Deni de démocratie : quand la démocratie citoyenne est muselée.
Le 1e janvier 2017 l’intercommunalité de Loire et Sillon (Savenay) en Loire Atlantique (44) a fusionné, sur injonction préfectorale, avec l’intercommunalité voisine de Cœur Estuaire (Saint Etienne de Montluc). Le mariage forcé a été difficile et les élus locaux se sont arrangés pour que leurs prérogatives, leurs affaires, leurs « pré carré » féodal soient respectés. Ces petits arrangements entre amis sont monnaie courante dans la belle démocratie française : c’est ce que le nouveau gouvernement, élu par 15% des citoyens, appelle la « vieille politique ». Aussi, quand sur des territoires un peu oubliés de la métropolisation à outrance de ce siècle urbain, des conseils citoyens de démocratie participative, sans orientation politique mais avec le sens du bien commun et du partage d’idées, fonctionnent parfaitement et font un travail remarquable, il est logique de les balayer d’un revers de la main. Est-on encore au temps des monarques absolus qui font taire les sujets à coup de menace ? Il semble que cela soit bien le cas dans ce coin de campagne entre Nantes et Saint Nazaire.
En janvier dernier, le Conseil de Développement de l’ancienne intercommunalité de Loire et Sillon, qui s’apprêtait à accueillir avec enthousiasme de nouveaux membres venus de Cœur Estuaire, s’est vu effacé purement et simplement du paysage local par le coup d’autorité d’un seul homme, M. Nicoleau, nouveau président d’Estuaire et Sillon, la nouvelle intercommunalité issue de la fusion. L’engagement et la motivation de dizaines de bénévoles, leur travail acharné et de qualité depuis 10 ans, les compétences acquises par chacun, ont été méprisés par un de ces petits seigneurs qui pensent encore que la légitimité se gagne uniquement dans les urnes ! Selon lui, la loi Notre de 2014, qui force le regroupement des EPCI (établissements publics de coopération intercommunales), lui enjoignait de passer outre l’existence d’un Conseil de Développement et de créer ex nihilo un CD pour la nouvelle intercommunalité. Il n’y a rien de tel dans la loi, et on aurait pu au contraire penser que le nouveau président de l’intercommunalité se serait félicité de l’existence d’une base solide pour permettre une évolution et une passation tranquille vers une nouvelle instance démocratique.
Ainsi, dès janvier, le Conseil de Développement a cessé d’exister, son président élu par les membres du Conseil a été démis de ses fonctions, et on lui a interdit de siéger aux différentes commissions et conseils locaux dans lesquels les avis des Conseils de Développement étaient nécessaires. En mars, un nouveau président du CD a été élu par les élus communautaire d’Estuaire et Sillon. M. Allio n’est pas habitant du territoire mais possède une entreprise dans une de ces communes. Qu’un président d’une institution citoyenne soit élu par des élus locaux où, selon la loi, ils n’ont aucun droit de regard pour préserver son indépendance, c’est déjà étonnant. Que ce monsieur ne soit en aucun cas un membre actif et engagé dans l’action citoyenne locale mais plutôt un défenseur des intérêts privés de certains, cela l’est encore plus !
Durant 7 mois, le Conseil de Développement n’a pas existé, alors qu’il devait, par exemple, participer à des Comités de programmations qui permettent aux projets de territoires d’obtenir des subventions européennes, les fonds LEADER. Ainsi, des décisions ont été prises sans les représentants de la société civile de notre territoire, alors même que la loi européenne, rigoureuse et tatillonne, précise ces fonds doivent être gérés conjointement par les élus et les citoyens ! Peut-être serait-il bon d’en informer la Commission européenne à Bruxelles ? Mais ce serait déranger ces messieurs les élus dans leurs affaires, car certains maires du territoire n’ont pas été très satisfaits des décisions de ces Comités de programmation LEADER qui ont vu les subventions attendues diminuer drastiquement parce que les membres de ces Comités et surtout ceux des Conseils de Développement locaux ne considéraient pas que ces projets correspondaient aux critères européens ! En ces temps de disette budgétaire nationale, il est bien tentant d’utiliser les fonds européens (Bruxelles est si loin !) pour faire vivre des projets pharaoniques et inutiles pour les citoyens. Pourtant, ces fonds européens sont avant tout destinés aux projets associatifs ou privés, mais en tout cas pas forcément et uniquement à ceux du public !
Hier soir, jeudi 14 septembre, a pourtant eu lieu la première réunion plénière du nouveau Conseil de Développement d’Estuaire et Sillon… 9 mois après la fusion des deux intercommunalités. Les membres bénévoles présents étaient des anciens du CD de Loire et Sillon et de nouveaux membres attirés par des encarts dans la presse locale les informant que le conseil citoyen recrutait de nouveaux membres. Cette liste de 47 noms a été validé en Conseil communautaire d’Estuaire et Sillon ! Donc, pour faire partie bénévolement d’une assemblée de citoyens, il faut montrer patte blanche et être accepté par les élus locaux ! On se demande ce qui se passe si des habitants des communes, critiques envers leurs municipalités, demandent à participer au CD ?
Quand j’ai fait acte de candidature pour intégrer le défunt CD de Loire et Sillon, j’ai envoyé un mail à l’animatrice qui m’a reçu dans son bureau pour me montrer ce qui avait déjà été fait par le CD… et quelques semaines plus tard j’ai participé à ma première réunion ! C’est tout. Personne n’est venu vérifié mon pedigree et mon CV !
