Un caprice de Bonaparte – une pièce de théâtre de Stefan Zweig

Stefan Zweig est un auteur classique de plus en plus lu, ce qui est une très bonne nouvelle. Il est même de plus en plus lu par les jeunes générations, car ses romans, ses nouvelles, ses récits très courts sont toujours actuels, et racontent des destins humains et psychologiques qui sont toujours vivants. Car on ne le dira jamais assez : certes le progrès technique existe, mais en aucun cas il n’y a eu de progrès humain, dans l’évolution des humains. Nous sommes, au XXIe siècle, vivants avec les mêmes tares, les mêmes angoisses, les mêmes désirs et les mêmes joies que nos aïeux du siècle précédent, des siècles plus lointains, mais surtout que nos ancêtres les plus inconnus. L’humain reste le même, adossé à une condition qui le tiraille entre des exigences que lui seul sait si bien s’infliger. C’est pour cela, exactement, que la littérature, quand elle est vraie, c’est-à-dire bien écrite, est un art universel. Un roman, une histoire, même écrite il y a des décennies, raconte immanquablement des choses humaines que nous vivons toujours et que nous vivrons toujours. Il existe quelques auteurs qui ont su décrire cet universalisme humain, et Zweig en fait partie.

Une pièce historique

Je ne savais pas qu’il avait écrit une pièce de théâtre. Je cherchais à lire ses biographies (ce qui sera ma prochaine étape de lecture en cette fin d’été) comme celles de Nietzsche, de Freud ou de Marie-Antoinette et je suis tombée sur une pièce racontant un épisode de la vie de Napoléon Bonaparte.


Publiée en France en 1952, cette pièce en 3 actes raconte comment le général Bonaparte séduit, durant la campagne d’Égypte en 1798, une brave femme, Bellilotte, l’épouse loyale du lieutenant Fourès. Venue avec la troupe pour suivre son mari en campagne, Bellilote est appréciée par les soldats, sorte de cantinière amicale. Mais elle tape dans l’œil de Bonaparte, qui fait tout pour se débarrasser du mari, pourtant soldat aux états de service irréprochables. Ne réussissent pas à l’éloigner, le général oblige les deux époux à divorcer à la va-vite pour assouvir ses désirs, et en particulier celui d’avoir un hériter, que Joséphine ne sait lui donné. Rentré en France, en laissant ses troupes sous le commandement de Kléber en Égypte et sous la pression des Anglais, Bonaparte prend le pouvoir et devient Premier Consul, mais il se lasse vite de sa maîtresse. C’était sans compter avec le mari, qui bien que cocu, ne se laisse pas marcher sur les pieds. Rentré lui aussi à Paris, il tente d’intenter un procès à Bonaparte et de faire connaître au peuple son point de vue. Le ministre Fouché veille, et il parvient non seulement à débarrasser le Consul de sa maîtresse et de faire pression sur Fourès pour qu’il calme ses ardeurs.

La pièce est courte, mais son propos fait mouche. Fourès est celui qui dénonce, l’inconfort du peuple qui doit se soumettre aux puissants et ces élites que rien ne gêne, pour qui tout est permis et qui ne s’embarrasse par des péquins qui les suivent et les servent. À l’encontre de la Boétie, Zweig nous affirme bien que l’esclavage des peuples est dû à la dictature de ceux qui ont le pouvoir. Se dresser contre eux c’est signer son arrêt de mort !
Il y a d’ailleurs un véritable fossé entre M et Mme Fourès. Autant madame est soumise, seul personnage féminin, qui subit son sort, qui crie à son mari qu’elle n’a pas pu aller contre la volonté de Bonaparte, autant monsieur démontre que l’on peut toujours (essayer) de contrer leur volonté, même seul.

Une lecture actuelle et politique

Cette lecture est intéressante, car elle résonne toujours aujourd’hui. Les puissants de ce monde n’ont toujours pas de vertu ni de discipline et le pouvoir reste une drogue qui émascule ceux qui ne l’ont pas et qui font croire à ceux qui le possèdent qu’ils sont supérieurs.
Le point d’achoppement dans cette sulfureuse question du pouvoir est bien mis en avant par Zweig : moins qu’une soumission à ceux qui le possèdent, c’est le regard d’admiration qu’on leur porte qui fait notre malheur. L’exemple ici de Bonaparte est important : homme d’exception, être doué d’une volonté sans borne, il subjugue ceux qui le côtoie. Mais les hommes ou les femmes de pouvoir sont des humains, rien que des humains : ils mangent, ils chient, ils pleurent, ils souffrent comme tous les autres ! Ils ne sont rien d’autre que nos égaux et ils n’ont rien de plus que nous et leur pouvoir n’existe que du moment où on les regarde comme des êtres à part. Rien n’exaspère plus un homme de pouvoir quand quelqu’un se comporte avec lui comme avec n’importe qui ! Pauline Fourès dite Bellilote signe son malheur quand elle croit qu’elle ne peut que se soumettre à Bonaparte, car c’est Bonaparte… Et François Fourès se trompe quand il pense qu’il doit s’élever contre l’injustice que Bonaparte lui a faite parce que c’est Bonaparte…

L’indifférence est le remède contre le pouvoir. Indifférence au pouvoir lui-même, et indifférence à ceux et celles qui s’en réclament.


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