Notre Dame des Landes : qui se mobilise, pour quoi et comment ?

Nous allons ici séparer la mobilisation des collectivités territoriales en tant qu’entité collective et celle des élus en tant qu’individus porteurs de leurs propres revendications et vision du monde et de l’aménagement de leur territoire.

Dans l’ensemble, les collectivités territoriales en tant qu’entités collectives publiques sont favorables au projet et leur mobilisation a surtout consisté à promouvoir le projet par différents moyens. Elles tiennent là le rôle que les lois de décentralisation successive leur ont attribué, en particulier dans le portage tant politique qu’administratif des projets d’aménagement. Associées aux partenaires économiques locaux, comme la CCI de Nantes Atlantique, trois grandes collectivités, la Région, le Département et la Communauté urbaine de Nantes Métropole, agissent fortement pour que le transfert puisse se faire. Pour ces trois entités, l’urgence concerne à la fois les questions d’urbanisme en sens large autour de Nantes et le développement économique de toute la région. Pourtant, on trouve difficilement des traces de leur mobilisation sur internet. Sur les sites de la région et du département, nous n’avons pas trouvé de traces du projet de l’aéroport alors qu’il pourrait entrer dans les exemples de politiques publiques économiques, autour des territoires ou de préservation de l’environnement.

La situation de la communauté de commune d’Erdre et Gesvres est beaucoup plus complexe. Le site internet de la CCEG donne accès à bon nombre de textes et de documentation autour du projet et met également en ligne les différents communiqués de presse, lettres et décisions que l’assemblée des élus a pu émettre. Ainsi, en juillet 2012, le bulletin des actualités de la CCEG était consacré au projet d’aéroport et reprenait, outre un historique général, un historique de la ZAD et deux parties principales pour rappeler les réponses locales au projet et la mobilisation citoyenne. La CCEG est la collectivité qui est la plus à même non seulement de porter les interrogations et les doutes des citoyens du territoire mais aussi de transmettre les attentes politiques, économiques et d’intérêt général qui peuvent venir des différentes instances de l’Etat, par exemple durant les débats publics. La position de la CCEG n’est pas facile, car vraiment prise entre « le marteau et l’enclume ». La posture de la CCEG est bien décrite sur le site internet en ces termes :

« Le rôle de la Communauté de Commune Erdre et Gesvre est d’être un interlocuteur privilégié pour défendre l’intérêt de la population et définir l’aménagement du territoire :

Les élus doivent assumer ce pourquoi la majorité des électeurs les a désignés, à savoir les représenter, les défendre, assurer le suivi des études concernant le territoire d’Erdre & Gesvres au sein des instances de conduite du projet aussi important que la Directive Territoriale d’Aménagement (DTA), le Schéma de Cohérence Territorial métropolitain (SCOT) conduit par le Pole Métropolitain, le Schéma de secteur d’Erdre & Gesvres, les Plans Locaux d’Urbanisme, mais aussi les grands projets d’infrastructures comme l’aéroport du grand ouest à Notre Dame des Landes ou le franchissement de La Loire.

Participer aux groupes de travail mis en place par l’Etat ou du Syndicat Mixte Aéroportuaire pour conduire le projet d’aéroport du grand ouest, ou participer à d’autres groupes de travail concernant d’autres projets, ne veut pas dire cautionner tout ce qui s’y dit ou s’y fait, mais permet d’obtenir l’information là où elle se trouve et d’influencer sur les études à conduire ou sur les prises de décisions qui ne sont pas du ressort de la CCEG.

Il est du devoir des élus du territoire d’être présents au sein de ces groupes de travail ou institutions pour y exercer le mandat démocratique qu’ils ont reçu et veiller à la défense des intérêts de l’ensemble de la population qu’ils représentent.

Une telle participation permet de transmettre l’information en fonction de l’avancement des études, en ayant comme objectif de minimiser l’impact environnemental et la préservation maximale des biens et des personnes tout en prenant en compte les perspectives économiques liées à un tel équipement. »[1]

