Transhumanisme et cinéma

Le transhumanisme est un courant théorique et pratique qui considère que la condition humaine, faite de souffrance, de handicap, de vieillesse, de maladie et de mort, cette condition tragique et mortelle, peut être dépassée et amendée grâce à la technique et à la science. Pour le transhumanisme ce qui est le principe même de l’humaine condition, ce qui fonde l’humanité depuis les origines, sa fragilité essentielle, est inutile et indésirable. Et la puissance technologique humaine, née justement de cette nature humaine, peut et donc doit permettre de l’anéantir.
Le transhumanisme se considère comme un humanisme. Pour ma part, je doute fortement de ceci : l’humanité est mortelle et la vie humaine dans ce monde-ci est douloureuse. C’est la réalité, c’est la seule. Penser que la puissance de l’Homme pourra contrer cette réalité ce n’est pas forcément un péché d’orgueil, ce n’est pas être Prométhée. C’est surtout, à mon avis, une erreur fatale, car les humains ne pourront jamais aller à l’encontre de la réalité. Nous allons peut-être transformer un temps l’humanité. Mais à terme, cela sonnera le glas de notre espèce. Et pour ma part, je n’en suis pas mécontente.

Le transhumanisme est une question centrale dans notre société actuelle, et de ce fait, il est le thème favori de beaucoup de productions culturelles, en particulier cinématographiques. Il a son corollaire dans les questions d’intelligence artificielle, cette IA étant à la fois le chiffon rouge et le fantasme de nos contemporains. Si on peut arriver à créer une IA qui puisse égaler voire surpasser l’intelligence humaine, il faut donc penser en même temps et travailler sur la question de l’amélioration de l’Homme, tant d’un point de vue intellectuel que physique, pour lui permettre de concurrencer l’IA et de ne pas en être l’esclave. Ce que l’on oublie de dire ou de penser, c’est que toutes ces recherches et ces questions nous appartiennent, et que cette « course à l’armement » que nous vivons pourrait très bien ne pas exister, puisque nous sommes les seuls Deus ex machina de ce monde !

Il est donc normal que ces interrogations transparaissent dans notre culture. La science-fiction littéraire et cinématographique n’est plus un sous-genre et devient au contraire un média nécessaire pour pointer largement dans la société les peurs et les angoisses liées à ces dangers technologiques.
Blade Runner a été la première œuvre, à la fois écrite et visuelle, à poser ces questions et surtout à rencontrer, tout d’abord dans un public limité puis plus largement, un écho réel. Les films se succèdent depuis 40 ans : Robocop, Terminator, Bienvenue à Gattaca, Matrix, I Robot et plus récemment la série Westworld et le film tiré d’un manga des années 80, Ghost in the Shell.
Tous ces films ont un seul objectif : la catharsis, c’est-à-dire nous montrer ce qui peut nous arriver, nous faire vivre par anticipation la peur et l’angoisse que ce serait de vivre dans un monde où les humains seraient augmentés et côtoieraient des androïdes avec une conscience.

J’ai visionné durant ces vacances Ghost in the Shell, dont j’avais beaucoup entendu parlé. J’ai été subjuguée par la beauté des images, par la puissance graphique qui se dégage de ce film. J’ai trouvé que le monde décrit me faisait sombrement penser à celui de Blade Runner. L’histoire est assez cynique pour me plaire : faire des opposants à la technologie des machines avec une âme, ce que dans le film on appelle le « ghost », est jouissif. J’ai surtout été fascinée par le personnage de Myra, le Major, qui est, dans la fiction humaine, je crois, le premier modèle de parfaite coïncidence entre le transhumain et l’intelligence artificielle. Un corps parfait, tant esthétiquement (c’est sûr que dans cet imaginaire, on n’est pas laid !) que physiquement, doué de force extrahumaine et réparable à l’infini. Et dans ce corps une âme, un esprit, quelque peut arraché du corps imparfait et surtout rebelle d’une victime rien moins que consentante. Nous revenons encore et toujours à la philosophie ! Cette histoire est une défense malheureuse du cartésianisme : l’âme est bien supérieure au corps, qui n’est qu’une machine, que l’esprit contrôle et dont il fait ce qu’il veut, même une arme. Alors bien sûr, l’esprit de Myra n’est pas libre, il a été programmé et même reprogrammé, comme celui des Replicant de Blade Runner. On implante des souvenirs pour que le libre arbitre puisse être dirigé vers les seuls actes qui sont susceptibles d’intéresser les fabricants. Les Replicants sont des outils, le Major est une arme. Alors, derrière la puissance, celle qui fait sans nul doute fantasmer bon nombre de spectateurs, surtout les plus jeunes et les moins éveillés, qui doivent au fond de leurs rêves s’imaginer avec ces capacités hors du commun, qui pourraient les faire sortir d’une vie réelle et quotidienne peut ragoûtante, peu de personnes, je pense, voient l’aliénation. Et c’est à mon sens la force et le danger des idées transhumanistes. On ne voit toujours pas dans ces œuvres culturelles de personnages augmentés, IA ou autre qui soient fondamentalement libres. Ils sont puissants, certes, mais pas libres. La puissance humaine pourtant c’est bien cette liberté, qui dans le cadre d’une vie limitée et souffreteuse, nous donne bien plus de pouvoir que tous les gadgets et toutes les technologies que nous pourrions inventer. Mais être libre c’est difficile, c’est rude et c’est dangereux. Mieux vaut se rêver avec des super-pouvoirs pour défoncer la tronche d’ennemis tout aussi bodybuildés. C’est plus simple, c’est plus courant, c’est plus politiquement correct. Mais ce que ces films ou ces romans oublient de nous dire, c’est que le narcissisme est une faiblesse…

« Le rêve de l’homme augmenté est celui d’un homme diminué, et content de l’être. Il se projette en cyborg pour se dispenser de devenir humain. Il veut une intelligence artificielle parce qu’il n’a pas commencé à penser. Il est fasciné par le futur parce qu’il ne sait pas s’émerveiller devant le premier venu — devant l’événement d’une naissance. » Fabrice Hadjadj

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Un commentaire sur “Transhumanisme et cinéma

  1. Tu peux me traiter de lâche (c’est le cas) mais je préfère éviter de trop penser au sujet du transhumanisme car il est certain qu’il ne sera accessible qu’aux plus puissants et aux plus riches et que cela signifiera tout simplement notre fin, en attendant qu’ils finissent par s’auto-détruire… (tu peux aussi m’appeler pessimiste, aha) On est quand même une espèce animale assez triste et absurde.

    La citation à la fin de l’article est absolument géniale, elle est choquante, mais pas dans le mauvais sens, elle sert d’électrochoc, je ne connaissais pas du tout.

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