Librairies 5 – Paris – Vrin

Je continue mes pérégrinations libresques dans les librairies de mon cœur. Nous restons à Paris, dans une librairie emblématique du Quartier Latin et de la place de la Sorbonne : la librairie philosophique Vrin.

Une antre mystérieuse

Juste en face des PUF survit pourtant une autre librairie des plus cocasse : celle de Vrin, à la fois librairie et maison d’édition spécialisée dans les essais philosophiques. On reconnaît les livres Vrin à leur couverture blanche, solide et colorée d’un rouge vif qui représente la façade de la librairie parisienne. Entrer chez Vrin, c’est entrer dans un monde d’initiés. Quand j’ai ouvert la petite porte vitrée pour la première fois, après avoir monté les deux marches qui la distinguent de la place de la Sorbonne, j’étais encore une amatrice, une néophyte. Puis je suis devenue une étudiante en philosophie puis une professeure, et la librairie Vrin est devenue mon quartier général. Là où en rencontre certains professeurs et qu’on leur adresse, d’un air entendu, un petit signe de tête qui nous monte tout de suite à la tête. Là où l’atmosphère n’est que feutrée, là où on ne trouvera jamais de touristes en goguette ou de lecteur perdu devant la pléthore des romans de l’été. Pour entrer chez Vrin il faut savoir ce que l’on cherche, et il faut savoir qui sont Merleau-Ponty, Plotin ou Wittgenstein. C’est une élite ici messieurs-dames. Une société secrète qui cache derrière ses vitrines tous les trésors de la pensée humaine. C’est presque la bibliothèque d’Alexandrie en plein Paris.

Toutes les pensées à portée de main

Il existe deux entrées chez Vrin. Elles sont séparées par une porte cochère couleur moutarde qui ouvre sur un immeuble d’habitation. La façade en pierre blanche montre toute l’élégance de l’institution. Elle donne sur la petite place de la Sorbonne, juste en face du très fameux café l’Ecritoire où les professeurs et les étudiants viennent s’abreuver de connaissances. L’une des portes vous fait découvrir une large pièce couverte d’étagères de bois blond remplis de livres d’occasion. C’est l’espace du chineur, de celui qui ne sait pas ce qu’il veut lire ou qui préfère se laisser porter par la vague du hasard. C’est là que j’ai trouvé des pierres plus que précieuses, comme cet exemplaire rare de l’Évangile de Thomas ou des études fort rares sur mon maître Schopenhauer. Sur des tables à portée de mains, les vendeurs mettent à disposition des plus pressés ce qui semble être une sélection des plus belles occasions à saisir. On peut y passer des heures ou bien n’y faire que passer pour se rendre, après l’ascension de quelques marches encore tenues par une rampe en acier, vers les rayonnages secrets des livres neufs. Cette partie de la librairie est sombre et la première pièce, sans ouverture, est celle des ouvrages d’épistémologie, de philosophie des sciences, de logique. Je n’y mettais pas souvent les pieds, car je ne suis pas férue de logique.

Ensuite un étroit couloir dessert des petites chapelles où sont rangés tous les classiques de la philosophie par ordre chronologique. Première chapelle : l’Antiquité ; deuxième chapelle : le Moyen Age ; nef principale : philosophie moderne et contemporaine. Le couloir semi circulaire est tapissé des livres exotiques : philosophies islamiques, orientales, bouddhistes, revues, un peu de psychologie. Ce couloir sombre débouche sur l’autre grande pièce de la librairie, plus lumineuse, et sa deuxième entrée qui comporte la caisse, tenue souvent, du moins quand je la fréquentais, par une vendeuse souriante qui portait toujours des turbans multicolores couronnant son visage aux grandes lunettes noires. Les vendeurs et vendeuses étaient d’ailleurs les seules portes vers le monde extérieur. Les voir ranger des livres ou sourire aux clients à la caisse était comme redescendre sur la planète après avoir voyagé durant quelques minutes dans un vaisseau spatial.

Les livres qui tapissent les murs de la librairie Vrin ne sont pas des livres pour s’évader, pour s’amuser, pour rêver ; ce sont des livres qui nous amènent vers les esprits les plus puissants de notre humanité et les côtoyer est comme entrer dans une autre dimension. L’ambiance est toujours feutrée, celle des connaisseurs, des professeurs, des étudiants, des érudits. On fait encore moins de bruit qu’ailleurs, car ici c’est l’intelligence qui règne, et pas le loisir. Mais pour qui, comme moi, est passionnée par la pensée, c’est la librairie de toutes les tentations. Et comme pour n’importe quel désir, celui-ci ne peut jamais être satisfait : quand on marche le long des rayonnages de la librairie Vrin, on mesure à la fois son ignorance mais aussi l’infini gouffre qui nous sépare de toutes ces connaissances. On sait, dès que l’on y entre, que l’on ne pourra jamais lire tous ces livres de philosophie. Alors on se sent comme frustré. C’est aussi la colère qui parfois me prenait, sachant que je n’aurais jamais le temps de lire assez de livres pour me sentir tout à fait capable de vivre.


Alors on déambule entre les étagères et on feuillette les nouveautés sur tel penseur contemporain. On accumule entre ses bras les livres, encore des livres en espérant follement que celui-ci nous apportera, enfin, la question à toutes les réponses. La librairie Vrin est un écrin, un bijou posé au cœur de la ville et sans doute méconnue car hyper spécialisée.

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2 commentaires sur “Librairies 5 – Paris – Vrin

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