Au nouveau monde qui point

Quand j’avais 17 ans, que j’étais lycéenne en région parisienne à la fin des années 80, je pestais contre mon époque et je pensais être née trop tard. Trop tard dans une société d’individualistes, d’orgueilleux où le fric était roi, où l’argent était l’unique sens que l’on pouvait donner à sa vie. J’étudiais avec passion l’histoire des révolutions, et je me languissais de n’être pas née au bon moment, trop tard pour changer le système bien établi.
Aujourd’hui, j’ai plus de 40 ans, et je pense que peut-être je suis née au bon moment, au moment charnière où ce système va enfin mourir. Que je suis née à cette époque charnière qui va voir la fin d’un monde et l’émergence d’un monde inconnu.

Nous vivons à cette époque, on le voit bien tous les jours dans les journaux, à la radio, à la télévision, sur internet, dans les discussions quotidienne, où l’ancien monde s’écroule. Mais cela ne se fait pas sans difficultés, et avant cela, les extrêmes poussent plus vite que des champignons. On ressent dans notre pays le clivage toujours plus fort entre deux paradigmes politiques, entre deux visions totalement opposées du monde. L’une, qui selon moi est réactionnaire, conformiste, individualiste, identitaire et communautaire, raciste, presque fasciste parfois, tournée vers ce passé qui est en train de sombrer, qui dénonce la mondialisation pour mieux se réfugier dans un capitalisme national, qui s’arc-boute sur une organisation politique institutionnelle d’un Etat-nation à bout de souffle, qui vante encore les mérite d’une politique telle qu’on la pratiquait sous la IIIe République, qui veut défendre les « valeurs » d’une société qui serait fondée sur un monothéisme, une sexualité hétérosexuelle, un patriarcat, la figure héroïque de l’entrepreneur.

De l’autre, une vision encore un peu flou de ce que pourrait être le monde de demain. Moins d’individus mais pas autant de collectif qu’en 1917 : un individu enlacé dans des réseaux collectifs où le local prime sur le global. Un monde de la débrouille où l’énergie coûte si cher qu’il faut réapprendre les réflexes perdus de nos grands-parents, où la nourriture est si mauvaise qu’il faut réapprendre à trouver son pain et ses légumes près de chez soi. Est-ce réactionnaire ? Ou bien est-ce retrouver du bon sens, face à une réalité climatique, terrienne, naturelle qui ne pourra que balayer ceux qui ne s’y adapterons pas ? Un monde où la mixité, la tolérance ne sont pas que des mots d’un discours de campagne mais des objectifs, des actes et surtout une prise de conscience nécessaire pour notre survie propre.

Ces deux paradigmes s’affrontent aujourd’hui. Sur les terres des ZAD du Tarn et de NDDL. Sur les pavés des villes de France. Dans les médias, dans les livres. On sent bien que cela bout, que les positions commencent à se former, que les forces commencent à se compter, que les armes se fourbissent, qu’elles soient matérielles ou intellectuelles. Les jeunes, en tout cas ceux que je fréquente au quotidien, sont prêts à défendre le monde dont il ont envie. Ce sont eux notre espoir, l’espoir qu’enfin quelque chose arrive. Qu’enfin le monde bouge, qu’il défasse ce que les banquiers, les irresponsables politiques, les semis-intellectuels ont mis 50 ans à construire dans notre dos, sans nous demander notre avis. Bien sûr, ce monde était celui du confort matériel, de la paix européenne, de la consommation et des loisirs. Ce qui est difficile c’est de faire le deuil de ce monde là. Je comprends la peur, les angoisses de certains, la plupart du temps des hommes blancs, hétérosexuels, la cinquantaine, cadres supérieurs urbains. Mais nous sommes rendus au même stade que cette époque sombre du Moyen Age, à la fin du XVe siècle, quand les moines s’indignaient que l’on allait perdre leur civilisation faite d’oralité et de manuscrits pour on se sait quel nouveau monde imprimé. On a oublié les moines depuis 500 ans, comme on oubliera demain deux qui polluent nos écrans et nos librairies avec leurs galimatias de peurs et de réactions.

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