Apprendre à apprendre

Pour la première fois depuis 20 ans que je travaille, et pour tout dire, pour la première fois tout court, je ne fais pas la rentrée des classes ! J’ai bien eu, du temps de mes études parisiennes, des rentrées décalées, en octobre, qui s’apparentaient davantage à de joyeuses retrouvailles entre étudiants. Mais en fait, et ce comme la plupart des enseignants, je n’ai jamais quitté vraiment le sol fertile, mais parfois rude, de l’école et la rentrée des classes étaient pour moi, comme Noël ou Pâques pour d’autres, un moment clé de ma vie personnelle comme professionnelle.
Cette année est donc radicale : je ne fais pas de rentrée, tout simplement parce que j’ai décidé il y a quelques mois de ne plus être professeure. Pourquoi ? Justement parce que je ne veux plus être « professeure. » J’ai aussi, je l’avoue, une certaine et franche lassitude d’un métier qui ne se renouvelle pas et qui ne laisse aucun espoir d’évolution de carrière, à part devenir chef d’établissement, ce qui n’est pas très relevé question variété, vous ne trouvez pas ? .
Qu’est-ce que j’entends par « être professeure » ?

Être professeur : une posture verticale

C’est en fait une posture, un être-en-soi pourrait-on affirmer, qu’impose de plus en plus l’institution elle-même, aux prises avec une déliquescence absolue non seulement du métier en lui-même, mais surtout de la cohérence et du recul que nécessite la fonction. Le chaos est proche, qu’il soit sociétal, climatique ou tout simplement éducatif. Et pour faire croire que la débâcle est contrée, l’école pense que les « professeurs », s’ils tiennent une posture ferme, didactique, verticale et descendante face aux élèves et aux parents, face à la société tout entière, seront ce rempart contre les flots de la modernité liquide.

Être professeur de nos jours, en France, c’est avant tout être un maître de la gestion de classe : pour résumer, c’est tenir ses classes. C’est faire en sorte que son autorité soit respectée, dans le cadre bien sûr bienveillant qui est la tarte à la crème de toute hiérarchie qui ne veut pas dire son nom. Mais cela ne s’arrête pas là, même si votre carrière peut s’arrêter là si vous ne savez pas vous faire entendre par 30 à 35 jeunes personnes prêtes à en découdre. Être professeur c’est « mener ses élèves à la réussite », ce qui, dans notre pays, se résume par : avoir une mention au bac. Cela n’empêchera pas vos élèves de ne pas avoir de places dans la formation supérieure de son choix, mais au moins, vous avez réussit et lui aussi. Bien sûr, questionner la « valeur » de cette réussite n’est pas de mise. Avoir ou pas son bac n’est pas un choix. Réussir sa vie, être heureux et autonome, choisir ce que l’on fait parce qu’on sait ce que l’on aime faire, ce n’est pas là un succès pour l’école.

Or, dans ce cadre de la « réussite », le professeur est donc déterminant. Non pas parce qu’il serait celui ou celle qui accompagnerait les élèves vers cette connaissance du monde et de soi dans le monde qui permettrait, in fine, une vraie émancipation de l’individu, tout en le laissant faire réellement partie de la société. Le professeur n’est pas celui qui montre, qui propose, qui dévoile, il est celui qui dit, qui affirme, qui détient le savoir.

A l’école française, la posture du « professeur » est le reliquat d’un mode hiérarchique, vertical, descendant, top-down diraient les entrepreneurs, d’agir, qui fait vraiment partie du vieux monde, à l’heure où toutes les expérimentations locales ou non, dans tous les domaines (politiques, énergétiques, écologiques, associatifs, sociaux…) tentent au contraire de privilégier le participatif, l’horizontalité des relations humaines, la co-construction d’un commun. Le prof devrait être comme le manager, au-dessus de la mêlée, c’est « celui qui sait » et qui sait comment tous les autres doivent faire pour réussir. C’est bien ce que l’on serine dans les couloirs feutrés des rectorats, à l’heure du « new management » appris aux susdits chefs d’établissement depuis quelques années. Sauf que le « new management » est ce qui a produit les scandales des suicides chez Orange et autres entreprises publiques. Et surtout ce n’est plus du tout, mais alors plus du tout à la mode ! Aujourd’hui, le manager est agile dans une entreprise libérée…
Alors, cessons d’être négatif. Qu’est-ce qu’un professeur pour moi ?

