3 L’importance de la question environnementale : de l’échelle locale à l’échelle globale
La question de la protection de l’environnement est une question transversale, qui traverse non seulement les différentes échelles du pouvoir mais aussi les prises de positions partisanes et politiques autour du projet. Elle est au cœur des discussions et on peut dire également qu’elle est devenue le motif principal de la discussion. Elle devient même une « arlésienne » dans les discours, les meetings et les études en tout genre que suscite le projet. Elle est le prétexte de l’opposition à l’implantation sur le site de Notre Dame des Landes, comme à la volonté du transfert de Nantes-Atlantique. Elle est aussi un « poil à gratter » pour les élus qu’ils soient nationaux ou locaux, car elle n’est plus confinée aux actions de militants mais elle est partagée par une grande majorité de citoyens.
L’intérêt de cette question écologique est qu’elle n’est ni rurale ni urbaine, elle est générale. Serait-elle d’ailleurs la seule à être d’intérêt général ?
Elle devient prégnante à partir de 2007 et du Grenelle de l’environnement qui tente de prendre des décisions à long terme en ce qui concerne la protection de l’environnement, de la biodiversité et du développement durable. Il est ainsi annoncé le gel de toutes nouvelles structures aéroportuaires. Des engagements en matière environnementale aérienne sont également pris, comme par exemple l’amélioration de la performance environnementale des aéroports et des entreprises du secteur aérien ou la réduction de moitié le bruit perçu par les populations survolées en région parisienne et améliorer l’aide à l’insonorisation des riverains. Au vu de cette contradiction avec le maintien du projet, le ministère de l’écologie et du développement durable affirme que Notre Dame des Landes sera le premier aéroport « grenellien », c’est-à-dire un aéroport de Haute Qualité environnementale et « bénéficiera notamment de bâtiments basse consommation et de temps de vol et de roulage optimisés. Il doit permettre de réduire fortement le nombre de personnes exposées aux nuisances sonores, de s’insérer au mieux dans son environnement naturel en limitant la périurbanisation et de sauvegarder le site du lac de Grand-Lieu, espace classé Natura 2000. »[1] En effet, il est présenté non pas comme un nouvel aéroport (sic !) mais comme le transfert de celui de Nantes Atlantique.
En ce qui concerne les collectivités territoriales, l’article 51 de la Loi Grenelle I considère qu’elles sont des acteurs essentiels pour l’environnement et pour le développement durable et qu’elles ont un rôle de complémentarité avec l’Etat, tant d’un point de vue stratégique qu’opérationnel. Sont créés dans ce cadre les Plans Climat Energie Territoriaux (PCET) qui sont des projets, portés par les collectivités, pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre et de réduire la dépendance énergétique. Ils engagent non seulement les décideurs publics locaux mais aussi les entreprises, les associations, les universités, les habitants d’un territoire. Les collectivités peuvent également proposer la création d’infrastructures écologiques, sous le terme de Trame bleue ou verte, dans la préparation de leurs projets d’urbanismes et dans les Scot. C’est ainsi ce que propose la communauté de commune d’Erdre et Gesvres pour tenter de réduire l’impact environnemental évident et destructeur du projet de l’aéroport.
C’est donc à partir de la fin des années 2000 et le début des années 2010 que les arguments touchant l’environnement sont devenus centraux dans la lutte pour ou contre le projet. Ils sont portés majoritairement par les opposants citoyens, les riverains, les militants mais également par les collectifs d’élus, pointant ainsi dans différents courrier à Ségolène Royal, devenue en 2014 ministre de l’Ecologie, les contradictions importantes entre les discours « verts » des politiques et en particulier du président Hollande et la réalité des décisions publiques qui ne veulent pas abandonner le projet. Ainsi, l’association d’élus du CéDpa envoie une lettre à la ministre le 9 février 2015 où il est dit « depuis le début, notre association a dit et redit que le choix du site de Notre Dame des Landes, fait dans les années 70, n’était pas pertinent compte tenu des problèmes environnementaux qu’il pose. »[2] Ils deviennent encore plus fort en cette année 2015 où Paris recevra la COP21 qui doit prendre des décisions drastiques sur la réduction de l’émission des gaz à effet de serre au niveau mondial. Le gouvernement affirme depuis des mois que cette conférence doit être une réussite, et les élus locaux contre le projet de Notre Dame des Landes pointent encore une fois les contradictions politiques fortes entre les discours, les effets d’annonce et les décisions prises par l’Etat. Ainsi, dans la même lettre de février dernier, CéDpa utilise très justement cet argument :
« En décembre prochain, la France accueillera la Conférence Mondiale sur le Climat. L’enjeu est de taille : il en va des conditions de vie des générations futures. Les scientifiques tirent la sonnette d’alarme depuis longtemps déjà et même les climato-sceptiques se font désormais discrets puisque, hélas, les effets du changement climatique sont déjà visibles. Le Président de la République et vous-même avez dit votre volonté d’agir et de répondre à ce défi majeur. Comment pourriez-vous ne pas tenir compte de l’avis des scientifiques sur le sujet qui nous mobilise en Loire-Atlantique ? Comment pourriez-vous accepter que les travaux soient lancés dès ce printemps, comme l’a affirmé récemment le Premier Ministre ?
