Les Piliers de la Mer : L’Odyssée Verticale de Sylvain Tesson sur les Sentinelles Rocheuses des Océans

Sylvain Tesson, l’écrivain aventurier, revient chez les libraires avec un nouvel opus de son œuvre qui raconte le monde. Cette fois-ci c’est la montagne à la mer. Les piliers de la mer ce sont ces aiguilles qui s’élancent ou se rétractent, c’est selon le point de vue du spectateur, du continent. L’exemple qui vient tout de suite à l’esprit c’est l’aiguille d’Étretat qui est d’ailleurs la première à faire les frais des grimpeurs. Car Tesson n’est pas seul à grimper, depuis son accident il est accompagné d’alpinistes comme son ami Daniel Du Lac (quel nom de famille pour un alpiniste) et de sa nouvelle compagne. Le livre est, comme souvent chez Tesson, un mélange entre récit d’aventures et réflexions moins philosophiques que personnelles. Grimper ou marcher mènent à penser, c’est un fait que tous les randonneurs du dimanche connaissent bien. Par contre, peu ont le talent de pouvoir marcher avec les mots comme le fait Tesson et nous mettre sous les yeux de l’imaginaire un récit qui fait des piliers de la mer des êtres presque vivants.

De l’Aiguille d’Étretat aux Confins de la Terre

Le nouveau récit de Tesson relate l’exploration et l’escalade de plus d’une centaine de « stacks » – ces colonnes rocheuses isolées au large des côtes que l’auteur décrit comme « les dernières terres inviolées par l’homme ». À travers cette quête vertigineuse menée sur vingt ans, Tesson poursuit sa recherche d’espaces sauvages dans un monde entièrement cartographié, mêlant prouesse physique et réflexion philosophique sur notre rapport contemporain à la nature et à la liberté.
Le livre s’intitule « les piliers de la mer » et il fait penser au livre, déjà ancien de Ken Folett, « les piliers de la terre » qui racontait la construction des cathédrales au Moyen Age. Les aiguilles rocheuses qui se découpent des flots sont-elles comme des cathédrales naturelles où les pèlerins (oiseaux comme alpinistes) viendraient vider leurs âmes des tourments modernes ? C’est peut-être ce que Tesson laisse entrevoir. Pourtant, dans tout le livre, l’auteur n’emploie plus le mot « pilier » mais celui, anglais, de « stacks » : beaucoup plus cours, plus raccourci, ce mot claque comme une vague contre un rocher.

Le périple de Sylvain Tesson commence symboliquement à l’Aiguille d’Étretat, en Normandie, célèbre pilier rocheux immortalisé par Maurice Leblanc dans les aventures d’Arsène Lupin. Ce point de départ français marque le début d’une odyssée qui le conduira aux quatre coins du globe. « De l’aiguille d’Etretat à Totem Pole en Tasmanie en passant par les îles Féroé et le cap Horn, Sylvain Tesson a gravi en vingt ans plus de cent stacks, ces piliers rocheux dressés au large des falaises », nous apprend la description officielle de l’ouvrage.
Dans cette exploration méthodique, Tesson et ses compagnons d’aventure ont parcouru des paysages côtiers spectaculaires et variés. Des falaises écossaises aux rivages des Philippines, en passant par le mythique cap Horn, l’expédition a ciblé ces formations géologiques singulières qui se dressent comme des sentinelles face à l’océan. L’auteur révèle qu’une bonne moitié des piliers qu’ils ont gravis n’avaient jamais été escaladés auparavant, conférant à leur entreprise une dimension d’exploration authentique.

Une Aventure Technique et Périlleuse

L’escalade des piliers n’est pas chose aisée et constitue un défi technique considérable que Tesson détaille dans son récit. Il y a d’abord l’approche du stack, qui peut être délicate. Il faut maîtriser la navigation voire la nage en eaux tumultueuses mais aussi passer sous les radars des polices côtières, car grimper ces rochers est souvent illégale. La seconde étape, l’escalade, est tout aussi périlleuse car ces monolithes naturels, vestiges de falaises érodées par des millénaires d’assauts marins, présentent des difficultés spécifiques : roche parfois friable, exposition aux éléments, présence d’oiseaux moqueurs, sommités herbeuses et réduites, où il est difficile de se tenir debout. Enfin, il faut redescendre, ce qui, les amateurs de montagne le savent, est finalement la partie la plus technique et la plus difficile car le sommet ayant été atteint, on perd parfois de sa lucidité dans ce chemin qui nous ramène à la terre (mer?) ferme.

