J’ai pris la folle décision, il y a longtemps déjà, de changer de métier. En tant qu’enseignante, passée par différents établissements, beaucoup de gens autour de moi se demandent ce qu’il a bien pu me passer par la tête. Ben oui : je suis fonctionnaire, j’ai un salaire qui tombe tous les mois, j’ai l’énorme privilège d’avoir des vacances, je fais paraît-il le plus beau métier du monde… bref je suis une privilégiée. Sauf que, lorsque l’on passe ses jours à ne penser qu’au week-end, quand on passe ses semaines à ne penser qu’aux vacances pour pouvoir se reposer, quand on passe ses mois à ne penser qu’à faire autre chose, à tout faire pour ne pas devenir aigrie devant des élèves qui sont toujours jeunes alors que pour nous les années apportent l’expérience mais aussi des points de vue divergents, la lassitude du « toujours pareil » … on sait qu’il ne reste qu’une chose à faire, on n’a pas le choix, il faut changer de vie.
J’ai donc eu la chance de pouvoir préparer une formation de chargée de développement économique et territorial à l’université, un Master 2 Pro qui devrait pouvoir me permettre de finaliser une reconversion. Je rêve en fait de week-end rien qu’à moi, à ne pas penser au dimanche après midi où je vais devoir finaliser mes préparations ! Le rêve… depuis que je travaille, c’est-à-dire presque 20 ans, je n’ai jamais connu une année où je puisse faire quelque chose d’autre, penser à autre chose qu’à l’école. Je rêve d’avoir des vacances rien qu’à moi, c’est-à-dire où il ne me faudrait pas plusieurs jours pour juste dormir, me reposer physiquement et psychiquement et passer le reste des autres jours à … penser et préparer des cours pour le lycée ! Je rêve de rentrer chez moi le soir et ne pas devoir passer au moins 30 minutes dans mon canapé pour me reposer, me détendre d’une journée de cours et pouvoir envisager la soirée sereinement.
Tout cela je l’ai trouvé : j’ai fais un stage de 4 mois dans une grande entreprise française… dans un service où la pression est pourtant très forte, entre le siège parisien et les velléités du terrain, et tous les soirs quand je rentrais, je me trouvais bien heureuse de ne pas sentir cette fatigue intense que j’ai si souvent connue en rentrant du lycée. J’ai pourtant passé une année, entre août 2015 et juillet 2016 avec un nombre très très limité de jours de vacances ! La formation universitaire de 7 mois, intense et intéressante, exigeante en nombre et en qualité des travaux à rendre, à laissé place à ce stage où il m’a fallut montrer une sacrée dose d’adaptabilité. Pourtant, je n’ai jamais senti ce burn-out que depuis plusieurs années je ressens à chaque fin d’année scolaire, et qui me laisse à la limite de la dépression mentale quand arrive l’été et un mois de juillet salvateur. Je sais aussi que je ne suis pas la seule à vivre tout cela, mes collègues professeurs ont tous ces même symptômes et tout cela pour un salaire de misère : je peux aussi le dire aujourd’hui, quand j’ai pu voir les fiches de paye de mes collègues de cette grande entreprise française, qui certes avaient une pression de dingue à gérer (mais les stagiaires sont là pour faire la décompression, faire le boulot qu’ils ne peuvent pas assumer… pour 550€/mois!) mais qui gagnent plusieurs milliers d’euros par mois.
Je voudrais donc bien quitter le métier d’enseignante pour toutes ces raisons, et aussi parce que j’ai un infatigable et permanent besoin de changement, de nouveauté, d’inconnu… l’ennui guette, il me fait mourir à petit feu, j’ai besoin d’aller voir ailleurs. Sauf que… sauf que, dans ce formidable pays, il est pratiquement impossible de changer de métier : nous vivons sous la dictature des étiquettes, des cases et quand on veut en changer, on n’est pas considéré comme un-e original-e qui a sans doute quelque chose à apporter, une expérience différente à partager, mais bien comme un-e hurluberlu-e qui doit sans doute être incapable de travailler ! Cette étroitesse d’esprit très « french touch » est en train de me pourrir l’existence car je suis incapable pour le moment de transformer l’essai et d’aboutir à ma reconversion. Après tous ces efforts, j’ai l’impression d’avoir encore un nouvel Everest à grimper, et sans doute le plus rude, comme les derniers mètres d’une ascension. Je navigue entre espoir (tout arrive) et désespoir (je n’y arriverai jamais), en devant au quotidien assurer devant des élèves que je n’ai plus envie de voir ! Car j’ai dû retrouver mon poste, puisque je n’ai pas les moyens financiers de prendre une année sabbatique, une disponibilité sans solde pour chercher un travail et accepter pourquoi pas des missions temporaires pour forger mon expérience professionnelle nouvelle.
On parle souvent dans les médias de ces hommes et de ces femmes qui « changent de vie » qui réussissent une reconversion pour « trouver un autre sens à leur vie »…on ne dit jamais quel parcours du combattant c’est ici en France d’oser sortir de la boîte où on s’est retrouvé enfermé.
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