Possédées de Frédéric Gros

Je connais Frédéric Gros philosophe et auteur de « Marcher, une philosophie » paru en 2009 où il défend l’idée antique que la pensée est souvent bien plus déliée et puissante quand on sort de sa chambre, de sa maison ou de sa salle de classe et que l’on pérégrine à travers le monde, la ville, la campagne. C’est une technique, la philosophie péripatéticienne, que je mets souvent en œuvre. C’est donc sur cette connaissance que j’ai découvert que pour cette rentrée 2016, Frédéric Gros apparaissait dans la catégorie des romanciers ! J’ai été encore plus étonnée quand j’ai vu son nom dans la liste de certaines nominations pour des prix littéraires. Enfin, le thème du livre, l’affaire des possédées de Loudun, est une histoire de notre Histoire que je connais comme tout le monde, dont je sais qu’elle a fait l’objet de nombreuses études, et cela m’intéressait de savoir ce qu’un philosophe-romancier pouvait en faire.

indexL’histoire est donc celle d’Urbain Grandier, prêtre de Loudun dans les années 1630. Le contexte historique et géographique est essentiel. Loudun est une petite ville de province entre l’Ouest le Centre de la France, à l’extrémité du « pays des huguenots », c’est-à-dire des régions plutôt occidentales du Royaume où, après l’Edit de Nantes de 1585, les protestants français vivent avec plus ou moins de tolérance. Ce sont aussi les années de l’apogée de Cardinal de Richelieu, premier ministre de Louis XIII, qui vient en 1627 de conquérir la Rochelle protestante après un siège éprouvant d’une année. Grandier est un Casanova avant l’heure, un séducteur, un beau parleur et un peu un libertin. Le libertinage au XVIIe siècle ce n’est pas celui du XVIIIe siècle ; c’est avant tout un libertinage de la pensée, qui ose tout doucement à remettre en cause les fondements de l’Eglise, de la Religion et donc aussi de l’Etat monarchique. Grandier porte ces paroles libres et agit librement, en particulier en séduisant les jolies jeunes filles ou les veuves éplorées de sa paroisse. Dans une autre partie de la ville il y a le couvent des Ursulines, commandé par l’étrange Mère supérieure Jeanne des Anges. En 1632, elle et plusieurs autres religieuses (elles seront jusqu’à 17) sont possédées par des diables et elles accusent Grandier d’être le sorcier qui leur envoie ces maléfices. Des exorcismes sont pratiqués, pendant plusieurs années (!) et à la fin en public (!). Grandier doit subir deux procès, dont le second, pour sorcellerie, le mène au bûcher en août 1634. Le lecteur qui voudrait en apprendre plus que le sujet peut visionner l’émission L’ombre d’un doute de 2011 sur le sujet.

En ce qui concerne le livre de Frédéric Gros, ma première remarque porte sur le style et le genre du livre. Il est présenté comme un roman, mais franchement je n’ai pas du tout eu l’impression de lire un roman. J’ai eu la sensation de lire un essai sous forme un peu fictionnelle. Des dialogues apportent la dimension de fiction, mais une large part du livre est tout de même plus proche du documentaire, de l’essai, même s’il reste largement narratif. La forme chronologique est très pregnante, les faits historiques sont présentés sans fioritures, les personnages ne sont pas vraiment travaillés mais juste décrit à partir ce ce que l’on sait par ailleurs d’eux et d’elles dans les études historiques. Ce livre est donc entre-deux, et pour ma part cela m’a gêbé dans la lecture car je n’ai jamais su ce que je lisais.

L’autre élément qui m’a posé problème est, connaissant un peu l’affaire, que certaines parties ont été modifiées ou effacées. Cela peut-être un parti prit dans un roman basé sur un fait réel, mais comme je disais que justement je ne pensais pas lire un roman, je n’ai pas compris pourquoi ces modifications. La principale entorse à l’Histoire tourne autour du personnage de la maîtresse, de l’amour de Grandier, Madeleine de Brou, qui est appelé Maddalena dans le livre, qui tombe enceinte alors que ce fait n’est pas connu. Mais surtout, on sait que Grandier organisa pour sa bien-aimée un mariage, où il joua le rôle du mari, du prêtre et du témoin, car elle ne voulait pas se donner à lui hors de ces liens sacrés ! Cette scène aurait eu toute sa place dans le livre mais elle n’apparaît pas… on ne sait pas trop pourquoi.
L’autre « manque » si on peut dire est le fait que les possessions des Ursulines ne s’arrêtent pas à la mort de Grandier et que la Mère Jeanne des Anges, la plus possédée de toutes, devient dans le Royaume une sorte de sainte, presqu’une star, qui va même jusqu’au chevet de la Reine de France pour son accouchement. C’est vrai que décrire cette fin aurait rendu le livre plus épais… mais le titre est bien « Possédées », le thème est donc davantage les Ursulines et Jeanne qu’Urbain Grandier. D’ailleurs, on sent, et là aussi je trouve un peu trop, l’amitié que l’auteur porte à son personnage… et au contraire l’antipathie qu’il semble avoir pour Jeanne des Anges. Le procédé est un peu trop caricatural dans ce livre où, par ailleurs, les personnages n’ont pas vraiment de psychologie propre et plus développée, plus imaginée par l’auteur.

En fait, l’histoire des possédées de Loudun est bien plus complexe qu’une histoire d’hystérie collective, comme les études modernes l’ont présentée. C’est bien sûr une histoire politique, une question de pouvoir, prise dans le prisme des guerres de religions. On ressent cette complexité au début de l’ouvrage et c’est pour cette partie que l’on peut dire que le livre de Frédéric Gros est très actuel. Il pose ainsi la question du pouvoir et des hommes de l’ombre, en particulier avec la figure énigmatique du Père Joseph, l’Eminence grise de l’Eminence Rouge, le Conseiller du Cardinal. Le pouvoir qui peut être dévoyé, quand la fin l’emporte sur les moyens.
Il nous rappelle que l’intolérance religieuse, moment que nous vivons collectivement aujourd’hui, a déjà existé en France, entre les protestants et les catholiques. Que la haine religieuse et l’étroitesse d’esprit mettent bien à mal le vivre ensemble. Que le fanatisme religieux est souvent alimenté par la bêtise, la méchanceté et la jalousie humaines. Et que la frustration sexuelle, en tout temps et en tout lieux, n’apporte jamais la paix et la bienveillance, et qu’elle peut être le vrai germe des guerres et des violences des uns contre les autres.

 » Ils ont les mains pleines de lâchetés, de demi-mesures, de mensonges méprisables, de vérités banales. Vies insipides dans leur monde, des plaisirs mesquins pour aider simplement à dormir, attendre la mort, prévoir la semaine, se consoler de n’avoir rien connu vraiment, répéter les saisons monotones. Or Jeanne mourra bientôt elle toute vivante. Car elle est, elle, irrévocable. »

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