Je n’étais pas dans les rues aujourd’hui. Je n’aime pas marcher au pas, je n’aime pas les mots d’ordre.
Je n’aime pas marcher derrière des politiques qui continuent, malgré tout, à jouer à la politique. Est-ce que les rassemblements d’aujourd’hui vont arrêter la casse sociale, les inégalités toujours plus grandes, la pauvreté qui galope, l’adoration quasi générale du Dieu Argent ?
Il y a devant nous deux écueils. Le premier a bien été dit : l’amalgame. Il ne faut pas à présent que la violence engendre la violence, et que le mot « vengeance » nous vienne à la bouche. Ce n’est pas facile, c’est sans doute un grand défi. Il faudra pour cela que les français de confession musulmane, mais aussi ceux de confession juive, chrétienne, bouddhistes, etc, fassent un gros effort pour comprendre cette exigence de sécularisation. Nietzsche nous a prédit la mort de Dieu, mais en fait, nous l’attendons toujours. Le retour du religieux est bien plutôt une survivance nécessaire à l’esprit humain. Car il est évident que les Hommes ne sont pas que matérialistes. Puisqu’ils adorent l’argent, la puissance, le pouvoir. La société que l’on construit depuis 100 ans est une société de confort, de richesse mais qui ennuie profondément ceux qui y vivent. Les êtres humains ne peuvent pas être que des êtres immanents : ils faut qu’ils croient. Et ce qui s’est déroulé aujourd’hui en est la preuve : les millions de gens qui ont marché croient, disent-ils, en des valeurs qui, selon le président Hollande, « sont plus grandes que nous. » Je ne suis pas d’accord avec ceci, je pense que croire en des valeurs qui nous dépassent c’est de nouveau figer le monde et poser des frontières. La liberté ne doit pas rester un mot, un poème ou un chant partisan. Elle doit être mise en pratique, pas seulement le 11 janvier 2015, pas seulement par un journal satirique, mais par tous ces braves gens qui sont descendus dans la rue. C’est tous les jours qu’il faut défendre les valeurs de notre vivre ensemble, ce n’est pas seulement quand des assassins les martyrisent. On a envie, ce soir, d’éradiquer de la tête de ces croyants les milliers d’année de soumission et de bêtise. Mais ce processus est long, peut-être aussi long qu’à été notre entrée dans la religiosité. Il faudra donc bien que tout le monde comprenne que nous avons besoin de sécularisation. Pourquoi encore défendre les religions alors que l’on pourrait construire ensemble une sagesse et une spiritualité nouvelle et commune, paisible et qui respecte les autres ?
Le second écueil est à mon sens tout aussi rude : il va falloir ne pas tomber, la larme à l’œil et le cœur en liesse, dans le piège grossier que nous tendent les politiques et tous les autres ce soir. Parce que s’il s’agit de défendre la liberté ou la fraternité pour que notre société continue comme avant, ce serait la situation la plus cynique de l’histoire. Les hommes politiques qui étaient cet après mid à Paris, qui venaient du monde entier, sont les mêmes qui poussent la Grèce à l’asphyxie, qui se vendent des armes, qui s’entretuent, qui se font une guerre commerciale où les morts ne sont pas de héros mais des pauvres qui deviennent des chômeurs, qui font tout pour que leurs citoyens ne réfléchissent pas mais consomment et votent quand on leur demande, qui détruisent les cultures humaines et la Terre qui nous nourrit. Bref ceux qui pleurent la liberté aujourd’hui en tête du cortège (mais bien séparé tout de même du bon peuple), sont ceux qui ont créé les monstres qui ont brisé notre rêve. En fait, je vois surtout dans la situation actuelle, un cercle vicieux qu’aucune vertu ne me semble capable de contrer. Les assassins de Charlie Hebdo et de l’Hyper Casher sont des êtres humains devenus des monstres, minutieusement humiliés et écrasés par la froide pensée de notre si beau monde post-moderne puis façonnés par une idéologie religieuse issue de la froide désespérance d’un monde hyper capitaliste et individualiste.
En fait, nous savons tous ce qu’il faut faire. Le bon sens et certains esprits intelligents et sages nous le disent depuis quelques années. Il faut aller vers moins d’économique, vers plus de rencontres, d’humanité, vers moins de production et de croissance mais retrouver la juste valeur des choses. Il faut surtout aller vers plus de culture, plus d’éducation, plus de création, de théâtre, de musique, de dessins, de danse, d’art et de livres. Car la barbarie se trouve surtout dans ces milliards de pages que l’on ne lit pas parce qu’il est bien plus facile de se faire dicter ce que l’on doit penser par la télévision, les journalistes et les politiques. La grandiloquence de ce jour est bien trop dégoulinante pour ne pas sentir quelque peu le rance. La sobriété de notre pensée, de nos actes, de nous-mêmes vis-à-vis des autres, des animaux, de la nature, nous apporterait un peu de réconfort. Il faudrait laisser tomber les grands discours, les superlatifs que j’ai entendu ce soir : « ah, ce fut une journée historique… et j’y étais » ! Mais votre vie est donc si vide qu’il vous faille sentir une seule émotion intense pour vous sentir exister ? Il faudrait à présent que tout le monde parle, se parle, que l’on s’explique enfin, face à face, que l’on se dise ce que l’on a à se dire, comme dans une famille où des secrets ont été trop longtemps cachés. Et tant pis si les conséquences vont bouleverser nos petites habitudes.