Comme le Christ (!) le Bouddha aimait bien s’exprimer par des paraboles, c’est-à-dire des métaphores qui, sous l’aspect de petits contes de la vie quotidienne, expliquaient des grands principes de la voie à suivre. En fait, ce ne sont ni le Christ ni Bouddha qui ont prononcé ces paraboles, mais leurs disciples qui les ont écrites… beaucoup plus tard, quelques dizaines d’années pour Jésus, parfois plusieurs siècles après pour Gautama. Surtout, ces paraboles étaient destinés aux « tebé« , au peuple donc qui n’avait pas (forcément) le temps ni les capacités de comprendre les subtilités philosophiques d’un long traité… tout le monde ne sait pas lire le Talmud 😉
Il y a une parabole bouddhiste que j’aime particulièrement ; elle fait partie des plus anciennes, celle de ce qu’on appelle le Canon pâli, les enseignements les plus anciens, que certains voudraient originels, mis par écris dans l’île de Ceylan vers l’ère chrétienne. C’est la parabole de la flèche empoisonnée. Un disciple du Bouddha, un chieur en fait, celui qui joue le rôle de poil à gratter, Mâlunkyaputta, vient voir celui qu’on appelle le Bienheureux. Il lui demande pourquoi, dans son enseignement, il n’y a pas de réponses, d’explications claires à propos de 10 problèmes graves qui lui trottent dans la tête. Ces questions sont fondamentales pour lui et il ne comprend pas pourquoi le Bouddha, qui est l’Éveillé, n’explique pas si l’Univers est ou n’est pas éternel, si l’âme existe ou n’existe pas, qu’est-ce qui se passe après la mort, si un Éveillé comme Bouddha existera ou n’existera pas après la mort ! Bref, tout un tas de questions qui restent sans réponses, inexpliquées… ça le perturbe le pauvre Mâlunkyaputta, et on le comprend : qui sur cette terre, être vivant passé ou présent (et même futur) ne s’est pas posé au moins une seule fois un petit bout de ces question ? C’est le fond de commerce de toutes les religions monothéistes et de l’hindouisme aussi en passant… c’est en donnant une réponse claire et précise à ces interrogations que chacune de ces religions sauve la tranquillité des croyants.
Le disciple fait son capricieux devant Gautama en exigeant qu’il réponde à sa demande sans quoi, dit-il « Je ne mènerai pas la vie sainte sous la direction du Bienheureux tant qu’il ne m’aura pas expliqué ces questions. » J’arrive presque à voir le disciple tout rouge, entrain de taper du pied par terre… et Bouddha qui rigole ! Jésus, Mahomet ou Moïse ont donné des réponses : en gros, c’est Dieu la réponse universelle.
Mais que répond le Bouddha ? C’est là exactement pourquoi je suis bouddhiste 🙂 Je cite le texte : « C’est tout comme un homme blessé par une flèche empoisonnée : ses amis et parents lui amènent un chirurgien et l’homme dit :
« Je ne laisserai pas retirer cette flèche avant de savoir qui ma blessé, quelle est sa caste, son nom, sa famille, sa taille, de quel village ou ville il vient, avec quelle sorte d’arc il a tiré sur moi ; quelle sorte de corde et quelle plume ont été utilisées, de quelle manière était faite la pointe de la flèche ».
Ainsi, Mâlunkyaputta, cet homme mourrait sans savoir ces choses. De même, Mâlunkyaputta, si quiconque dit :
« Je ne mènerai pas la vie sainte sous la direction du Bienheureux avant qu’il ne donne une réponse à ses questions », il mourrait avec ces questions laissées sans réponse. » Cûla-Mâlunkya-sutta
Voilà pourquoi je suis bouddhiste : je n’en ai rien à faire de savoir ce qui se passera après ma mort et si mon âme existe et où elle ira…ce qui compte pour moi c’est cette vie-là, cet instant-là, ce monde-ici et tout ce qui m’importe c’est de ne pas souffrir dans cet ici et ce maintenant. Attendre la mort pour savoir ce qu’est le bonheur dans une autre vie est d’une tristesse telle que mon pessimisme mondain me permet d’en rire. Il y a quelques semaines j’ai fait un cours en 5e sur l’Asie et sur les religions asiatiques comme le bouddhisme, l’hindouisme et j’ai été atterrée d’entendre mes jeunes élèves me vanter les mérites des monothéismes qui au moins préparaient la vie après la mort. J’ai tenté, très mollement je dois avouer, de leur faire comprendre qu’il me semblait plus important de vivre cette vie-ci d’abord et de travailler à ce quelle soit la moins douloureuse possible, avant de penser à celle du futur, mais j’ai vu des cerveaux déjà contaminés.
Nous avons tous une flèche empoisonnée dans le corps et pour certains dans le cœur aussi. Elle brouille notre vue, notre conscience, notre esprit. Il faut travailler à la retirer, et le bouddhisme n’est pas la seule voie à proposer un médicament, le Bouddha n’est pas le seul chirurgien.