’une extraterrestre perdue dans un monde trop étrange et qui regarde par la fenêtre des pages les mondes où elle préfèrerait vivre. Mes aliénations d’enfance restèrent très évidentes, les romans de la Comtesse de Ségur, les aventures des clubs, des communautés, des Fantômette. C’est à 12 ans que je me suis rendue pour la première fois dans la librairie en tant que cliente autonome. La façade de la boutique est constituée de ces pierres blondes qui sont le charme original de la cité et les larges vitrines où les nouveautés, les beaux ouvrages sont mis en valeur pour attirer le regard de l’acheteur occasionnel, sont particulièrement larges. Elles invitent à entrer dans la librairie et une fois à l’intérieur elles permettent à la lumière d’entrer à flot, mais seulement sur les premiers mètres.

Le labyrinthe de la lecture


En effet, le magasin est un vrai terrain de jeu qui s’enfonce dans le bâtiment, un labyrinthe constitué des tables de présentation et des armoires de rangement. A l’entrée lumineuse succède les premières tables immenses comme celles de banquets médiévaux où les nouveautés, brochés, littérature française, littérature étrangère se partagent les places limitées. Puis on s’enfonce dans une forêt où les armoires, plus ou moins hautes, remplacent les tables et où la lumière pénètre de moins en moins. Tout devient sombre, éclairé seulement par des lumières artificielles qui rappellent que le lecteur n’est pas un amateur de grand air. L’expérience vécue dans cette librairie me fait penser à celle des profanes qui se présentaient, dans l’Egypte ancienne, devant l’entrée rutilante d’un temple d’Horus. Plus on s’enfonce, mais ceci me semble terriblement érotique, plus on s’éloigne du jour, plus on s’approche du sacré, qui ne peut se présenter que dans l’obscurité qui cache partiellement le mystère et l’élégance des objets religieux. Les livres de la librairie Even étaient pour moi comme ces statues enfermées dans le naos, que les prêtres chauves venaient tous les matins rafraîchir, habiller et alimenter. Les étagères sombres, au bois lourd et vieillit, renfermaient les trésors qui étaient à présent à portée de ma main. Pour cette première visite à la librairie, avec mon argent de poche récolté assidument, je me suis acheté Au bonheur des Dames d’Emile Zola. Je crois que c’est parce que le livre était plus facile d’accès, placé en bas de l’étagère, avec les autres Z qui eux se prononcent, comme Zweig. Mes finances d’adolescente ne me permirent d’acheter qu’un livre de poche. Mais ce fut ma première vraie joie. Pour parachever mon acquisition, dès que je rentrais chez moi dans la banlieue de Metz, par le bus 17, j’écrivis mon nom et la date précise de l’achat, comme nous l’avait conseillé quelques temps auparavant ma professeur de français qui fut, au demeurant, une grande prescriptrice de lecture de mes années collège. Depuis je n’ai jamais dérogé à cette habitude, n’ayant pas d’ex-libris, de marquer mes livres de mon nom et de la date d’acquisition, comme autrefois le fer de feu de la fleur de lys marquait la chair des réprouvés. Le livre est mon esclave, il m’appartient, il est l’objet de mon plaisir, unique et frivole.

J’ai continué à fréquenter la librairie Even, même quand je n’ai plus résidé à Metz mais que je venais régulièrement rendre visite à ma grand-mère. Elle est restée un point fixe, un repère au long de mes pérégrinations internationales, car je savais que là, je pouvais retrouver ce qui compte vraiment. Le plaisir à l’état pur et la connaissance qui me nourrit tant.

PS. En furetant sur les Internet, j’ai appris que la librairie Even (qui aujourd’hui s’appelle Hisler), a été victime l’année dernière d’un incendie et d’un cambriolage. Mais qui peut bien en vouloir ainsi au temple des livres ?


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6 commentaires sur “Librairies 1 : Metz-Paul Even

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