Malville, quand un village se souvient

Vendredi 14 novembre, à 20 h, la salle du café-théâtre de Malville s’est ouverte comme une scène discrète sur le passé : l’association Bouillon de Culture y tenait ses portes ouvertes, et j’avais la chance d’en être puisque j’y suis, depuis peu, bénévole. Le groupe d’histoire locale et le groupe informatique avaient composé un diaporama retraçant l’histoire de la commune, écho visuel à l’ouvrage collectif publié l’an dernier, qui déroulait deux millénaires de vie malvilloise, de l’Empire romain aux premières années du XXIᵉ siècle.

La soirée était portée par les accords chaleureux du groupe Accord’Evasion, qui en a ouvert et refermé les pages avec des airs bretons et irlandais. Dans la douceur tranquille de ce soir d’automne, une quarantaine de personnes étaient venues se rassembler autour d’un même désir : se souvenir.

Sur l’écran blanc, les images défilaient : cartes postales anciennes, plans oubliés, visages familiers. Et soudain, un frémissement dans la salle : un ancêtre reconnu, un voisin rajeuni, une scène disparue revenue à la lumière, autant de petites secousses dans la mémoire collective. Tout cela répondait au souhait de Romain Mothes, le président, aussi bouillonnant que passionné : réveiller les souvenirs, faire parler les gens, débusquer derrière chaque cliché les noms, les voix, les gestes qui avaient jadis animé le village. Et le pari a tenu ses promesses.

Les conversations s’enchaînaient, les rires aussi. On se revoyait jeune, trop jeune parfois ; on évoquait ceux qui ne sont plus, leurs manies, leur bonté, leurs éclats. Ce qui s’est joué ce soir-là portait un nom simple : le vivre-ensemble. Dans ce village dont l’identité paraît parfois s’effilocher sous l’arrivée de nouveaux habitants (parmi lesquels je me compte) la mémoire demeurait intacte, vibrante, têtue. Elle survivra encore un peu, jusqu’à ce que les plus anciens s’éteignent, laissant derrière eux leurs ultimes preuves d’existence : des photos, des témoignages, un livre.

J’aimerais que ce qui s’est passé là se reproduise partout en France, car chaque village porte en lui sa propre chambre secrète de souvenirs, qu’il suffit d’ouvrir.

Je suis restée un peu en retrait, observant cette effervescence avec la tendresse de celle qui n’appartient pas vraiment au lieu, mais qui en partage désormais les rythmes. Moi aussi, j’ai des racines : un village auvergnat où mon nom est partout, un village lorrain marqué par la Seconde Guerre mondiale comme Malville le fut par la poche de Saint-Nazaire. L’Histoire tisse nos destins minuscules.

En regardant mes voisins, mes amis, se raconter, j’ai senti poindre une nostalgie douce : j’aurais aimé que, dans les villages dont je viens, un tel travail de mémoire ait vu le jour. J’aurais aimé que quelqu’un, un soir, rassemble les vivants pour faire remonter les ombres bienveillantes de ceux qui ont fait le lieu.

Et tandis que je restais silencieuse sur ma chaise, je me suis dit que les liens humains, ceux que l’on noue ici ou ailleurs, valent plus que tout. Le passé doit être gardé, mais le présent est le vrai trésor : ses rencontres, ses partages, ses respirations communes. Hier soir, j’ai vécu une expérience singulière : étrangère et pourtant des leurs, faisant corps avec un groupe qui, l’espace de trois heures, a ressuscité ses disparus et donné à la communauté un pouls nouveau.


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