Une Quête de Liberté et de Résistance

Au-delà de l’exploit sportif, « Les Piliers de la mer » développe une réflexion philosophique chère à Sylvain Tesson sur la place de l’aventure et de la liberté dans notre monde contemporain. L’auteur l’exprime clairement dès les premières pages : « Quand on se prétend aventurier, il est vexant de vivre au XXIe siècle. La surface du globe est cartographiée. À chaque plage son plagiste. Pas une source sans sa mise en bouteille, pas un scarabée sans son département au Muséum. On va au désert de Gobi comme au bassin d’Arcachon… »
Les stacks deviennent alors des figures de la résistance et aussi du pas de côté. Ils sont presque vivants et l’un des derniers chapitres est d’ailleurs consacré à leur donner des noms de personnages célèbres qui pourraient incarner ce détachement, cet écart du monde. On sait que Tesson aime critiquer le monde moderne, et il a souvent raison dans ses analyses. Il cherche depuis longtemps et de façon paradoxale, à fuir le monde tout en y vivant, à l’intérieur, de manière explosive. Les hauteurs de l’Himalaya ou les voyages maritimes, les absences dans les cabanes russes, il veut quitter le monde tout en habitant au cœur de Paris. Les stacks semblent être pour lui des symboles de ce refus du monde, de ce dandysme dont il est une figure de proue alors même qu’il reste collé à ce même monde médiatique et people.

« À l’écart, elles ressemblent aux dandys, aux rebelles humains. Qui êtes-vous, tours de la haute mer ? Le dernier refuge peut-être ? »

Cette métaphore traverse l’ensemble du livre, faisant de ces formations géologiques les symboles d’une certaine indépendance farouche que l’auteur valorise.

Entre Récit d’Aventure et Méditation

Fidèle à son style désormais reconnaissable, Tesson entremêle le récit factuel de ses escalades avec des digressions littéraires et philosophiques. Il est un indéniable conteur qui manie la langue avec finesse et puissance. Il créé donc, depuis plusieurs années, une œuvre qui est à la fois mouvement, aventures et poésie. Serait-il un exemple des moines soldats d’autrefois, de ceux qui ont su combiner vie active et vie contemplative ? La beauté du monde est, en effet, un support merveilleux pour s’en retirer quand il devient trop bruyant ou malodorant. On pourra faire remarquer à l’auteur que cet extraction de soi-même il n’est pas forcément nécessaire d’aller la chercher au bord de l’océan Antarctique en escaladant au péril de sa vie des rochers du Cap Horn. Faut-il vivre des moments intenses, périlleux, merveilleux, uniques pour être à la limite de la réalité et de l’outre-monde ? Les couchers de soleils sont-ils plus inspirants en Nouvelle-Zélande que dans la Baie de Somme ? Ce n’est pas que l’aventure est aussi au bout de la rue, mais que les frissons et la joie du moment unique peuvent se vivre en contemplant un brin d’herbe qui pousse.
Philosopher est, c’est vrai, plus facile en marchant que devant son poêle dans un maison, car l’esprit est comme le corps, plus alerte en mouvement. L’attention concise et précise que doit porter le grimpeur permet également de méditer en se concentrant uniquement sur le geste suivant. On éloigne les idées inutiles quand on bouge, emporté par les vents ou les routes.

Conclusion

« Les Piliers de la mer » s’inscrit dans la continuité d’une œuvre cohérente où l’exploration géographique sert de support à une exploration intérieure. À travers l’escalade périlleuse de ces colonnes rocheuses isolées, Sylvain Tesson poursuit sa quête d’espaces de liberté dans un monde qu’il perçoit comme de plus en plus normalisé et contrôlé. Le livre rencontrera sans aucun doute un succès attendu car la démarche de l’écrivain voyageur trouve un écho certain chez ses contemporains qui commencent à comprendre que le tourisme de masse, la consommation à outrance, la connexion tout azimuts ne sont pas les fins attendus des humains.
En définitive, ce carnet de bord maritime et vertical offre une nouvelle variation sur les thèmes de prédilection de l’auteur : la confrontation à la nature sauvage comme révélateur de notre humanité, la résistance aux conformismes contemporains, et la quête inlassable d’une forme d’authenticité. Dans une époque où l’aventure semble devenue impossible, Tesson démontre qu’il reste des territoires inexplorés pour qui sait regarder différemment le monde qui nous entoure.

Chronique précédente sur Sylvain Tesson : Dans les forêts de Sibérie


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