On sent bien dans ce texte que la collectivité se doit, parce qu’elle représente les citoyens, de participer aux débats, aux informations. C’est son rôle de mettre en place le SCOT auquel est a adhéré. Ce qui est intéressant ici c’est que l’on sent parfaitement la contradiction importante que vivent les représentants des communes du territoires qui par leur statut d’élus doivent appliquer les décisions prises entre autre par la région, mais qui ne sont pas certains de l’opportunité du projet sur leur territoire. La CCEG veut pouvoir peser sur les décisions qui sont prises, en participant notamment aux consultations et en précisant à ses habitant que participer ne veut pas dire cautionner. Participer pour obtenir des informations autour d’un projet qui, semble-t-il, dépasse la collectivité. C’est là sans doute que se trouve l’absurdité de la situation : cet immense projet qui va impacter la vie de tous les habitants de ce territoire (et de territoires voisins) n’a jamais été décidé à cette échelle, et depuis que la situation s’est envenimée entre les pro et les contre et qu’elle est devenue un symbole national, elle échappe d’autant plus aux élus de la CCEG. Cette posture est d’autant plus intenable que toutes les communes riveraines du projet ont voté contre l’installation de l’aéroport sur le site de Notre Dame des Landes, et que la collectivité elle-même a voté contre ce projet.

La CCEG faisant partie du Syndicat mixte aéroportuaire a donc décidé de continuer le dialogue avec les autres instances publiques, mais aussi à faire des propositions, comme par exemple l’idée (défendue au départ par les opposants de l’ACIPA après une étude indépendante du cabinet Delft) d’un réaménagement de l’aéroport actuel en construisant une nouvelle piste perpendiculaire à l’actuelle, ce qui réduirait les nuisances pour les nantais ! En parallèle c’est la CCEG qui a porté les recours contre la DUP de 2008. C’est encore la CCEG qui s’inquiète des débordements lors de l’opération César en novembre 2012 sur son territoire, par exemple en envoyant une lettre ouverte au

– Premier Ministre, Monsieur Jean-Marc Ayrault
– Préfet de Région, Monsieur Christian Galliard de Lavernée
– Président du Syndicat Mixte Aéroportuaire, Monsieur Jacques Auxiette
– Président du Conseil Régional, Monsieur Jacques Auxiette
– Président du Conseil Général, Monsieur Philippe Grosvalet
– Président de Nantes Métropole, Monsieur Gilles Retière.

Dans cette lettre, le président de la communauté, s’inquiète de voir son territoire de venir « un champ de bataille ». Il rappelle qu’il ne cautionne en aucun cas les violences venant des militants opposants au projet et squattant la ZAD. Pour cela il précise que le seul moyen de s’opposer au projet est « est la voie politique ainsi que la voie réglementaire et juridique et que toute autre action en dehors de ce cadre est inacceptable et condamnable. »[2]

Actuellement, c’est sur ce terrain de l’ordre public que la CCEG se bat car la situation dans la ZAD et autour de la zone, et les relations avec l’extérieur se dégradent vite, au vu des prises de positions pour l’ouverture des travaux un peu inconséquentes de certains responsables politiques. Ainsi, dans un communiqué de presse du 12 octobre 2015, les élus de la CCEG demandent aux représentants de l’Etat de clarifier leurs positions sur le projet de Notre Dame des Landes. Selon eux, les violences autour de la ZAD sont dues à « l’inertie des pouvoirs publics et des représentants de l’Etat qui, par leurs silences répétés, ne font qu’exacerber les tensions et les comportements radicaux. »[3]

La position des autres communautés de communes autour de la CCEG, impactées également par le projet, n’est ni claire ni facile à tenir aussi. Ainsi, au début des années 2000, la communauté de commune de la région de Blain (qui fait partie du SAM) a vu le démantèlement de son district avec le départ de trois communes (Fay de Bretagne, Notre-Dame des Landes et Héric) qui ont demandé à être rattachées à la CCEG en raison du projet de l’aéroport qui toutes allait les concerner. Ce démantèlement avait été refusé par les représentants des autres communes du district mais c’est la préfecture de Loire Atlantique qui en a décidé autrement. Depuis, la CCRB demande elle aussi de participer aux réunions de pilotage du projet et de la SAM, mais bien que l’aéroport aura évidemment des répercussions négatives comme positives sur le territoire de ces communes, elle est peu écoutée dans ces instances paritaires.

On voit donc bien que les petites collectivités ont du mal à maintenir leur position et que leur mobilisation ne peut être que réduite. Leur opposition au nom des habitants et de leur volonté de préserver leur cadre de vie et de ne pas augmenter la pression urbaine sur un territoire plutôt rural, n’est pas entendu par des instances publiques qui, bien que locales elles aussi mais à une échelle supérieure, considèrent que l’intérêt général de tout le territoire (sans en préciser les limites) et le développement économique régional sont prioritaires. C’est pourquoi, comme il est dit à plusieurs reprises sur le site de la CCEG, ces élus n’ont jamais voulu pratiquer la politique de la « chaise vide », considérant qu’il fallait qu’ils puissent être présents dans les instances où, même si leurs voix ne seraient pas entendues, ils pourraient participer et surtout recueillir des informations qui pourraient être ensuite transmisses aux citoyens.

