Samedi soir je suis allée voir Un Bal Masqué de Verdi à l’Opéra Bastille. Je passe ici les détails techniques de cette représentation : Ramn Vargas en ténor malade mais qui a droit à son triomphe, le baryton français Ludovic Tézier excellent et des voix féminines plus médiocres en particulier Angela Brown poussive au premier acte mais plus convaincante par la suite.
Il a fallut que je rentre chez moi et que je cherche dans les archives de ce blog pour savoir que j’avais déjà vu cet opéra !! En fait, avant et tout au long du spectacle je me suis demandée, sans succès pour trouver la réponse, si je l’avais déjà vu. Certains détails de l’histoire, comme la scène où Amélia va chercher sous le gibet la plante de l’oubli, qui lui fera oublier son amour impossible pour Riccardo, me disaient quelque chose. Mais durant tout l’opéra, les airs, les décors, la mise en scène, les costumes, tout, absolument tout me paraissait nouveau, inédit, frais. Pourtant j’ai déjà vu cet opéra et dans la même mise en scène et j’en ai même fait un contre-rendu critique ici ! Mais je n’en ai aucun souvenir… ma mémoire est blanche, c’est l’oubli, comme celui que cherche Amélia !
J’ai vu ce spectacle en juin 2007, à un moment difficile de ma vie, en particulier de ma vie conjugale : mon ex mari était venu passé quelques jours en France, il était reparti et ma situation avec lui n’était pas très réjouissante. J’ai des souvenirs très précis de certains instants douloureux autour de cette date, et le thème de l’opéra de Verdi, très sombre, lugubre, pessimiste, où l’amour ne sort pas vainqueur du duel entre Riccardo et Renato aurait pourtant pu me marquer. Parfois, en effet, certains opéras signent une période de ma vie, souvent de ma vie sentimentale : j’ai en mémoire des relations précises entre quelques opéras et des rencontres amoureuses. D’ailleurs samedi, l’histoire tragique de ce triangle amoureux n’a pas été sans écho avec mes préoccupations du moment 😉
Mais ce qui me fascine aujourd’hui lundi à 1h30 du matin, c’est cette capacité qu’a eu ma conscience d’effacer abruptement tout un souvenir, trop confuse et trop prise par un tourbillon noir de soucis et de lamentations. De juin 2007, outre mes difficultés avec mon mari, je me souviens d’une terrible crise de sciatique. Vous me rétorquerez peut-être qu’il est facile d’oublier une histoire, des personnages d’un spectacle deux ans plus tard ! Oui, sauf que lorsque je revois un opéra que j’ai déjà vu, même très longtemps en arrière, je me souviens toujours de ces détails, au moins de la structure du livret et, quand la mise en scène est identique, les décors me font « tilt » dès que le rideau se lève. Mais là, rien, nada : j’ai même trouvé le dernier tableau, celui du bal masqué, très très réussit et me suis extasiée sur les costumes d’harlequins noir et blanc des danseurs ! Cela m’a beaucoup plus alors que je les avais déjà vu et que j’avais critiqué sans retenue le spectacle il y a 2 ans.
Nous avons donc bien ce don, car cela peut être une bénédiction, d’oublier tout ou partie de ce qui nous fait ou nous a fait souffrir. Le cerveau se protège, bien que l’inconscient enregistre tout ce qui lui arrive, en bloquant parfois les informations quand ces dernières sont trop nombreuses ou quand la confusion et la souffrance mentale sont trop fortes. Seulement, parfois, les souvenirs remontent à la surface, volontairement ou non. Ici, j’ai dû avoir le nez sur ma propre page de ce blog pour affirmer que j’ai bien vécu cela. Mais même avec les mots écrits sur cet écran, les souvenirs sont tout aussi vides : il n’y a comme trace que ce qui a été écrit ce jour-là. Je ne pourrais plus avoir accès à ces souvenirs, sauf en les reconstruisant, artificiellement, à partir de mes archives virtuelles.
Pour aller encore plus loin dans l’analyse, en me servant de cet exemple personnel, je peut dire que j’ai oublié le Bal masqué de juin 2007 justement parce que l’intrigue (un triangle amoureux, un adultère non consommé, etc, etc) résonnait en moi de façon négative car j’étais la victime, la mauvaise roue de la charrette. Comme Renato je me suis vengée plus tard 🙂 Je l’ai oublié car il fallait que j’oublie un amour agonisant, comme Amélia l’héroïne qui cherche l’amour et l’oubli en même temps. Aujourd’hui, en mai 2009, le Bal masqué a retenu toute mon attention car la même intrigue résonne pour moi d’un tout autre point de vue ! J’ai trouvé que le livret était particulièrement sombre, bien plus sombre que celui de Rigoletto qui est pourtant mon opéra de Verdi préféré. La musique également est très lourde, dramatique, tragique. Je me suis rendue compte que finalement Verdi avait composé des œuvres plutôt pessimistes et noires, quand Mozart ou surtout Rossini nous avaient laissés des musiques et des opéras légers sans être pourtant frivoles. Voilà en tout cas pour moi un opéra qui m’aura plus que marqué et qui va, cette fois-ci, définitivement rester gravé dans ma mémoire.