Le Bouddhisme peut-il s’adapter à l’Occident ?

Frédéric Lenoir est un auteur prolixe, un peu comme Christophe André ou Michel Onfray. Il est spécialiste des religions, directeur de la publication du Monde des religions et auteur de nombreux ouvrages et de même de roman. Ses ouvrages, de plus en plus populaires, sont de moins en moins fouillés et intelligents. Mais, au début de sa carrière de sociologue, il a travaillé avec beaucoup de soin et de patience sur la question du bouddhisme en France. Durant les années 90, il a en effet écrit un essai précis sur le Bouddhisme en France, puis en 1999, au tournant du siècle donc, un ouvrage sur la rencontre du bouddhisme et de l’Occident.

Cet essai est avant tout un ouvrage d’histoire, qui retrace chronologiquement la rencontre puis la diffusion du bouddhisme en Occident. Depuis l’Antiquité, le bouddhisme est connu des penseurs occidentaux, et l’influence de l’un sur la philosophie grecque ou vice-versa est toujours une énigme qui, pour ma part, me fascine. Mais durant des siècles, le bouddhisme demeure un mystère, teinté d’orientalisme, de mysticisme et de magie. La fascination du Tibet, du moins à partir du XIXe siècle, fait beaucoup dans la curiosité des Occidentaux pour les enseignements du Bouddha. Frédéric Lenoir met bien en avant le rôle de Arthur Schopenhauer, philosophe allemand et auteur du magistral Le Monde comme Volonté et comme Représentation, dans l’intérêt des élites culturelles occidentales pour le bouddhisme, tout en montrant les problèmes d’interprétations que cela génère. Schopenhauer est résolument un philosophe du pessimisme et même s’il écrit souvent dans son ouvrage majeur que ses idées sont celles du bouddhisme, cela ne veut pas dire que le bouddhisme soit pessimiste ni surtout nihiliste.
Mais c’est surtout au XXe siècle que les différents courants du bouddhisme, en particulier le zen et le bouddhisme tibétain dit lamaïste, deviennent des éléments importants en Occident. L’auteur décrit bien les différentes étapes de ces introductions, dues en grande partie à la venue en Europe et aux États-Unis de représentants japonais ou tibétains des courants bouddhistes. Il rappelle le rôle essentiel de certaines figures occidentales, comme Alexandra David-Néel ou Arnaud Desjardins, dans l’ouverture de l’Europe et ici en particulier de la France aux influences orientales. Bref, cet ouvrage est très complet et remet bien cette rencontre essentielle entre l’Orient et l’Occident.

Laissons nous du temps

Mais, car il y a toujours un mais… je trouve que Frédéric Lenoir est bien trop négatif quant à la qualité de cette rencontre. En effet, pour lui, l’Occident n’a jamais vraiment su comprendre le bouddhisme, et même l’a totalement mal interprété, surtout depuis le XIXe siècle, le ramenant sans cesse à ses propres structures de pensées, en particulier philosophiques et chrétiennes. Selon lui, l’Occident ne fait que ramener à lui, toujours à lui, le bouddhisme, sans vraiment en comprendre les détails et les spécificités. Sur le fond, en fait, il n’a pas tort : nous ne comprenons pas le bouddhisme puisque nous avons nous aussi 2500 ans de pensée ! Mais ce qu’il ne comprend pas, c’est que c’est le sort du bouddhisme depuis ses débuts ! Né en Inde dont il a été chassé par l’invasion musulmane, le bouddhisme qu’il soit chinois, tibétain, zen ou du sud-est asiatique n’est pas et ne sera jamais le bouddhisme originel. Il a toujours dû s’adapter aux cultures dans lesquelles il est s’est implanté. Et s’adapter à la Chine ou au Japon, être traduit en chinois, en japonais ou en tibétain, cultures qui avaient elles aussi leurs structures de pensées et leurs religions, n’est peut-être pas très différent de ce que vit l’Occident depuis 150 ans ! Il a d’ailleurs fallu plusieurs siècles, des efforts de traduction, des échanges constants entre sage et pratiquant pour que les différentes aires culturelles asiatiques s’approprient le bouddhisme et surtout créent ainsi un bouddhisme adapté à leur propre culture. Car le bouddhisme est hautement flexible, puisqu’il n’est pas centré sur l’idée d’un Dieu unique ni sur un clergé et une Église dogmatique. Nous sommes, en Occident, au début de ce mouvement d’adaptation et de création d’un bouddhisme occidental. Pour preuve, le mouvement récent de re-traduction des textes des enseignements du Bouddha et du canon des commentaires (les Abhidarma) pour tenter de s’extraire des schémas de pensée chrétiens. En effet, traduire « maitri » par compassion, c’est-à-dire littéralement « souffrir avec » est une mauvaise compréhension du concept. D’ailleurs, je regrette que dans le livre de Frédéric Lenoir il n’y ait pas un chapitre sur cette question de la traduction, pourtant essentielle et qui est également au centre de toutes les problématiques de la diffusion du bouddhisme en Asie même.

On ne peut pas juger affirmer que l’Occident n’y comprend rien au bouddhisme : c’est voir cette rencontre sous le prisme très étroit du court terme, c’est faire du journalisme ! Le bouddhisme à 2500 ans, notre culture occidentale est dense et complexe, les Occidentaux qui s’intéresse au bouddhisme et qui peuvent s’y convertir font partie des populations les plus lettrées du monde. Il faut du temps, de la patience, des tâtonnements par les efforts conjoints des intellectuels et des pratiquants, pour qu’un bouddhisme occidental émerge un jour et puisse devenir une vraie source de spiritualité pour notre monde en déliquescence.

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3 commentaires sur “Le Bouddhisme peut-il s’adapter à l’Occident ?

  1. Ca a l’air intéressant ! Je n’y connais rien sur le bouddhisme (on peut élargir la sphère d’ignorance aux religions en général), ça a l’air d’être une bonne introduction sur un sujet en lien avec mon monde. Par contre, ton intro n’était pas hyper positive sur l’auteur, aha : tu recommandes quand même le livre ?

    Je vois que tu le mentionnes, quel est ton avis sur Christophe André ? (ma psy me l’a conseillé)

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    1. Je trouve que Frédéric Lenoir tombe de plus en plus dans la facilité… il suffit de lire son dernier ouvrage sur Spinoza pour s’en convaincre ! Ce n’est même pas le niveau d’un cours de philo de terminale… ce livre sur le bouddhisme est bien car il est ancien dans la bibliographie de l’auteur, écrit avant qu’il ne devienne célèbre. C’est donc un vrai travail intellectuel. Par contre, il faut en savoir déjà un peu plus sur le bouddhisme pour lire ce livre qui parle de l’introduction du bouddhisme en France : c’est un peu plus pointu. Pour Christophe André je fais le même constat : plus ils sont connus des médias, moins les « intello-people » comme dit l’Express de cette semaine, écrivent des choses intelligentes et intéressantes.

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