La réunion de jeudi soir s’est très mal déroulée. Le nouveau président du CD a été interpelé par plusieurs personnes pour lui demander s’il se sentait légitime face à nous, nous qui n’avions jamais été consulté sur sa désignation, nous qui ne le connaissions absolument pas, nous qui n’avions jamais travaillé avec lui. L’ancien président élu par les membres du CD lui a demandé pourquoi il était resté silencieux et pourquoi ils n’avaient pas pu travailler ensemble à la passation de la charge et surtout à la participation du CD aux comités et commissions locales. Tout ce qui nous a été répondu c’est que ces erreurs du départ ne se reproduiraient pas, car LUI y veillerait. Nous avons eu en face de nous un homme qui se trouvait bien aise dans ce nouveau rôle de pouvoir, qui lui permettait de faire jouer ses réseaux politiques locaux, alors que c’est exactement le contraire de la philosophie d’un Conseil de Développement citoyen !
Une membre de l’assemblée a proposé de constituer le nouveau CD en association, pour que son fonctionnement soit plus clair et démocratique. Sa proposition a été balayée par le nouveau président. Des questions ont été posées sur les conditions du recrutement des membres du CD et il a été répondu qu’à partir de ce soir c’est LUI qui se chargerait de ce recrutement.
Après quelques minutes de discussions un peu tendues, plusieurs membres de l’assemblée se sont levés pour sortir de la salle et ne plus participer à cette mascarade de démocratie. Des anciens et des nouveaux membres ont décidé de démissionner ce soir, laissant il est vrai les nouveaux arrivants qui ignoraient les antécédents de cette affaire un peu pantois devant ce règlement de compte. Mais comment faire autrement quand les citoyens engagés et volontaires sont ainsi muselés, menacés, écrasés par ces petits seigneurs ? Des 35 personnes présentes, 18 sont sorties. Pour qu’un Conseil de Développement fonctionne, il faut au moins 50 personnes ! Pour que le CD d’Estuaire et Sillon puisse renaître de ses cendres et surtout reprendre les dossiers où il est engagé localement, il faudra des mois et beaucoup de compétences, que les nouveaux membres n’ont sans doute pas ! C’est sans doute la fin d’une institution qui était reconnue pour son organisation démocratique et pour la qualité de ses travaux dans toute la région. C’est surtout encore une fois la preuve que les élus de ce pays n’ont toujours pas pris la mesure des changements de la société et de ce que veulent vraiment les citoyens qui sont les plus engagés dans la vie collective. Il est fini le temps où la représentativité se contentait de l’élection. Surtout au niveau local, où les projets fleurissent, où la vie associative est de plus en plus dense et active. Tout ce petit monde, celui d’ici ou celui de Paris n’a toujours pas compris que les choses sont en train de changer et qu’ils représentent une société passée qui n’est plus la nôtre et qui n’est plus celle dont nous voulons !
Qu’est-ce qu’un Conseil de Développement : https://fr.wikipedia.org/wiki/Conseil_de_d%C3%A9veloppement
La Communauté de Communes d’Estuaire et Sillon ; https://fr.wikipedia.org/wiki/Communaut%C3%A9_de_communes_Estuaire_et_Sillon
Les grands projets inutiles du territoire :
Loire Estua : https://www.loirestua.com/estuaire-et-sillon-l-inventeur/
Le projet de la gare de Savenay : http://ateliergeorges.fr/projet/les-projets/quartier-gare
C’était très intéressant… et surtout, très flippant ! J’ai eu des échos d’une personne que je connais dans son département, ce n’est pas très glorieux non plus… (pas forcément le CD, mais les luttes de pouvoir politique, le fait qu’ils en foutent pas très lourd…)
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je crois que les citoyens engagés devraient davantage partager ces avis et ces remarques entre eux ! le problème est comme souvent : les élus font bloc et forment une caste alors que les citoyens sont éparpillés et pris par plein d’autres choses. Il faut nous rassembler !!!
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C’est vrai ! Il faudrait que j’y songe mais je n’ai pas envie de m’engager dans un parti politique vu qu’on n’y changera rien de l’intérieur, mais une alternative serait cool.
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Bonjour. Je ne prends connaissance de ce post et ne peux y réagir qu’à l’issue d’une absence de 15 jours. Il y a, en effet, beaucoup à dire sur la constitution et le rôle des « conseils de développement », instances obligatoires dans les EPCI, lot de consolation ou/et terrain de jeu pour les recalés de la démocratie ? C’est un aspect intéressant dans le débat sur les défaillances de la démocratie dans la France périphérique hors métropolitaine. Mais sont-ils vraiment de nature et de taille à corriger le déni démocratique consubstantiel, très généralement, à toutes les communautés de communes ?
Concernant Estuaire et Sillon, la fusion en cours (en 2017-2019, d’ex Cœur d’Estuaire et Loire et Sillon) ne semble pas arranger les choses en matière de non-transparence et de confiscation du pouvoir par une étroite élite locale omnipotente (les onze maires des onze communes). Mais il y a là matière à réflexion et – qui sait – à action. Toutefois, de constat et d’expérience, je doute néanmoins un peu que le conseil de développement soit le lieu le plus propice et potentiellement le plus fructueux en la matière.
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