Élever un enfant seule : la dernière utopie toxique de l’Occident

Dans nos sociétés que l’on aime qualifier de « modernes », un phénomène étrange s’est glissé dans la normalité, comme une aberration devenue si familière qu’on la trouve soudain logique, presque naturelle. Un phénomène dont la banalité même me stupéfie. J’ai voyagé à travers plusieurs pays, j’ai observé d’autres cultures, j’ai étudié l’histoire de l’humanité, cette longue fresque où les humains ont toujours survécu grâce à la coopération, et jamais, absolument jamais, je n’ai rencontré ailleurs ce que notre époque occidentale trouve parfaitement admissible.
 Je veux parler de la monoparentalité féminine et, plus largement, de ces femmes laissées seules, même au milieu du monde, pour élever leurs enfants.

Le village disparu : chronique philosophique d’une mère seule fabriquée

Qu’on s’entende : toute l’histoire humaine, des sociétés nomades aux premières cités, des villages africains aux communautés asiatiques, témoigne d’une évidence anthropologique. Les enfants n’ont jamais été élevés par une seule personne. C’est bien ce que rappelle le fameux proverbe : « il faut tout un village pour élever un enfant ». C’est un travail, une responsabilité, une vigilance qui, partout ailleurs, se partage, se répartit, se transmet. L’être humain le sait depuis toujours : pour qu’un enfant grandisse, il faut au minimum plusieurs adultes, parfois un clan entier.

Mais chez nous, dans ces sociétés qui se pensent éclairées, on a accouché d’un concept inédit dans l’histoire de l’humanité : la mère seule.
 La femme seule avec un enfant accroché à sa hanche, puis deux, puis trois.
 La femme seule au supermarché, la femme seule qui court après les horaires, les devoirs, la lessive, les rendez-vous médicaux, les insomnies, les crises émotionnelles, la culpabilité collective et l’épuisement silencieux.
 La femme seule même lorsqu’un compagnon occupe le canapé à côté.

Je repense souvent aux années que j’ai passées au Pakistan, pays que l’Occident range volontiers dans la catégorie des arriérés. Là-bas, j’ai vu des familles élargies où nul ne se demandait qui devait changer un lange : on le changeait, point. J’ai vu des hommes calmer un bébé en pleurs, des grands-mères mener une troupe d’enfants comme un général bienveillant, des voisins distribuer une réprimande avec la même légitimité qu’un parent biologique.
 Tout le monde savait que les enfants appartiennent à la communauté, pas seulement à leur mère.

La solitude maternelle : curiosité anthropologique made in Occident

Nous, en revanche, nous nous sommes persuadés qu’une femme seule peut, et doit, absorber ce que dix personnes faisaient auparavant. Et lorsqu’elle n’y parvient pas, on l’accuse d’être une « mauvaise mère ».
 La violence de cette logique devrait nous sauter au visage.

On a construit un monde où la charge d’un enfant repose presque exclusivement sur les femmes. Et lorsque les pères s’éclipsent, parce qu’ils peuvent s’éclipser, la société leur en laisse la possibilité sans grande conséquence sociale, ils imaginent qu’un virement mensuel suffit à solder leurs responsabilités. La mater dolorosa moderne, elle, doit tout tenir : les journées doubles, l’équilibre émotionnel, la réussite scolaire, la stabilité du foyer, la charge mentale, les nuits blanches et l’autodiscipline quasi militaire.

Et pourtant, l’Occident continue de se louer d’être un modèle en matière de droits, d’égalité, de civilisation. Quel paradoxe. Quelle ironie historique.

Ne pas revenir en arrière, mais s’inspirer de ce qui a toujours fonctionné

Je ne plaide pas pour un retour en arrière, ni pour la famille traditionnelle figée dans son modèle patriarcal. Je plaide pour l’invention ou plutôt la réinvention de formes collectives d’éducation. Je rêve de babayagas modernes, de néo-béguinages où des femmes de tous âges, mères ou non, partageraient la tâche immense d’élever les enfants.
 Un lieu où une femme ne serait plus jamais seule face à un biberon, une crise d’adolescence, ou cette angoisse sourde de « mal faire ».
 Un lieu où l’éducation deviendrait un acte collectif, une responsabilité partagée, portée par plusieurs épaules, et plus jamais sur une seule.
Car, si l’on veut vraiment une société plus juste et plus humaine, il faudra bien admettre que la mère seule, cet étrange artefact de notre modernité, n’a rien de naturel. C’est une création politique, économique, sociale. Et c’est une création profondément inhumaine.


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