Abroger la DUP de ce projet au regard des avis scientifiques négatifs et des nombreux dysfonctionnements de la procédure serait un signe fort de votre gouvernement pour cette Conférence. Il faut sauver le site de Notre Dame des Landes d’une destruction irréversible et non compensable. Il ne s’agit pas de « revenir à l’âge de pierre » mais de concilier le transport aérien et la préservation de zones humides d’un milieu exceptionnel. C’est tout à fait possible car nous vous le redisons, il y a une alternative à ce projet de transfert : la rénovation de l’actuel aéroport, réalisable rapidement et à bien moindre coût qu’une construction neuve. Nous sommes évidemment à votre disposition pour vous présenter nos propositions constructives et réalistes. »
L’argument environnemental est fondé sur les travaux scientifiques mondiaux qui attestent aujourd’hui de changements majeurs dans l’évolution du climat de la planète. Le local devient un symbole du global : Notre Dame des Landes n’est plus alors une question seulement régionale, ni même nationale, elle s’intègre à présent dans la lutte que toute l’humanité doit engager contre le réchauffement climatique. Les élus locaux contre le projet deviennent alors les défenseurs de cette cause générale qui est devenue moralement bonne et soutenable. Ils sont les défenseurs d’une juste cause. Dans cette dialectique, l’Etat est devenu quant à lui presque un empêcheur de sauver, un étage inutile dans la prise de décision entre l’échelle globale qui s’inquiète et l’échelle locale qui veut agir. On peut le remarque dans ce texte puisque y sont cités dans un même paragraphe ces trois échelles : « conférence mondiale », « Président de la République » et « Premier ministre », et enfin « Loire-Atlantique ». Le global et le local sont territorialisé, spatialisé, tandis que l’échelle nationale est personnalisée. Ce que veulent les territoires comme entité ne peut être remis en cause par la volonté des hommes (politiques). Les territoires c’est bien la « terre » ici, la planète quand elle est mondiale et notre terre, nos espaces, notre cadre de vie, quand elle est locale. Entre cette tension, les hommes sont des freins aux changements alors que ce sont eux-mêmes qui ont crée les problèmes.
Au milieu de cette lutte on trouve les scientifiques, qui sont les chevaliers blancs dont l’objectivité « pure et parfaite » n’est à aucun moment remise en cause. La science est la preuve mais aussi le moteur de l’action. Elle est une production humaine qui est hors des conflits et des considérations bassement humaines et qui sera l’arme pacifique pour « sauver » la terre. Elle est le meilleur de l’esprit humain alors que la politique, envisagée comme un discours qui « dit qu’il va agir », est faible et cynique.
L’objectif de cette lutte n’est pas, selon les élus, de « revenir à l’âge de pierre », c’est-à-dire de se battre contre le développement économique et la croissance. Dans ce sens, les élus contre le projet ne veulent pas être vus comme des écologistes politiques ou des décroissants qui ne voudraient pas le bonheur économique de leur territoire. Ils recherchent en fait un équilibre, entre cette croissance économique et la protection de l’environnement, c’est-à-dire le développement durable. Pour eux, la construction de l’aéroport serait la destruction irrémédiable du site naturel de Notre Dame des Landes, même si les autorités publiques ont tenté de défendre l’idée d’une compensation environnementale. C’est bien le site comme paysage et comme cadre de vie qui est ici défendu, avec l’argument de bon sens qu’au lieu de détruire deux sites naturels (Nantes Atlantique et Notre Dame des Landes), mieux vaudrait n’en détruire qu’un, qui de toute façon est déjà construit, en l’améliorant. On constate que les élus n’opposent pas ici la contestation des prévisions du trafic aérien, mais se veulent conciliant dans l’attente d’une partie des pouvoirs publics nationaux et locaux quant à la satisfaction pour toute la région des demandes en transport aérien. La dernière phrase de cet extrait montre enfin que les élus se voient eux-mêmes non pas comme des exécuteurs des décisions de l’Etat mais bien comme des acteurs à part entière, des soutiens à la décision nationale, complémentaire de la ministre et tout aussi légitimes pour proposer des solutions. Ils demandent à être entendus et pas seulement pour se plaindre mais bien pour proposer des solutions réalistes, c’est-à-dire en cohérence avec les besoins du territoire qui est le leur.