Cette mobilisation a été relayée, à partir de 2009, par l’association des élus contre le projet, le CéDpa, qui comprend un grand nombre des élus de la CCEG. Plus libre de ses mouvements, de ses prises de positions et de ses actions, l’association s’est rapprochée très vite de l’ACIPA, l’association des citoyens contre le projet. Le collectif d’élus participe ainsi à toutes les manifestations festives qui se déroulent, en particulier durant les mois de juillet, sur le site de la ZAD. Ses moyens d’actions sont divers. Outre des communiqués de presse, il a écrit de nombreuses lettres ouvertes en particulier à Ségolène Royal, ministre de l’Ecologie, dont les différentes prises de paroles dans les médias semblent être plutôt favorable à un moratoire voire à l’abandon du projet, et au président de la république François Hollande. Le collectif participe également à toutes les études indépendantes commandées surtout par l’ACIPA autour par exemple des fondements économique du transfert de l’aéroport de Nantes Atlantique ou sur celle autour du Plan d’exposition au bruit. Il participe aussi à toutes les études publiques qui ont eu lieu ces dernières années autour des questions écologiques, que cela soit pour la Loi sur l’eau ou pour la protection des espèces animales endémiques de la zone humide. Il est également en lien avec une association de pilotes de ligne qui est opposée au projet. En toute transparence le collectif met à disposition de tous sur son site le listing mis à jour de tous les adhérents, tous élus locaux et nationaux. Les représentantes du collectif, Françoise Verchère la présidente et Thérèse Leparoux, sont présentes à toutes les manifestations qui engagent les opposants au projet, notamment les marches avec les tracteurs. Encore une fois, comme pour la CCEG, le site du collectif offre en totale transparence l’accès à tous les documents, lettres, études, communiqués de presse qui ont été écrit par les élus. L’information du public est donc bien aussi une des motivations du CéDpa.

Cette remarque nous permet de faire une transition pour parler de la mobilisation des collectivités et des élus qui se positionnent contre le projet. Ainsi, le site de l’association des Ailes pour l’Ouest est beaucoup moins fourni en documentations concernant les actions de ses membres. D’ailleurs, on ne trouve nulle part une liste de ces membres, c’est pourquoi il est difficile de dire s’il s’agit d’une association d’élus. En effet elle se veut une « association citoyenne » mais son président est un ex-président de la CCI de Nantes et ex-président du Conseil économique et social des Pays de la Loire. On trouve sur le site une liste des soutiens de l’association, qui sont la plupart des élus nationaux, des anciens présidents de la république, des députés et des sénateurs. Nous ne pouvons savoir en l’état de notre travail s’ils sont adhérents ou non. De même, il n’a pas été possible de trouver les statuts de l’association, ni sur le site, ni au Journal Officiel[4]. En fait, à moins d’être adhérent, on ne peut pas savoir quelles sont les actions concrètes de l’association. Elle a mis en place sur son site public un sondage pour savoir quel nom donner au futur aéroport ! Mais pour le reste, quels sont les moyens d’actions, quels sont les initiatives qu’elle a prises pour faire avancer son objectif, nous ne le savons pas. Serait-ce un moyen pour les grands entrepreneurs de la région de faire du lobbying auprès des pouvoirs publics ?

En tout cas, il semble que la mobilisation vers le grand public, la participation aux manifestations, soit surtout le fait des opposants au projet. Il est normal en effet que les élus et les collectivités favorables au projet n’aient qu’à suivre le déroulement de l’affaire, en particulier les décisions juridiques après les recours formulés sur différents points. Il est en outre logique que ces collectivités qui défendent l’ordre public, la loi et la souveraineté de l’Etat soient également les garants de cet ordre républicain et de la justice quand il s’agit d’actions menées dans ce cadre, même si ce sont des actions contre le projet lui-même. Bien plus que des chambres d’enregistrement des volontés d’un Etat décentralisateur mais volontariste, les collectivités comme la région et le département soutiennent vraiment ce projet qui est pour elles un des pivots du développement futur du territoire. Le problème de la ZAD et des « zadistes » qui squattent illégalement des terres expropriées depuis longtemps ou qui font partie de l’espace inconstructible, n’est pas de leur ressort mais bien de celui de l’Etat souverain et garant sur tout le territoire national du maintien de l’ordre. Si une évacuation devait avoir lieu, elle ne pourrait être que conduite par les forces de gendarmes ou par l’armée. Dans cette situation, ces collectivités comme le concessionnaire privé ne peuvent être que dans une position attentiste qui peut, elle aussi, engendrer des frustrations quand on considère le projet comme essentiel dans la course mondiale à la compétitivité des territoires.

