Ah ! Ça ira… ritournelle chantée durant la Révolution française par les Sans-culottes pour manifester aux aristocrates privilégiés qu’il est temps pour eux d’aller se balancer « à la lanterne », c’est-à-dire aux lampadaires qui jalonnaient les façades des immeubles parisiens !
Cela fait longtemps que je pense que nous sommes à peu près au même stade de déliquescence de la société qu’en 1789 : des privilégiés qui se gavent tandis que les inégalités augmentent. La différence avec 1789 est que le pouvoir en place a été bien plus malicieux que le pauvre Louis XVI et qu’il s’est souvenu des techniques employées dans la Rome impériale pour prévenir les soulèvements : « du pain et des jeux »… nous ne mourrons pas encore de faim et nous avons la télévision pour oublier après une journée de labeur que nous sommes des esclaves.
La livre de Denis Lachaud se déroule en deux époques. L’une, peut-être la nôtre, voit un groupuscule que l’Etat autoritaire qualifierait de « terroriste » composé de figures sacrées, appelées Robespierre, Desmoulin ou Saint Just, noms de code, alias, noms de résistance pour cacher des gens comme vous et moi qui ne veulent plus de cette mascarade. Sauf que, la révolution ne peut se faire dans la dentelle et le sang coule… celui du Président de la République. Antoine, dit Saint Just, le héros du livre, est arrêté et passe plusieurs décennies en prison.
Deuxième époque : 2037. Encore une fois, la littérature contemporaine nous entraîne vers ce futur pas si lointain, où tout va mal, où rien ne va plus, où nos angoisses sont devenues réalités. Là, pas besoin de musulmans qui envahissent ou de Front national vainqueur… rien qu’une démocratie qui fait naufrage. Le livre a été écrit avant la terreur qui s’est abattue sur la France, mais bien pendant la crise des migrants. L’auteur invente, ce qui semble germer de plus en plus dans les esprits malades de nos politiques : des centres de rétentions des immigrés, véritables forteresses coupées du monde, construites sur les ruines de nos banlieues parisiennes. Un mur, des caméras, des chiens, des policiers, empêchent les exilés de sortir. Ils sont assignés à résidence perpétuelle, travaillant pour rien dans des usines de production d’objets inutiles. C’est l’Enfer à l’intérieur, chacun essayant de retrouver les siens, ceux de sa communauté, de sa patrie d’origine. On suit, dans ces cercueils à ciel ouvert, le destin d’une jeune grecque… ironie de l’histoire.
Sortant de sa prison, Antoine retrouve sa fille, Rosa… comme Luxembourg. Les retrouvailles ne sont pas simples. Mais la jeune fille vit dans un état de précarité avancée, avec son meilleur ami Rufus, dans une crise des logements qui les mets finalement dehors. Ils décident alors, grâce aux réseaux sociaux, de se rassembler et de montrer à la face du monde égoïste, en plein Paris bourgeois, ce que vivent les jeunes. Ils sont rejoint par 68 autres… et le mouvement est lancé. De son côté, Antoine retrouve un petit job et on lui alloue un appartement dans une cité HLM et se fait un ami de son voisin, Ahmed, petit vendeur de fruits et légumes. Et c’est là que se trouve la finesse du propos de Denis Lachaud : faire se rencontrer la jeunesse perdue et désillusionnée des cités de banlieue avec celle encore gavée des centres-ville. Car si le changement doit advenir, il ne pourra se faire que sous deux conditions : que la jeunesse se soulève, que toute la jeunesse se soulève, et surtout celle de nos ghettos, qui pour l’instant préfère ne pas voter ou partir faire le djihad !
Ce livre est étrange, à la fois optimiste mais aussi réaliste. Il s’appuie sur des réalités comme la puissance des réseaux sociaux, la crise des migrants, un élément qui met le feu aux poudres comme durant les révolutions arabes (un jeune homme qui s’immole par le feu), des rassemblements d’inconnus sur des places non pas pour scander « on aime la police » comme en janvier dernier mais bien pour occuper… Il nous rappelle surtout que les plus grands bouleversements historiques ne le deviennent qu’après coup et qu’il faut bien commencer un jour, par un petit quelque chose, dont on n’est finalement pas maître, et qui s’embrase car il touche une large majorité. Mais pour cela, il faut être à bout… ce qui n’est pas encore notre cas.
L’une des raisons de la révolution, c’est aussi la météo et la famine qui en a résulté. Il faut bien admettre que les gens heureux n’ont pas d’histoire et que les grands bouleversements sont plutôt les effets d’une minorité. Et vous le dites très bien, aujourd’hui, les minorités acculées et sans avenir vont en Syrie …
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