Librairies 6 – Paris – Gibert

J’ai écrit le texte suivant il y a plusieurs années déjà ! Malheureusement c’est plus un texte de souvenirs que d’actualités, car comme pour la librairie des PUF en haut du boulevard Saint-Michel, les librairies Gibert Jeune de la place Saint Michel ont fermé et remplacé par d’immondes boutiques à touristes… Paris n’est plus Paris mes amis et cela nous attriste.

Le Quartier Latin c’est le Paradis des étudiants

Toujours dans le Quartier latin, le quartier de mes années d’étudiante, même si ces années se sont allongées, il existe une autre librairie, presque une légende. En fait il ne s’agit pas d’une librairie, mais de deux enseignes. Et il ne s’agit pas d’un magasin, mais d’une toile de boutiques jaunes et bleues, disséminées dans les rues du quartier, principalement le long de l’artère principale que constitue l’avenue Saint Michel. C’est un peu la mode, dans le coin, de créer une marque qui se démultiplie en plusieurs lieux, comme dans une chasse aux œufs de Pâques. C’est aussi ainsi que fonctionne le réseau du Vieux Campeur, la Mecque des randonneurs, alpinistes et autres back-packeurs.

Les librairies emblématiques du quartier latin ce sont bien sûr la Jaune et la Bleue, celles dont chaque étudiants arpente les rayons en ne sachant jamais laquelle est laquelle. Gibert Joseph… Gibert Jeune… la Bleue et la Jaune. Ces couleurs qui servent à les démarquer, se retrouvent sur les frontons et les devantures et surtout sur les auvents de toile qui marquent les entrées des boutiques principales.

Feu Gibert Jeune – La Jaune

Pour se repérer il y a la géographie de la ville. Gibert Jeune, la Jaune donc, se trouve concentrée place Saint Michel, adresse très courue, qui permet au chaland en sortant de la bouche du métro et qui ne saurait pas quoi faire en attendant son rendez vous sur la place, de perdre ce temps en flânant un peu dans les livres. C’est avant tout une librairie généraliste : le magasin central sur la rive gauche de la rue Saint Michel est, sur plusieurs étages, le havre des livres de voyages, des BD, des livres d’histoire, des romans, des essais en tout genre. Son secret se trouve au cinquième étage, auquel on accède par une volée de vieux escaliers en bois, sous les toits, avec une vue splendide sur la Seine. C’est le recoin des livres de poches et des livres d’occasion. Des bacs entiers, un peu comme chez les soldeurs du 19e arrondissement, proposent tout ce que les vendeurs impécunieux ont bien voulu laisser à de nouveaux lecteurs. Il faut donc se rendre régulièrement tout là haut si l’on veut pouvoir faire de bonnes affaires et trouver des romans ou des essais en poche rares et prisés. Le reste du magasin est très assombri par les lambris des rayonnages et surtout par l’immense stock et tous les livres qui emplissent les murs. Les tommettes rouges du sol n’arrangent pas les choses. Il y en a partout, il est même parfois difficile de se frayer un chemin entre les armoires et les tables recouvertes de nouveautés. Un curieux complexe d’escaliers et d’escalators permettent aux clients qui montent et à ceux qui descendent de ne pas se rencontrer : au centre du magasin un étroit et ancien escalator nous fait monter vers le paradis des livres. Quand on veut redescendre vers le terrestre, on emprunte alors des escaliers antédiluviens qui se trouvent sur le côté de l’espace librairie, à l’opposé de l’entrée principale et donnant sur la mélodieuse rue de la Harpe, une petite rue ouvrant sur le cœur du Quartier latin.

