Librairies 7 – Peshawar – Saeed Book Bank

J’ai eu la chance, dans ma vie, de vivre plusieurs mois et cela plusieurs fois durant plusieurs années, au Pakistan et en particulier à Peshawar. Cette ville est l’archétype de la ville orientale, de l’étape sur la route de la soie. Il n’y a rien d’occidental dans cette ville, et même les bâtiments coloniaux de briques rouges construit par l’occupant anglais font partie intégrante de ce décor d’un autre monde. Le bazar de la vieille ville, Qissa Khwani Bazaar, est un entrelacs à la fois sombre et chatoyant de ruelles encombrées de marchandises et d’humains, vendeurs ou acheteurs. C’est un univers très coloré, très bruyant, où les corps se pressent dans la moiteur de l’été tropical, alors même que Peshawar est devenue la Mecque des intégristes musulmans.

Lire au Pakistan ?

J’ai vécu là, dans une de ces hautes maisons du centre-ville, une femme occidentale dans un monde si étrange et étranger. Pourtant, très vite, ce monde est devenu le mien et j’y ai trouvé une place. Ce n’est pourtant pas aisé de vivre en tant que femme dans un tel pays. Mais j’ai toujours aimé les défis. Malgré ma position peu avantageuse de femme-blanche-proie, j’ai arpenté ces ruelles, sans me perdre car je n’étais pas seule, vivante occidentale et orientale, entre deux mondes, toujours entre deux mondes.

Mais en tant que grande lectrice, j’en ai eu vite assez de ne sortir, le peu de fois où j’étais autorisée à le faire, pour déambuler dans les ruelles du bazar à la recherche de tissus pour mes tenues traditionnelles ou alors pour marcher d’un bon pas et éviter les voitures et les rickshaw pour me rendre, toujours accompagnée, chez telle ou telle tante pour y passer l’après midi en sirotant un massala chaï et en regardant le cricket à la télévision. Un jour j’ai demandé à me rendre dans une librairie. Et on m’a emmené à l’une des plus grosse enseigne du pays : la Saeed Book Bank. Elle se trouve dans une artère très commerçante de la ville moderne, mais qui depuis quelques années est aussi la cible de nombreuses attaques terroristes à la bombe. La devanture est composé d’une immense baie vitrée au-dessus de laquelle, l’enseigne en rouge nous fait de l’œil. Derrière les immenses vitres, des piles et des piles de livres se pressent, comme s’ils voulaient tous s’échapper pour se retrouver dans les affres de la circulation du soir. Au moins, le promeneur sait à quoi s’en tenir et s’il entre dans la boutique, ne pas être surpris de ce qu’il y trouve. L’illettrisme est un élevé au Pakistan, et encore plus qu’en France, une librairie doit être un endroit que beaucoup de personnes ne fréquentent jamais. D’ailleurs, en faisant quelques recherches sur internet, j’ai appris par un article de la presse locale que la librairie de Peshawar avait fermé en 2011 (mes pérégrinations pakistanaises ont eu lieu entre 2005 et 2008). Dans cet article, le propriétaire de la boutique, installé dans la ville depuis 1955, précise qu’il n’existe pas de vie littéraire à Peshawar et qu’il a donc dû déménager ses locaux à Islamabad, la capitale politique du pays. « Il n’y a pas de culture de la lecture à Peshawar et nous vendons principalement des titres étrangers. » La librairie a été, un temps, déménagée à Islamabad, la capitale du pays. Mais elle a également fermé en 2019 pour ré-ouvrir cette année.

Une librairie : entre occident et orient

Quand je suis entrée pour la première fois dans la Saeed Book Bank de Peshawar je n’ai pas du tout été dépaysée. Cela me changeait un peu, alors qu’à chacun de mes voyages, c’était le choc culturel dès ma sortie de l’aéroport. Bien sûr ce hiatus a commencé à s’amoindrir avec le temps et mes nombreux voyages. Il n’empêche qu’entrer dans une librairie qui ressemble à ce que je connais d’une librairie c’est rassurant ! La librairie pakistanaise ressemble beaucoup à ses cousines anglo-saxonnes. J’ai visité les librairies d’Oxford et Cambridge au Royaume-Uni où l’ambiance studieuse et élégante n’est pas aussi confinée qu’en France. Les étagères ne sont pas démesurées, comme par ici, où l’on est habitué à des armoires pour bibliothèques. A Peshawar, il y a de telles armoires contre les murs, mais ce sont surtout ces petites bibliothèques, à hauteur d’homme, qui permettent de délimiter les allées principales et entre lesquelles on peu facilement se promener, qui constituent la plus grande partie du décor.
Ce que j’aime bien dans les librairies du style anglo-saxon, et une librairie pakistanaise faisant partie du Commonwealth peut-être qualifiée d’anglo-saxonne, ce sont les livres. Dans cet univers, c’est une débauche de couvertures, toutes plus colorées les uns que les autres, mais surtout pas seulement brochées, c’est-à-dire confectionnées avec du carton, mais reliées avec des couvertures plus rigides sans être pour autant en cuir ou en simili. Je trouve d’ailleurs que le mot anglais « book » correspond parfaitement à ce toucher, quand on tient un de ces livres, qui peut être une vile romance comme un essai révolutionnaire, de quelque chose de compact, de fort et de puissant. B et K cela pose un mot, avec ce « ou » au milieu qui adoucit le ton et nous donne envie d’y entrer. Souvent les mots anglais ont des sons qui correspondent à leur signification, et « book » est le son parfait pour ces livres plus pesant et matériels.


Dans cet antre, j’ai acheté un dictionnaire Urdu-Anglais, car vivant au Pakistan, j’ai appris quelques rudiments de langage pour discuter avec les femmes de ce pays. Quand j’ai pu me débrouiller un peu, j’ai ouvert un monde incommensurable, celui des femmes des régions rurales qui ne parlent pas anglais. J’ai aussi acquis des livres en anglais sur l’Islam et l’histoire du Pakistan. Malheureusement ils ne sont pas rentrés avec moi en France, quand j’ai quitté pour la dernière fois ce pays : le poids des bagages sont limités dans les vols intercontinentaux ! Ces livres, je l’espère, continuent leurs vies dans les mains d’autres humains qui peuvent se nourrir de leurs connaissances. Ils sont là-bas, comme une partie de mon âme, à jamais ancrée dans ces ruelles étroites, ces montagnes vertigineuse, ces fleuves mythiques et ce peuple oublié.


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