La seconde librairie de ma ville natale, je ne l’ai connu que sur le tard, bien après mes années d’adolescence où la lecture fut mon principal plaisir et loisir. C’est à l’âge de jeune adulte, quand je poursuivais encore mes études d’histoire médiévale, bien que déjà enseignante, que j’ai découvert Geronimo juste en face de la librairie Even de mes premières amours. Ce n’étaient plus alors les romans classiques ou les héros chevaleresques qui me fascinaient, mais bien plutôt les pensées nouvelles, les idées, la philosophie. Mon cœur déjà commençait à quitter la passion de l’Histoire qui m’avait fait toute petite, qui était devenue mon identité presque au point que mes proches ne pouvaient parler de moi sans y adjoindre quelque part le sous-entendu que j’étais toujours plongée quelque part dans un livre d’histoire. Mon cœur filait droit vers la Philosophie, ma nouvelle passion, celle qui pouvait véritablement assurer à mon esprit assoiffé la quantité nécessaire de nourritures nouvelles et exceptionnelles qu’il réclamait à corps et à cris.
Un lieu unique pour les livres
Geronimo. Déjà, pour un nom de librairie, c’est étrange. Le nom d’un chef indien pour un commerce de livre dans une petite ville de province française, au cœur du continent, bien loin des plaines herbeuses du grand Ouest américain. Mais ce n’est pas tant le personnage qui, me semble-t-il faisait la marque de la boutique, que la succession bien ordonnée, précieuse, noir et blanche, des syllabes du nom. Ge – ro – ni – mo – pour moi qui suis synesthète, ce mot est nettement noir et blanc, car quand je lis des « o » ils sont noirs et quand je lis des « i » ils sont blancs. Le « e » initial n’y change pas grand chose tandis que les consonnes forment à mes oreilles une cascade qui commence par se jeter hardiment de la falaise où elle point, avec le « g » et le « r » assez volontaires et agressifs, pour finir en glouglou plus apaisés dans la vasque de la mare qui reçoit l’eau tombée du ciel, par la consonance mollassonne du « n » et du « m ». Les syllabes du nom deviennent aussi comme les plumes de la coiffe du chef, toujours noires et blanches, mais dressées sur sa tête fière et martyre.
La librairie était la propriété d’un passionné de livres, de pensées, de spiritualité, Jacques Fourès. Il faisait partie de la communauté juive de la ville, ce qui expliquait le nombre important d’ouvrages sur la kabbale ou sur l’Etat d’Israël. C’était une librairie indépendante et le libraire profitait de cette liberté pour proposer ses propres lectures, ses centres d’intérêts, ses coups de cœur et ses coups de gueule.

Un navire amiral pour la libre pensée
Le magasin était composé de deux étages : un rez-de-chaussée, ouvert sur la rue par une porte vitrée rouge et deux grandes baies vitrées qui faisait entrer tout autant la lumière que les curieux. Le sol était un parquet qui à force d’être foulé était devenu plus gris que brillant. Les tables à hauteur d’humain composaient des îlots thématiques qui se répartissaient autour d’un bel escalier central, digne d’un palace. A gauche de l’entrée c’étaient les romans, les nouveautés, les polars, la poésie, le théâtre au fond, près d’une porte qui donnait sur une cour intérieure. J’y allais peu car je ne m’intéresse pas au théâtre. A droite, les essais, histoire, politique et philosophie, spiritualités et religions. A chacune de mes visites, je faisais mon tour classique, passant de droit à gauche, regardant, feuilletant, soupesant, humant les livres et me demandant ce que ma petite bourse de l’époque pourrait bien m’offrir. Tous les murs étaient chargés d’étagères blanches qui offraient des refuges alphabétiques aux livres qui n’avaient plus la priorité.

L’étage était desservi par un double escalier digne du Titanic : la première partie de la volée de marches, tendues par une belle rampe blanche et noir, étalait une série majestueuse de marches rouges liserées de noir. Elle s’arrêtait sur un palier intermédiaire large et chargé des livres de jeunesse, à partir duquel l’escalier se séparait en deux volées perpendiculaires. Les marches de pierre étaient toutes encombrées de volumes, de tas de livres, de prospectus, de flyers. A l’étage, le parquet moins abîmé par des visiteurs moins nombreux, craquait de tous les pas qui s’y pressaient. L’espace était moins encombré qu’au rez-de-chaussée et destiné aux beaux livres et aux beaux-arts. J’y traînais moins, car je n’ai jamais vraiment compris l’intérêt de lire des livres sur la musique ou sur la peinture, au lieu d’aller en écouter, d’en faire ou de visiter plutôt des musées.
La librairie Geronimo était un endroit intimiste et parfois intimidant, ne serait-ce que par l’étendue du savoir qui était proposé. Je n’en étais pas à proprement parler une habituée, ne revenant qu’irrégulièrement dans ma patrie natale. Pourtant j’ai été attristée d’apprendre il y a quelques années sa fermeture, comme beaucoup d’autres librairies indépendantes de ce pays.
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