Depuis quelques années, l’entrée du magasin principal est bouchée à la vue des passants par, ce que l’on peut bien appeler, un hold-up de trottoir. On sait que les brasseurs et autres cafetiers sont friands de ces espaces dits publics mais qu’ils s’arrogent, souvent par temps estival, pour en faire des terrasses agréables. On pourrait croire qu’une librairie n’a pas besoin de ces mètres carrés supplémentaires. Mais en fait si. C’est ce qu’à fait Gibert Jeune en colonisant tout le pourtour de sa boutique, depuis la rue de la Harpe jusqu’au boulevard Saint Michel, juste devant la bouche de métro. Protégés par de vilaines tentures en plastique transparents et par l’auvent jaune, on vend ici des livres que je qualifierai de touristiques. Ce sont des livres d’art peu chers, des ouvrages peu intéressants qui n’auraient pas leur place dans la librairie elle-même. L’étalage est fait de promotions du style « deux livres pour le prix d’un ». On se croirait au marché. C’est un peu l’idée. C’est là que l’on peut faire une première rencontre avec Gibert, c’est là que certainement les touristes venus du monde entier peuvent flâner rapidement, en se disant in petto qu’ils ont un peu participé à la légende universitaire du quartier de la Sorbonne. Au contraire, cet espace est fuit avec obstination par les lecteurs assidus qui se précipitent à l’intérieur du magasin, gardé et sauvegardé, comme toute boutique parisienne d’un peu de poids, par un ou des vigiles.

Gibert Jeune : un réseau de librairies spécialisées

Tout le réseau des librairies Gibert est d’ailleurs connu et apprécié pour ces occasions, tous ces livres de seconde main que l’on trouve rangé dans les mêmes rayons que les livres neufs, ou bien comme chez Gibert Jeune, dans une partie spécialisée de la boutique.

Les boutiques jaunes de Gibert Jeune s’étendent également le long du quai Saint Michel, où l’on trouve la pénétrante librairie des religions et de l’ésotérisme. C’est ma boutique préférée, car elle ouvre sur la Seine, on peut même admirer les bouquinistes qui font même œuvre sur le trottoir d’en face, mais à l’intérieur une atmosphère étrange et presque sombre se créée. Je ne sais pas si c’est parce que les clients qui se pressent dans cette librairie sont eux-mêmes étranges ? Lire des ouvrages sur les sorcières ou sur l’Anti-christ n’est-il pas étrange ? Cette atmosphère est également créée par les différents bibelots, breloques, pendules, amulettes que l’on trouve près des caisses, comme dans n’importe quelle boutique ésotérique de province ou de Paris. C’est ce hiatus entre le sérieux d’une librairie parisienne du Quartier latin, et cet étrange assumé et au cœur même d’un des plus important pôle touristique de la capitale. Quand on sort de la librairie ésotérique, on peut voir au loin Notre-Dame et on se trouve à une encablure de la fameuse Shakespeare et Cie, la célèbre librairie anglaise de Paris, dont je ne parlerai pas, bien que je l’ai souvent fréquentée.
En face de la boutique principale, de l’autre côté de la place Saint Michel, on trouve la librairie des langues. Je ne l’ai visité qu’en de rares occasions, surtout quand j’ai commencé à apprendre l’urdu et l’hindi.

Gibert Joseph – La bleue

Quand on remonte le long du Boulevard Saint Michel, avant de se trouver face à la place de la Sorbonne, on passe devant les devantures bleues de Gibert Joseph. L’essaimage est là moindre que plus bas. Il y a surtout une boutique principale, plus grande et surtout plus lumineuse que celle de la place Saint Michel. C’est un immense cube, qui ressemble beaucoup à un des grands magasins du nord de la capitale, avec 5 étages desservis par un double escalator central. Comme chez Gibert Jeune, les étages sont dévolus à certains champs du savoir : littérature au plus près des clients pressés, voyages, BD, sciences humaines plus haut car le savoir doit se mériter. Comme chez sa consœur, le dernier étage est le plus intéressant, ici réservé à toutes les collections de poches. Les étages sont formés par de larges et lumineux plateaux, que rien, aucune cloison, ne vient délimiter. La lumière entre à flot dans ce temple des livres et les grandes armoires sont beaucoup moins nombreuses, remplacées par de multiples immenses tables en bois sombre. Entre chaque fenêtre, des bibliothèques créent des espaces à thèmes où on peut se cacher en faisant mine de rechercher un livre rare.

