2 Ou bien un espace pour un autre projet de développement ?
Des élus comme des citoyens ne partagent pas cette nouvelle vision de la ruralité comme espace de loisirs, comme paysage à protéger. Ils considèrent cet espace comme un potentiel pour le développement économique de la région. C’est le cas, entre autre, de l’association Des Ailes pour l’Ouest, présidée par Alain Mustière, ancien président de la CCI de Nantes Saint Nazaire et qui déroule sur son site une liste exhaustive des hommes politiques nationaux, présidents de la Républiques, ministres, députés, qui soutiennent le projet. C’est le cas également du Syndicat Mixte Aéroportuaire (SAM) qui rassemble la plupart des représentants des collectivités territoriales parties prenantes du projet sur plusieurs échelles. Le SAM est présidé par Jacques Auxiette, président de la Région Pays de la Loire.
Ainsi, pour Des Ailes pour l’Ouest, c’est l’Etat qui est le porteur du projet, les collectivités ne faisant que l’accompagner[1]. De même, plus qu’un projet en tant que tel, cette association défend le transfert de l’aéroport actuel de Nantes Atlantique pour des raisons à la fois de nuisances sonores et de protection de l’environnement autour du lac de Grandlieu, protégé par une zone Natura 2000 et considéré, lui aussi, comme une zone humide à conserver. C’est d’ailleurs, pour cette association, le premier objectif : la croissance inéluctable et exponentielle du trafic de l’aéroport de Nantes Atlantique rendrait le transfert impératif. L’enclavement dans l’agglomération nantaise et dans la zone naturelle protégée, rendrait impossible toute extension ou modification de l’aéroport actuel. Il existe peut-être aussi l’idée sous-jacente que le site naturel de Grandlieu serait plus remarquable que celui de Notre Dame des Landes[2]. Dans toute la documentation de l’association disponible sur le net, il est frappant de constater que c’est le mot « transfert » qui revient le plus souvent, comme si l’essentiel n’était pas tant la construction d’un aéroport à Notre Dame des Landes que la fin de celui de Nantes Atlantique. On peut se demander pourquoi ? Il est également intéressant de constater l’opposition continuelle entre les deux sites et surtout la comparaison entre leurs nuisances présentes pour l’un, supposées pour l’autre. L’argument majeur dans ce cas est que l’aéroport de Notre Dame des Landes générerait moins de nuisance car les alentours sont moins peuplées qu’autour de celui de Nantes Atlantique. Peut-on en déduire qu’il s’agit là d’une vision d’un milieu urbain qui voudrait pouvoir se débarrasser d’une nuisance qui non seulement immobilise du foncier constructible mais également impact la qualité de vie de quartiers de la ville de Nantes, comme l’Ile de Nantes, qui font partie des zones prioritaires de la régénération urbaine future de la ville ?
L’autre argumentaire de ceux qui sont favorables au projet tourne autour de l’idée majeure du développement économique de la région. Sur le site de l’association on peut lire :
« Avec 3000 emplois et 5,4 millions d’heures de travail, ce travail représente un enjeu majeur pour toute l’économie du Grand Ouest.
La réalisation du transfert va permettre d’investir 561 millions d’€ dans l’économie régionale pour la construction.
Cet investissement représente 5,4 millions d’heures de travail et 3 500 emplois au total avec l’activité générée.
2 500 à 3 000 emplois sont prévus en phase d’exploitation soit 500 à 1 000 de plus qu’à Nantes Atlantique et seront liés à l’activité aéroportuaire à l’ouverture. »[3]
Le site du futur aéroport est considéré dans une stratégie économique globale au niveau régional voire même international : il deviendrait un atout majeur pour le développement de la filière aéronautique, porteuse d’emplois et d’innovation, dont Airbus, déjà présent à Nantes et à Saint Nazaire, serait le fer de lance.