Apprendre à apprendre et accompagner sur le chemin du savoir

Un professeur est celui qui apprend à apprendre. Un individu, dans une société occidentale, va passer quelques années sur les bancs de l’école. Il va y apprendre des tas de choses, souvent superflues pour lui, même si on lui dit à longueur d’année que c’est ce qui fera de lui un citoyen, un être éclairé quoi ! Mais franchement, qu’est-ce que vous avez retenu des heures et des heures que vous avez passés assis sur une chaise, attablé à un bureau devant un gugusse qui faisait tout pour vous « transmettre » ce qu’il sait, parce qui lui, et bien, il sait ! Qui peut affirmer qu’il ou elle s’est totalement et absolument imprégnée, encore aujourd’hui, de ce savoir libérateur que le professeur, dans sa grande bienveillance, mais avec autorité, vous a parfaitement transmis ? Il vous en reste sans doute quelques traces, des dates, des règles de grammaire, des trucs qui servent encore au quotidien. Mais si on comparait votre cerveau à celui de votre prof de maths ou d’histoire géo de terminale ou même de 6e, la comparaison ne serait pas très très flatteuse pour vous, non ? À moins que vous ne soyez professeur…

Par contre, tout le monde va apprendre tout au long de sa vie. La société contemporaine est une société de la connaissance, où la complexité du monde qui vient devra être décryptée par le plus grand nombre. Notre adaptation et aussi notre résilience, dépendront de notre capacité à connaître les environnements changeants qui nous entourent.

Petite anecdote personnelle : quand j’étais adolescente, j’étais passionnée par l’Histoire, et en particulier par l’Histoire médiévale. Je passais mon temps à lire des livres d’histoire (eh oui, ma vie sociale était limitée) et j’étais heureuse. Pour être franche, je n’ai jamais rien appris en Histoire à l’école : je savais déjà beaucoup de choses. C’est dans le supérieur que j’ai commencé à découvrir cette discipline sous un autre angle, en particulier la façon dont était écrite l’histoire. D’ailleurs, en seconde, j’en savais autant que mon prof, et le cours était souvent un dialogue entre lui et moi… au grand dam de mes camarades qui n’appréciaient pas vraiment… de toute façon je n’ai jamais été très populaire à l’école. 🙂

Tout cela pour dire que j’ai vite compris que ce que je savais je l’avais appris par moi-même. Ce qui me restait après que j’ai eu tout oublié était ce qui m’appartenait réellement, le savoir qui était vraiment à moi, et qui n’était pas celui qu’un autre m’aurait, même avec toute la bonne volonté du monde, transmis depuis sa chaire professorale.

Je pense donc, et ce depuis longtemps, qu’un professeur est celui qui apprend à ses élèves comment ils peuvent apprendre ce qui les intéresse, ce qui leur sera utile, ce qu’ils veulent découvrir. Qui leur apprend à se frayer un chemin au milieu de la jungle de la Connaissance pour être capable tout au long de leur vie, à continuer à nourrir leurs facultés intellectuelles. Dans la salle de sport, le coach vous montre les exercices à faire, il peut corriger votre posture et vous motiver, mais il vous laisse faire vos propres expériences, trouver vos limites, savoir ce qui est le meilleur pour vous comme entraînement, comme fréquence, etc… Pourquoi est-ce qu’à l’école, le professeur devrait tout faire à votre place et surtout pourquoi vouloir copier son cerveau à lui ? Chacun est différent, et nous avons tous nos centres d’intérêt. Ce qui constitue mon savoir aujourd’hui est le fruit de toute une vie d’expériences, de choix de vie, de rencontres, de plaisirs et d’étonnements. Tout cela est unique, et même si mon savoir fait partie d’un ensemble universel, humain, où je puise avec envie ce dont j’ai besoin, le chemin pour y parvenir est le mien propre. Pourquoi vouloir imposer à tous le même chemin, normé et balisé ? Ce n’est pas parce qu’on est passionné par les animaux que l’on ne fera jamais d’histoire ! Le savoir n’est pas cloisonné, comme semble le croire l’institution française. Le savoir est souple, flexible, il est multiple et on peut l’attraper par de très nombreuses branches.

Être professeur ce n’est pas être « au-dessus » des élèves, ce n’est pas non plus être leur égal : un professeur est de toute façon plus âgé, donc plus expérimenté. Il n’a pas le même statut qu’un élève. Être professeur c’est être « à côté » parce que l’on a déjà arpenté un chemin, son propre chemin, qui n’est pas un Universel, mais qui peut être un exemple, un point de repère. Être professeur demande donc une sacrée dose d’humilité, conquise par une vraie confiance en soi. Cela demande aussi beaucoup de respect de l’être que l’on a en face de soi, de l’autre qui doit être pris au point où il est à ce moment-là de sa vie. Il ne faut pas vouloir le « hisser » à des sommets qui ne sont pas les siens, mais ceux de l’institution ni lui imposer le modèle de sa « réussite ». Chacun peut savoir ce qui est bon pour lui-même, même quand on est un enfant ou un adolescent !

C’est parce qu’« être professeur » c’est tout cela pour moi, et que ce n’est pas du tout cela pour l’institution actuelle en France que je préfère ne plus « être professeur ».

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Un commentaire sur “Apprendre à apprendre

  1. Très intéressant, cet article ! J’avoue que j’étais souvent agacé par ce rapport professeur-élève qui m’avait paru tout sauf juste, mais je te dis ça avec mes souvenirs flous d’ancienne élève.

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