La question environnementale autour de Notre Dame des Landes se cristallise à partir de 2012 autour des deux problèmes des espèces animales à protéger et de la Loi sur l’Eau. Cette loi sur l’eau et les milieux aquatiques a été promulguée en 2006 qui transpose en droit français une directive européenne datant de 2000. Elle reconnaît le droit fondamental à l’accès à l’eau pour tous et pend en compte les changements climatiques dans la gestion des ressources hydriques. Elle propose des actions de lutte contre la pollution diffuse de l’eau en particulier dans des zones sensibles comme par exemple les zones humides (ce qui est le cas de Notre Dame des Landes). Dans ce contexte qu’en 2012 une nouvelle enquête publique a été commandée dans le cadre de cette loi, pour savoir si le projet de l’aéroport et de sa desserte routière allait ou non contrevenir aux obligations de protection de cette loi. L’avis de la commission a de nouveau été favorable mais s’interroge sur les mesures compensatoires environnementales qui seront mises en œuvre par le maître d’ouvrage AGO Vinci. Ce dernier en effet s’est engagé de façon temporaire (c’est-à-dire sur une période limitée et non pas sur les 55 ans de sa concession) à « restaurer et/ou recréer de tels milieux à proximité du site d’accueil du futur aéroport, en combinant la transformation de parcelles en prairies naturelles, la création de mares et la plantation de haies. La restauration ou reconstitution d’une telle mosaïque de milieux permettra dès lors de retrouver des fonctions écologiques équivalentes (zones humides et habitats favorables aux espèces protégées) attachées à ces milieux. »[3]
Tous les opposants au projet et à Vinci mettent en cause non seulement la volonté de l’entreprise de faire pour le mieux et surtout la validité scientifique de ces compensations écologiques qui seraient une illusion bien casuistique pour pouvoir bétonner en paix. C’est dans ce contexte tendu qu’au début de 2014, dans une lettre ouverte adressée au ministre de l’Ecologie, la Société herpétologique de France, qui regroupe les scientifiques spécialistes de ces animaux, détaille la richesse du site de Notre Dame des Landes en amphibiens et reptiles. La Société montre les insuffisances des études d’impact et la vacuité de la méthode « de compensation » : « Le projet d’aéroport se situe dans un paysage de bocage qui comporte une vaste zone humide, dont la richesse spécifique et les abondances en Amphibiens ont été reconnues et soulignées, de tels secteurs étant devenus aujourd’hui rares au niveau régional voire même national. Le secteur en question accueille dix espèces d’Amphibiens et un hybride, et dix espèces de Reptiles, c’est-à-dire pratiquement toutes les espèces susceptibles d’être présentes dans ce type de milieu dans cette région ! »[4]
C’est alors que les opposants au projet lancent des recours juridiques contre les décisions du préfet de Loire-Atlantique pour engager les travaux à partir du printemps 2014. Tous les pouvoirs publics, qu’ils soient nationaux ou locaux étaient d’accord pour attendre que la justice passe et qu’aucune expropriation ou travaux ne seraient lancés avant le jugement du tribunal administratif de Nantes. Le 17 Juillet 2015, ce tribunal rejette tous les recours dont les requêtes contre la DUP, et celles contre l’Etat et le concessionnaire AGO Vinci visant la loi sur l’eau.
On voit ici que la question environnementale a été quelque peu instrumentalisée et ce, par les deux camps. Le symbole du « triton crêté » contre les avions et le béton peu paraître exagéré, il n’empêche qu’il signe là un élément important de l’époque, où les questions d’aménagements territorial ne peuvent plus être envisagées qu’en terme de développement urbain, économique, de mobilités. Les aménités naturelles d’un territoire, les interrogations citoyennes quant à la faune et à la flore deviennent tout aussi essentielles dans les discussions et le conflit lui-même. C’est bien, comme le disait Jean-Marc Ayrault, deux visions du monde qui s’affrontent et dans lesquelles les élus locaux sont eux aussi divisés. La question qui se pose à présent est de savoir si ces visions sont une affaire uniquement politique ou bien si elles concernent plus largement une philosophie plus générale autour du monde nouveau qui émerge depuis quelques années ? C’est en fonction de cela que l’on pourra interroger la place des élus et des collectivités, qui ne trouvent plus forcément leurs places car leurs rôles ont radicalement changé, non seulement dans les faits politiques et administratifs mais aussi et surtout dans les représentations des citoyens.
[1] http://www.developpement-durable.gouv.fr/Une-convention-d-engagements.html
[2] http://aeroportnddl.fr/articles.php?lng=fr&pg=745
[3]http://www.nantes.futuraeroport.fr/actualites-aeroport-grand-ouest/Actualites/Une-demarche-de-compensation-innovante-au-service-du-territoire-et-de-son-environnement
[4] http://www.reporterre.net/La-richesse-de-Notre-Dame-des