Je parle parfois dans ces pages de ma quête d’un ailleurs professionnel (voir ici et ici). Je voudrais essayer de vous faire partager un peu plus activement ce qui m’arrive et ce que j’essaye de construire.
Voilà plusieurs années que j’ai commencé une démarche de reconversion professionnelle. Je suis enseignante depuis 20 ans et j’ai envie de voir autre chose et de travailler dans d’autres conditions. La fatigue du métier d’enseignant et surtout sa charge mentale, notion très à la mode surtout pour définir les ruminations des mères, sont très peu reconnues. Ce que j’aimerais par-dessus tout, c’est d’avoir des week-ends pour moi, c’est-à-dire sans avoir de cours à préparer ou de copies à corriger. Ce que j’aimerais c’est rentrer chez moi sans avoir en tête tout ce qu’il faut faire pour le lendemain, les ajustements continuels des séances, les problèmes à gérer avec les élèves qui vivent dans un monde d’immédiateté et du moindre effort qui m’épuise autant qu’il me déprime. J’ai eu la chance pourtant de pratiquer ce métier dans des conditions différentes et d’enseigner au lycée expérimental de Saint Nazaire. Mais quand vous avez atteint la fin d’un chemin, il faut savoir en prendre un autre.
Je me suis donc formée, et j’ai obtenu il y a deux ans déjà un master 2 professionnel de chargée de développement économique et territorial. J’espérais ainsi pouvoir rebondir dans un domaine plus technique et administratif, auprès de collectivités territoriales ou d’entreprises. Je me suis spécialisée dans l’économie sociale et solidaire, domaine passionnant et toujours attaché à l’humain, mais où les emplois sont rares. J’ai donc recherché durant plusieurs mois, tout en étant revenue à mes fonctions d’enseignante, un poste en rapport avec ces nouvelles fonctions. Mais je manque d’expérience, et surtout j’ai ce label de « prof » accroché à mon CV qui, même si je sais l’atténuer, résonne aux oreilles des recruteurs comme un triste chant d’incompétences congénitales liées à un métier totalement désavoué par la société dans son entier.
Cette année, j’ai décidé de prendre mon destin en main, et j’ai commencé à créer une activité indépendante, de consultante auprès des organisations. Mon idée est d’utiliser la philosophie pratique, ses méthodes de dialogue et d’argumentation, pour aider les organisations comme les collectivités, les associations ou les entreprises, à (re)trouver sur sens dans les projets collectifs qu’elles engagent. J’ai ainsi intégré une coopérative de portage salarial basé à Angers, mais qui travaille aussi en Loire Atlantique : OZ, coopérative de projets artistiques et culturels. Mais monter une activité est long et surtout cela ne permet pas d’en vivre tout de suite.
Les évènements se sont accélérés récemment. Mon travail de professeure me pèse de plus en plus, je n’y vois plus aucun intérêt ni aucun sens, d’autant que pour le rectorat « je ne suis pas assez académique » dans mes cours. En effet, ancienne professeure d’histoire géographie, j’ai enseigné durant 7 ans la philosophie au lycée expérimental. Mais je devais être validée officiellement dans cette autre discipline pour prétendre continuer mon chemin de retour dans des établissements traditionnels. Cette validation ne m’a pas été donnée. J’ai donc décidé de prendre une disponibilité… sauf qu’au 1er septembre prochain je vais me retrouver sans aucune ressource financière. Fonctionnaire, je n’ai droit à aucune aide ni indemnisation, car l’emploi à vie est (encore) considéré comme un privilège et la plupart des personnes à qui je raconte ma décision ne comprennent absolument pas pourquoi je quitte tous ces privilèges ! Mais quand un travail n’a plus de sens, que l’on soit salarié, indépendant ou fonctionnaire, il est très difficile de continuer à faire semblant.
Me voilà donc à la croisée des chemins. Dans quelques semaines je vais me retrouver sans rien… j’essaye déjà de chercher un emploi, mais avec toujours ce boulet de statut de « professeur » sur mon CV ! Le gouvernement actuel veut faire bouger les choses dans le monde très fermé et renfermé de la fonction publique en facilitant les départs volontaires comme le mien. Mais ce ne sont pour l’instant que des intentions. Et ce sont les mentalités des ressources humaines de l’éducation nationale et aussi celles des entreprises privées qu’il faudrait changer. Dans les pays anglo-saxons, mon parcours serait considéré comme un plus, une plue-value exceptionnelle, un atout pour une organisation qui chercherait à recruter. Ici en France je fais peur, car ce que je fais n’est pas « normal ». Nous vivons dans un pays où l’emploi se définit en grande partie par des diplômes, de l’expérience et des compétences qu’il faut posséder à l’exacte virgule de ce qui est décrit dans une fiche de poste. Tout le monde sait pertinemment, recruteur comme candidat, que le job final est plutôt éloigné de ce que ces fiches idéalisent. Mais si on ne matche pas toutes les cases, on n’a pratiquement aucune chance.
Alors ces jours-ci mon humeur fluctue entre motivation, enthousiasme, apaisement après la prise d’une décision importante, et déprime, angoisse et même peur de l’avenir. Je n’ai pas la chance, comme beaucoup de femmes que je rencontre, d’avoir un mari ou un compagnon qui gagne suffisamment pour me faire vivre ! Je suis un peu cynique, mais j’ai croisé beaucoup de femmes qui se lançaient dans l’aventure de la création d’entreprise parce qu’elles avaient cette assurance matérielle derrière elle. C’est plus facile. Mais ce n’est pas mon cas…
Alors je vis une situation d’immédiateté fort intéressante. Quand on ne sait pas de quoi demain sera fait, et bien on vit davantage au présent. Pour moi qui suis une grande « ruminante » 🙂 c’est-à-dire que j’ai une tendance excessive à la rumination mentale, c’est une découverte, une leçon bienvenue. Je me dis également qu’il faut avant tout garder la motivation et essayer de tout faire pour trouver une solution. Ce n’est pas forcément le « comment » qui compte, mais bien le but que l’on se donne. Pour moi, il s’agit dans les mois qui viennent de trouver un emploi où je puisse travailler dans un domaine qui soit assez stimulant pour me motiver et me permettre de continuer à apprendre.
« Dans les pays anglo-saxons, mon parcours serait considéré comme un plus, une plue-value exceptionnelle »
Vous êtes en train de virer de bord du coté libéral voire d’empanner carrément.
Effectivement, la France est encore passablement sclérosée…
Avez-vous pensé au Canada, à la Belgique, à la Suisse ?
Voici un article qui va bien avec votre future activité :
https://theconversation.com/la-philosophie-contre-lentreprise-93683
Bon courage à vous.
P.S. Et le violoncelle ?
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je ne joue plus de violoncelle… je me suis mise au violon celtique (ou fiddle) et j’apprends de façon traditionnelle, c’est-à-dire sans partition et à l’oral.
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