Gibert Joseph est surtout connu pour ses livres d’occasion, que l’on repère dans les rayonnages par un sticker jaune avec le portait du fondateur. Ainsi, parfois, on peut avoir la chance de trouver, à côté du livre neuf hors de prix, un livre d’occasion tout à fait abordable. Parfois par contre, on sait qu’un condisciple est déjà passé par là et qu’il a déjà raflé toutes les occasions à saisir sur le sujet de recherche qui est aussi le notre. Rage. Les principales occasions restent toutefois les fameux livres de la Pléiade que l’on peut trouver en parfait état pour la moitié du prix du neuf. Je me suis offert ainsi la Guerre et la Paix de Tolstoï, un de mes livres préférés, que j’ai ainsi le plaisir de relire tranquillement sur papier bible.

Gibert Joseph est aussi disquaire

A la fin de mes études, Gibert Joseph a ouvert, juste à côté de son magasin principal, une boutique réservée à la musique ! Que c’était une bonne idée, pour nous les étudiants d’une époque où l’on était obligé de débourser de nombreux francs pour pouvoir écouter de la musique. Et le concept du magasin d’occasion ayant été dupliqué, on pouvait ainsi trouver dans les bacs des CD d’occasion à côté des neufs. La partie disquaire se trouve au sous-sol de la boutique, et là ce n’est plus la même ambiance que dans la librairie. L’éclairage est artificiel, ce qui convient mieux il faut l’avouer aux teints parfois blafards des amateurs de musique, qui passent leurs nuits en concert ou en boîte. Comme pour les livres, on se trouve face à une Caverne d’Ali Baba, qui peut également se convertir en cauchemars capitaliste quand le consommateur, munis de quelques pièces seulement, doit choisir parmi ces milliers de titres tous plus tentant les uns que les autres. La musique étant plus accessible que la lecture à l’esprit parfois embrouillé et fatigué, c’est aussi l’antre de la nouveauté et de la tentation de l’inconnu. Quand on hésitera à débourser une sommes plus importante pour un livre d’un auteur que l’on n’a jamais lu, on sera plus léger quand il s’agira d’acheter, surtout d’occasion, un disque d’un groupe de métal dont on a entendu parlé l’autre soir chez des amis. Dans les années 90, il existait encore des disquaires dans le Quartier Latin, dont le célèbre Crocodisc. Mais l’ouverture de la boutique bleue a permis la diffusion d’autres formes de musique, que les disquaires traditionnels avaient tendance à trouver trop légère.

Dans une rue perpendiculaire au Boulevard Saint Michel, rue Racine, se trouve une libraire Gibert Joseph consacrée aux livres scolaires et parascolaires. Quand, à la fin de l’année scolaire, les familles aisées du quartier, dont les enfants finissaient leurs études à Henri-IV ou Louis le Grand, venaient vendre les manuels scolaires, il se formait alors de longues queue le long de la rue. A mon tour, quand je suis devenue enseignante, c’est là que je suis allée acheté mes premiers manuels d’histoire-géographie pour m’aider dans la préparation de mes cours. Cette libraire est un peu étrange, car elle n’est pas en libre service : il faut savoir ce que l’on veut, et les vendeurs, derrières de leurs comptoirs en bois, vont, avec vos références, chercher les manuels désirés.

Gibert Joseph a colonisé la province et l’on trouve des librairies bleues dans plusieurs villes françaises. J’ai fréquenté un temps celle de Poitiers, ville où mon cœur avait quelques attaches. Ignorante de ce phénomène de pollinisation, j’ai été surprise un jour, en me promenant dans la ville, de me retrouver face à la célèbre façade bleue. A l’intérieur c’est le même principe : livres neufs et d’occasion, un choix conséquent. Mais rien, pour ne moi, en pourra remplacer le charme de ces heures passées à chasser le trésor autour de la place et du boulevard Saint Michel.

Les précédents articles sur mes librairies préférées :
Metz – Paul Even
Metz – Geronimo
Metz – Moresi
Paris – PUF
Paris – Vrin


En savoir plus sur Bisogna Morire

Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.

Un commentaire sur “Librairies 6 – Paris – Gibert

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.