Comme dans le christianisme ou la judaïsme, il existe plusieurs courants religieux dans l’Islam. Il s’agit du sunnisme, du shi’isme et de l’ismaélisme. Je ne veux pas faire ici une histoire, mais seulement apporter quelques réflexions de ma propre expérience.
Au Pakistan, les trois courants sont représentés, mais la grande majorité des pakistanais sont sunnites, comme la majorité des Arabes et des Maghrébins. Le shi’isme est le courant dominant en Iran, l’ancienne Perse. Tandis que la diaspora ismaélienne est plus dispersée. Ces deux dernières minorités sont présentes dans les régions montagneuses du Nord du Pakistan. Sauf Chitral, sunnite et très conservatrice, les vallées autour de Giglit, Hunza et Skardu concentrent ces populations et les problèmes qui vont avec. Car comme aux temps « bénis » de la Réforme et Contre-Réforme chrétienne au XVIe siècle, ces trois visions de l’Islam ne s’entendent pas du tout. Les « guerres de religion », car on peut bien nommer ainsi les attentats et les massacres qui ont parfois lieu, sont très actuelles, en particulier à Gilgit. La ville a été même fermée aux touristes pendant une partie de l’année 2005 et le début de 2006 en raison des tensions religieuses entre les communautés.
Ce qui se passe ? Pour un sunnite, le shi’isme et surtout l’ismaélisme ne sont pas l’Islam. J’ai même entendu des réflexions qui faisaient des représentants de ces courants des personnes moins considérées et considérables qu’un chrétien voire même qu’un juif ! Pour les tenants de la majorité, ils ne sont pas de vrais musulmans, ce que dans le Coran on nomme des hypocrites : des « Canada Dry » de l’Islam en quelque sorte, qui se trompent, comme autrefois les protestants et autres huguenots avaient mis les pieds sur une fausse voie. Je suis entrain d’étudier avec les élèves de 4e les dragonnades de Louis XIV après la révocation de l’Edit de Nantes en 1685 : à mon avis on n’est pas très éloigné de ces considérations plus politiques que spirituelles dans l’Islam d’aujourd’hui.
Ce qui est dommage (pour moi !) c’est que je m’intéresse beaucoup plus à ces deux courants « hérétiques » qu’au sunnisme, la voie de la Loi coranique, la shariat, qui m’ennuie passablement. Par contre, dans l’ismaélisme surtout, je retrouve avec plaisirs les thèmes philosophiques et métaphysiques que j’affectione particulièrement. L’ismaélisme est un courant ésotérique, c’est-à-dire réservé à des initiés, sans que cette dénomination ait quoique ce soit de discriminant, tandis que le sunnisme est parfaitement exotérique, c’est-à-dire basé principalement sur l’interprétation quotidienne d’une Loi qui ressemble fort à la Loi mosaïque du judaïsme. Je n’ai pas besoin qu’un Livre ou encore moins qu’un être humain, dont la condition est la même que la mienne, prêtre, rabbin ou mollah, pour me dire comment je dois me comporter dans la vie de tous les jours, ce que je dois faire ou ne pas faire. Par contre, mon libre-arbitre me permet avec délectation d’essayer de comprendre les mystères de ce monde-ci et de ma condition humaine, fragile, désespérée et mortelle.
Ainsi, à mon sens, il existe deux façons d’appréhender la quête spirituelle. D’un côté la philosophie-métaphysique et toutes les formes de Gnose (mot grec signifiant Connaissance) dont certains courants chrétien, juif, musulman mais également le bouddhisme et l’hindouisme font partie ; de l’autre la religion (religare, qui relie…les hommes entre eux ou les hommes avec le sacre ?). La philosophie est une science comme les mathématiques. Ces dernières proposent, à ceux qui en connaissent les arcanes, un langage pour décrypter l’univers ; la philosophie est aussi un langage, peut-être moins clair car lié aux langues humaines, le langage des concepts. Derrière chaque mot en grec, en latin, en arabe ou en hébreux, comme Logos, se déroule dans l’esprit du philosophe tout un monde d’idée, comme chaque signe pour le mathématicien. La religion, comme je l’ai vu tant au Tibet que dans les Églises de mon enfance en Lorraine ou les mosquées du Pakistan, est une suite de rituels qui encadrent la vie quotidienne du profane. Pour moi c’est totalement insuffisant ! Mais je comprend et respecte le fait que pour une majorité, c’est la base de leur vie. Ce que je voudrais (mais là, je fait des rêves doux) c’est que cette majorité de croyants acceptent ma vision (qui n’est pas seulement la mienne mais de beaucoup d’autres…… et par bonheur j’en connaît certains 🙂 ) qui est de ne pas être toujours courbée vers le sol mais plutôt les yeux sur un livre ! Et il est exactement là le fossé qui sépare les sunnites des shi’ites et des ismaéliens.