Le fait religieux a toujours été une question pour moi. J’ai grandis dans un univers plutôt catholique, passant plus ou moins sagement les étapes initiatiques du chrétien, mais me posant assez tôt les questions de la foi et de la vérité. A présent je fais mienne cette définition de Schopenhauer (toujours lui, bien sûr) :
« La religion est le seul moyen de faire connaître et de rendre sensible la haute signification de la vie au sentiment grossier et à l’entendement indocile de la foule plongée au fond de sa vile besogne et de son travail matériel. […] La religion est la métaphysique du peuple. »
Sur la religion Dans la suite de ce petit ouvrage il précise que la religion est affaire de foi et de révélation, tandis que la philosophie est un savoir basé sur la raison.
Le bouddhisme est une métaphysique et une philosophie pratique car il enseigne une vision du monde, il décrit le monde dans lequel nous vivons. Cette description peut-être taxée de pessimiste, pour ma part je dirais qu’elle est réaliste. Le monde dans lequel les êtres humains vivent est un monde de souffrance et d’impermanence, de vacuité et d’illusion, que seul l’esprit fige, fixe dans un mouvement naturel à l’humain d’auto-protection pour espérer ne pas ressentir la peur et la solitude. Les religions peuvent également proposer un tel modèle, comme le christianisme avec l’idée de Chute originelle, mais là où les différences s’accentuent c’est la manière dont on réagit face à cette vérité du monde tel qu’il est.
Le bouddhiste, quand il se prosterne par trois fois devant une statue de Bouddha, les mains jointes placées successivement au-dessus de sa tête, au niveau de sa gorge et au niveau de son cœur, ne s’humilie pas devant un être extérieur, un dieu ou un prophète… il se prosterne devant soi-même ! Je sais que même chez les bouddhistes, il y a des personnes qui idolâtrent le Bouddha comme une divinité : c’est mal comprendre le sens de cette philosophie, dont le cœur est celui aussi de l’hellénisme, Connais toi toi-même. De même, les prières aux yidam comme Tchérenzi ou Mahakhala, qui sont des manifestations de la bouddhéité, ne sont pas faites à une divinité mais à une composante particulière du Soi. Il s’agit de se concilier soi-même, de faire la paix avec soi, de s’aimer véritablement, d’avoir toute la compassion et la bienveillance possible envers soi-même. Et toutes ces pratiques bouddhistes, comme aussi la récitation des mantra, par exemple Om mani pédmé houng, sont faites – je le répète quand c’est bien compris – pour s’éveiller soi-même, pour toucher, dans l’inconscient de tout esprit, cette petite flamme de Vérité qui brille chez tous les êtres vivants de ce monde. C’est soi-même que l’on prie, pas un dieu ou un guide extérieur. L’Éveil est alors la parfaite compréhension, ce que j’appelle l’intuition, qui est bien plus qu’une compréhension intellectuelle, mais un savoir vécu, de la réalité de ce monde ci ! Il n’y a donc pas de Dieu dans le bouddhisme, au sens monothéiste du terme, pas de Dieu créateur du monde, car le question n’est pas comment ce monde a-t-il été créé, mais comment faire pour y vivre le plus sagement, le plus heureux ? Déjà, pour moi, c’est une attitude bien plus passionnante et vivante ! Le « dieu », si on peut encore utiliser ce mot qui n’a plus aucun sens, et qui au contraire apporte des contre-sens, est celui qui est en nous ; on peut alors davantage parler d’un Atman (hindouisme) ou d’un Inconscient (psychanalyste), d’un Soi tout simplement, qui serait la seule et unique divinité dans ce monde, reliée (religere, religion!) avec un Bhraman, un Tout Unique, l’Un des mystiques !
Le Protecteur Mahakhala (la colère) du monastère de Samyé au Tibet.
Les Protecteurs, ces manifestations courroucées et effrayantes, chargées d’armes et de têtes de morts, fréquentes dans les représentations picturales des monastères bouddhistes, sont en fait le signe d’un syncrétisme ancien. Le bouddhisme s’implanta au Tibet vers le VIIIe siècle, venu d’Inde par la volonté du roi Songsten Gampo. Mais il existait une religion au Tibet, Bön (prononcez beune), dont certains rites pourraient s’approcher du chamanisme et que l’on retrouve donc sous certaines formes dans le bouddhisme tibétain.