C’est également cette vision d’un territoire à l’échelle régionale voire internationale que propose le SAM puisque sur son site internet, le premier objectif défendu pour le projet de l’aéroport est celui de « l’intérêt général » avec pour argument essentiel le développement non pas tant du site lui-même que du « Grand Ouest » dans son ensemble et avec les majuscules :
« Le transfert de l’aéroport de Nantes constitue un projet essentiel pour soutenir le développement des territoires du Grand Ouest. Il anticipe les grandes mutations de notre société et le rééquilibrage entre les territoires en positionnant l’Ouest comme un territoire en pointe, connecté aux dynamiques européennes. »[4]
L’intérêt général est donc ici l’intérêt du territoire de l’Ouest, sans toutefois que cet espace ne soit clairement définit ! Comme pour l’association des Ailes pour l’Ouest, l’objet principal est le transfert et non pas réellement le développement particulier du site de Notre Dame des Landes.
Pour certains élus et représentants des grandes entreprises locales, le site de l’aéroport ne peut être envisagé uniquement du point de vue local. Il doit s’intégrer dans une stratégie bien plus large du développement économique de la région, qui n’est pas définie selon le cadre administratif des Pays de la Loire mais plutôt comme le territoire du « Grand Ouest ». C’est bien la place de ce territoire, pourtant non défini, qui est mis en question, à l’échelle européenne et mondiale. L’Ouest souffrirait de son isolement au « finistère » de l’Europe et ce projet permettrait de créer les conditions de son désenclavement. Les interrogations autour des nuisances, des questions environnementales ne sont pas éludées, mais elles sont sacrifiées sur l’autel du développement économique régional. Il n’est pas question ici de ne plus subir de nuisances sonores, mais de trouver le moindre mal et mieux vaudrait que les avions décollent depuis Notre Dame des Landes, espace peu peuplé, peu urbanisé, que de Nantes Atlantique trop enclavé dans l’agglomération nantaise. On pourrait parler de cynisme ici, ou bien de réalisme politique, quand on considère que le projet est essentiel pour la région. On pourrait aussi se demander si le projet de l’aéroport de Notre Dame des Landes ne serait pas un projet porté par des urbains, en particulier élus nationaux et locaux, dans une France qui se pense et se veut majoritairement urbaine, au détriment d’espaces ruraux envisagées comme une ressource foncière bien plus qu’agricole ? En effet, si l’aéroport se construisait, ne signifierait-il l’avancée même de l’agglomération nantaise bien au-delà de ses limites actuelles ? Il est certain que l’urbanisation progresserait dans le futur vers cette zone au nord-ouest, tout autant qu’elle pourrait réapparaître dans celle enfin libérée par le transfert de Nantes Atlantique. Aussi, le projet global porté pour la région ne serait pas que celui d’un développement économique mais bien aussi un développement urbain. N’oublions pas que le site de Notre Dame des Landes se situe dans l’axe à la fois routier, ferroviaire et urbanistique de l’agglomération de Nantes Saint Nazaire au nord de la Loire. L’urbanisation et l’industrialisation est déjà très dense sur cet espace avec la centrale EDF de Cordemais, la raffinerie de Donges, le port de Montoir, et les chantiers navals de Saint Nazaire. Porter le projet de l’aéroport c’est aussi semble-t-il porter l’idée de l’accentuation de cette densification urbaine pour tout le nord du département de la Loire Atlantique.
[1] http://www.desailespourlouest.fr/le-projet/
[2] En tout cas, c’est ce qu’affirme le candidat PS aux élections régionales, Christophe Clergeau quand il écrit sur son site : « L’aéroport actuel est enclavé entre un site naturel autrement plus remarquable que le bocage du nord de Nantes, le Lac de Grand-lieu, et une agglomération en forte croissance qui a besoin de se densifier pour limiter un étalement urbain dont les conséquences écologiques seront bien plus graves. », http://clergeau.com/notre-dame-des-landes-je-choisis-la-clarte/
[3] http://www.desailespourlouest.fr/un-projet-pour-lemploi/
[4] http://www.sma-grandouest.eu/un-equipement-d-interet-general.html