Un autre point important de la mobilisation des élus et des collectivités est celui des recours juridiques. Ainsi, en 2013, les associations de citoyens comme l’ACIPA mais aussi le CéDpa déposent des recours administratifs contre 4 arrêtés ministériels en lien avec la loi sur l’eau et la destruction d’espèces protégées. Ces recours sont le fait de citoyens, mais le collectif d’élus est présent dans ce combat juridique. Les opposants rappellent que le projet est un non-sens juridique car il contrevient à des engagements pris par l’Etat lui-même, notamment par les lois du Grenelle de l’environnement ou au SNIT (le Schéma national des infrastructures et des transports) qui recommande des alternatives à la route et à l’aérien. En fait, il apparaît qu’un des axes forts des opposants soit de mettre l’Etat devant ses contradictions, quand il continue de soutenir un projet daté qui entre aujourd’hui en opposition frontale avec des engagements récents concernant le climat, le développement durable. Il n’empêche, les recours devant le tribunal administratif de Nantes ont été rejetés en juillet 2015.

Enfin, les élus du collectif CéDpa dénoncent aussi les mensonges de l’Etat. C’est le cas, par exemple en 2014, quand le collectif à la suite du Canard Enchaîné, conteste les études de la DGAC concernant le réaménagement de Nantes Atlantique. Selon un Avant projet simplifié (APS) disponible sur le site, il s’avère que le projet de construction à Notre Dame des Landes déposé par AGO correspondrait à un aéroport plus petit que celui de Nantes Atlantique, que l’on considère comme saturé. Au-delà de cet exemple, cela montre que les élus contre le projet font œuvre d’enquête et de propositions pour ne pas laisser l’Etat et les collectivités territoriales favorables seuls à la manœuvre. Ils s’informent, se font conseillés par des experts, commandent des études et produisent eux-mêmes des documents qui posent ainsi leur vision du projet. Cette activité est le signe d’une demande importante de connaissances qui permet finalement au dialogue et à la démocratie locale de vivre autrement que par des élections.

Pour résumer ce paragraphe nous pourrions dire que les élus et les collectivités qui s’opposent au projet sont des élus locaux, de « petits » élus qui sont aussi des habitants du territoire impacté par le projet. Leur compétence sur le projet est minime, mais ne voulant pas être mis à l’écart des discussions même s’ils ne peuvent au final pas vraiment prendre part aux décisions, ils ont décidé de se mobiliser et d’agir. Cette mobilisation prend deux formes principales :

  • une participation active à toutes les réunions d’information et aux organes partenaires du projet (comme le SMA) pour aller cherche l’information, se faire les relais des interrogations des habitants.
  • Une mobilisation sur le terrain et sur internet avec des sites complets, fouillés, où l’information pour l’internaute est facile d’accès, transparente. Sur le terrain, cela veut dire la participation aux manifestations de tout ordre, qu’elles soient festives ou politiques.

De l’autre côté, les élus et les collectivités qui sont favorables au projet et qui l’on toujours été ne communiquent pas vraiment sur leur position et ne se mobilisent pas non plus, restant en position attentiste par rapport aux décisions de l’Etat. La question actuelle du maintient de l’ordre républicain sur le terrain de la ZAD devenant complexe, ils laissent la gestion de ce dossier épineux aux services de l’Etat.

[1] http://www.cceg.fr/jsp/site/Portal.jsp?page_id=261

[2] http://www.cceg.fr/jsp/site/Portal.jsp?document_id=3213&portlet_id=2369

[3] http://www.cceg.fr/jsp/site/Portal.jsp?document_id=4172&portlet_id=1266

[4] Il existe bien au JO la déclaration de l’association citoyenne pour la réalisation d’un aéroport international sur le site de Notre Dame des Landes (ACIPRAN) 3 mai 2003, dont l’objet est « favoriser la réalisation, sur le site de Notre-Dame-des-Landes, d’un aéroport international successeur de Nantes-Atlantique et alternative à Paris pour les habitants du Grand-Ouest ; veiller à une parfaite intégration de l’aéroport et de ses infrastructures d’accès dans le site, dans le respect des activités existantes, des populations et des principes d’un développement harmonieux et équilibré du territoire. »

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