Sénèque et Bouddha ont bien raison de nous montrer la voie du détachement. Leurs conseils, vieux de plus de 2000 ans, ne perdent rien pour attendre et doivent être mis en pratique. Mais comment alors ne pas succomber aux délices de l’indifférence ? Je m’explique. Le constat philosophique universel que le monde et la vie humaine sont des souffrances en grande partie causées par nous-mêmes, nous amène (si on a deux doigts de sagesse) à observer avec humour notre ego qui foisonne et se tortille dans tous les sens… jusque là rien de nouveau pour ceux qui ont l’habitude de lire les traités stoïciens ou les soutras bouddhistes. Quand on a bien observé, qu’on a bien rigolé, que l’on arrive presque à anticiper nos propres réactions, quand surtout on arrive à désamorcer les bombes puantes que l’on se jette quotidiennement à la figure, on atteint une certaine forme de tranquillité… l’ataraxie dont Cioran exigeait la venue. Le hic ? Le hic c’est que cette tranquillité est comme les Sirènes d’Ulysse… elle nous retient, nous attire dans sa gangue de Joie et de bienveillance.
Ne plus vouloir est un exercice difficile, mais bien plus difficile est de se détacher du non vouloir ! Quand, avec Epictète, on a bien vu qu’il ne servait à rien de vouloir les choses qui ne sont plus de notre ressort mais seulement celle qui sont dans notre sphère d’action propre, il est fort tentant de placer tous les actes du monde dans la première catégorie. A quoi bon s’acharner sur la plus grandiose blague de l’Univers, soi-même et les autres, le monde et son cours farfelu, quand ne plus vouloir est si bon… Je crois que je me suis laissée prendre au piège du non vouloir. Ce n’est certes pas la sagesse. Je suis en train de lire le journal qu’Alexandre Jollien à publié l’année dernière sous le titre du Philosophe nu : j’y retrouve un frère dans la quête du détachement. Pourtant son combat n’est pas le même que le mien, vivant dans un corps qu’il voudrait autre et entraîné par des passions, des jalousies qui le brûlent. Lui aussi croit en la Joie, celle que décrit Spinoza, le maître de tous. Lui aussi va voir du côté du bouddhisme, puisque les exercices spirituels sont les mêmes. Toute la pharmacopée est bonne à prendre. Pourtant je dois avouer que son combat me fait sourire et en même temps ce sourire prouve que notre humanité est fondée sur bien peu de chose : lui handicapé, il jalouse les beaux jeunes hommes aux corps sveltes. Pourtant il a femme et enfants… mais son cœur aspire à ces corps masculins qui séduisent les femmes. Son postulat et sa position me gênent : comment ose-t-il vouloir un autre corps puisqu’une femme lui a donné le sien, des enfants et son amour ! Je trouve cela inepte et risible… mais pour lui c’est la base de cette même quête du détachement qui m’anime ! Je suis moi-même jalouse de ce philosophe nu, voilà ce qu’une brève observation de mon ego me dit ! Je ne crois pas qu’il s’agisse de se départir de nos passions. En tout cas, en ce moment j’essaye de vivre ces passions très humaines tout en expérimentant le non vouloir. Peut-on être passionné sans désirer ?? Vivre la passion sans y adhérer ? Cela procure-t-il plus ou moins de plaisir ? La philosophie comme science expérimentale :). Toujours s’interroger sur l’acte posé, toujours observer les émotions et les réactions, placer son propre ego sous la lamelle et le microscope… fatiguant, usant sans aucun doute. S’écorcher à vif, se torturer soi-même pour éviter qu’à l’avenir ce soit les émotions, les passions, les poisons jetés aux quatre vents par le monde qui vous souillent. La maîtrise de soi… déception ou bien joie entière ? « Fuir l’amour n’est point se priver des joies de Vénus, C’est au contraire de jouir sans payer de rançon. » Lucrère, De la Nature
Musique et philosophie ? Quel beau ménage. Rolando Villazon chante Una furtiva lagrima de l’Elisir d’Amor de Donizetti
Je lis Sénèque en écoutant Mozart et en sirotant un thé parfumé… je regarde le soleil se coucher derrière les pins et le voisin brûler le tas de feuilles mortes de l’hiver… c’est juste ça le bonheur.