Librairies 3 – Metz – Moresi

Je continue ici ma balade souvenir dans les librairies que j’ai pu fréquenter.
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Le troisième lieu de livres de ma ville natale est en fait moins un lieu qu’un personnage. C’est moins une histoire de librairie que de libraire. Il s’agit de la librairie de livres anciens de Jean Luc Moresi. Elle se trouvait en haut de la rue des Jardins, une rue ascendante qui amène le piéton des berges de la Moselle vers la place d’Armes et la Cathédrale. C’est une rue extraordinaire, que je n’ai cessé d’arpenter durant toute mon enfance. C’est celle qui me menait « en ville », quand, avec ma mère ou ma grand-mère, nous décidions d’aller y faire un tour. Elle s’ouvrait, en bas, par deux commerces essentiels : la boucherie du père Henry et une droguerie. Puis tout en marchant le long de trottoirs étroits, serrés de près par les bus urbains qui prenaient leur élan avant de grimper la pente en sens unique, on pouvait flâner le long de petites boutiques qui restèrent les mêmes pendant des années.

Une rue une ambiance

La rue est sombre, sertie de vieux pavés qui sonnent quand les voitures les empruntent. Elle est enchâssée entre deux lignes de vieux immeubles qui forment comme un canyon urbain et protègent le marcheur quand il pleut trop fort. Quand, d’en bas, on lève la tête vers le haut de la rue, l’horizon est bouché par les toits vert-de-gris de la Cathédrale et quelques arcs-boutants en calcaire jaune, ce qui donne à la promenade un petit air de pèlerinage. On grimpe presque vers le ciel quand on s’engage dans la rue des Jardins. D’ailleurs les Jardins sont-ils ceux de l’Eden ou du Paradis qui attend le pécheur après sa vie de souffrances et de sacrifices ?

Je rêve encore très souvent de cette rue des Jardins, même si je n’y mets plus les pieds, et la plupart du temps mes rêves m’entrainent dans des magasins extraordinaires, des pâtisseries, des boulangeries mais surtout… des librairies, avec des sous-sols regorgeant de livres inédits, des bouquinistes où je peux rester des heures à fureter dans les étagères juste pour le plaisir de prendre des livres dans les mains. C’est sans doute parce que j’ai passé beaucoup de temps dans la librairie Moresi, tout en haut de la rue des Jardins, que je continue de rêver de librairies.

La librairie des livres anciens et rares

La boutique était toute petite, une minuscule devanture plus lumineuse que d’autres, car plus proche de l’ouverte de la place de la Cathédrale. Au milieu trônait le bureau du libraire, entouré de tous les côtés par des étagères sombres remplies de livres anciens. A droite du bureau aussi de bois foncé se trouvait un escalier à vis qui descendait, vraisemblablement, vers une ancienne cave, où seul le propriétaire des lieux se rendait quand, parfois, vous demandiez à voir un ouvrage qui n’était pas exposé. J’ai trouvé là des livres rares sur l’histoire de la Lorraine, quand je préparais un DEA sur les abbayes cisterciennes du duché au Moyen Age. Un jour, j’ai aussi trouvé un ouvrage broché des années 30 sur l’histoire exotiques de la Sicile sous les Normands. Je l’ai payé quelques sous, car en Lorraine, qui peut s’intéresser à l’histoire de la Sicile ? Rentrée à Paris, j’ai montré ma trouvaille à un camarade qui justement, lui, s’intéressait à la Sicile et aux Normands. Il m’a affirmé que j’avais fait une affaire formidable et que ce même livre, à Paris, coûtait dix fois le prix payé en Lorraine. J’ai alors appris une règle d’or dans la quête des livres anciens : ce n’est pas chez un libraire spécialisé que l’on fera les meilleures transactions et il faut butiner sur des terres étrangères pour trouver son bonheur

Un libraire passionné

Le libraire, M. Moresi, décédé il y a quelques années, était connu dans la ville pour deux caractéristiques. L’un physique, étaient ses impressionnantes moustaches, poivre et sel, qui encadraient un visage chafouin. L’autre, vestimentaire, était une indétrônable écharpe blanche qui, été comme hiver, pendait symétriquement autour de son cou, sur des costumes sombres et des chemises blanches. On entrait dans la librairie avant tout pour discuter avec M. Moresi. Il vous proposait non pas un café, mais le catalogue des nouveautés qu’il avait acquises dans différents lieux de débauches où l’on vend, à travers l’Europe, des vieux livres. J’ai eu ainsi, durant quelques années, la frénésie de la bibliophilie, mais très limitée du reste par des revenus professoraux plus que médiocres pour me permettre des folies d’incunables. J’ai toutefois acheté un exemplaire en trois volumes édité en 1791, en pleine révolution donc, des Essais de Montaigne. J’ai aussi pu, grâce à la fréquentation de ce lieu, aguerrir mes capacités d’observation, et de ce fait dénicher dans un dépôt-vente de la région parisienne, une édition originale d’un Alexandre Dumas pour quelques sous.

Ces livres anciens, parfois en mauvaise santé, je les ai bichonné et fait restauré à quelques mètres de la librairie Moresi. En effet, un peu en contrebas, un relieur avait ouvert sa boutique. La large devanture en verre permettait de voir son atelier et de le voir travailler à sa table et avec les livres, ses outils, ses machines et tous les cuirs et autres cartonnages. Un peu intimidée, j’y suis entrée pourtant le lendemain de mon premier achat chez Moresi. C’était pour un tome d’une histoire de la Lorraine ducale médiévale. Là aussi, la rencontre avec l’artisan est tout aussi importante que l’acte de l’achat ou de la commande elle-même. Là aussi, c’est la rencontre avec un homme passionné, par son métier, par la matière et aussi par les livres. François Ollan s’était installé là en 1980. A l’époque je vivais là, et comme je l’ai dit, je traversais souvent la rue des Jardins. Mais je n’ai aucun souvenir de la boutique. Ce n’est que plus tard, à l’âge de mes études pourtant parisiennes, que revenant sur mes terres natales, j’ai pu et su découvrir les joies du travail bien fait. J’ai ainsi déposé entre ses mains plusieurs ouvrages que j’ai fait relié, oh non pas de pleine peaux, mais de tissus plus résistant et tout aussi avantageux dans ma propre bibliothèque. Mon seul luxe était de m’offrir des tranches en cuir aux titres dorés.


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4 commentaires sur “Librairies 3 – Metz – Moresi

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