L’école à toutes les sauces : autorité ou pouvoir ?

Je ne participe pas à la curée du #pasdevague, tout simplement parce que je ne fais plus partie du navire : comme un bon petit rat, j’ai quitté le vaisseau amiral qui prend l’eau de partout et je suis partie, sur mes petites pattes, à l’aventure sur une nouvelle île. Je pense, lucidement, que je me suis envolée avant le grand naufrage, dont le #pasdevague est un signe avant-coureur, même si ces signes sont visibles depuis très très longtemps.

Je parle ici forte de mon expérience de 20 ans au sein de l’éducation nationale, jamais vraiment au chaud, jamais confortable dans un métier que la plupart des Français méprisent et toujours sur le qui-vive. Je n’ai pas vécu de d’évènements graves, comme ceux qui peuvent être décrits sur les réseaux sociaux, mais j’ai eu mon lot de moments tendus, de classes difficiles, d’élèves au bord de l’explosion telles des cocottes minute sous pression. J’ai enseigné 12 ans en région parisienne, là où personne ne veut aller, là où, depuis longtemps déjà, bien avant que je devienne professeur, on envoie les plus jeunes et les plus inexpérimentés pour faire leurs crocs.

Voguer sur le beau bateau #pasdevague à l’horizon

C’est ce que j’ai fait… j’ai passé les épreuves telle une enfant de Sparte qui revient chez elle avec, sous son manteau, un renard qui lui dévore la poitrine. J’ai pris sur moi, pour faire régner le calme et la discipline pour ensuite seulement pouvoir enseigner ce que je devais. J’ai été garde-chiourme, gardienne de prison, je n’ai pas tellement puni, car cela ne sert à rien, c’était ma voix, mes postures et ce principe sacro-saint (qui manque cruellement à tous les parents aujourd’hui) : je fais ce que je dis, quand je récompense ou quand je punis, quand je menace ou quand je félicite. L’équité est le premier et le dernier des dogmes qu’il faut respecter quand on instruit : car oui, je n’ai jamais été professeure, je n’ai toujours été qu’éducatrice, palliant depuis 20 ans aux manquements récurrents de la société et des parents. Fatiguée de dépenser mon énergie si vitale et si précieuse à passer des heures à « tenir mes classes » comme on dit, j’ai mis cette énergie à faire autre chose : je suis sortie d’affaire, et je ne le dois qu’à mes propres efforts. À aucun moment l’institution ne m’a aidé pour mettre en place cette reconversion que, je le sais, beaucoup de mes ex-collègues souhaitent tout aussi ardemment que moi parfois. Je suis également partie parce que, depuis le début de ma carrière en fait, je n’ai jamais compris ce que l’on voulait de moi avec cette « posture de professeure » : tenir ses classes, faire régner la discipline, et aussi être dans un rapport totalement déséquilibré, descendant, comme si ma culture avait plus de poids que l’attente et parfois la soif de savoir des jeunes gens que j’avais en face de moi. Heureusement pour moi, j’ai eu la chance d’exercer dans un établissement alternatif, où cette question tout en étant au centre du dispositif était évacuée en affirmant que les enseignants et les élèves étaient égaux, mais avec des statuts différents. Je n’ai jamais, absolument jamais, eu de problème d’ « autorité  » justement parce que le respect des uns envers les autres ne passe jamais par une puissance, une force, un pouvoir qui n’a pas lieu d’être. J’ai vécu alors une expérience riche et unique, d’une relation tout à fait naturelle, entre des jeunes gens qui veulent apprendre et qui sont au début du chemin de leur vie, et des personnes plus âgées, avec plus de savoirs, qui partageaient, guidaient, aiguillaient, mais n’étaient jamais des Encyclopédies sur pattes !

Autorité vs. pouvoir : on confond tout !

J’écoute depuis quelques jours une petite musique vocale que j’ai toujours entendue étant professeure : ce qui manque à l’école, c’est le retour de l’autorité ! Ce truc m’a invariablement fait rire aux éclats. Tout simplement parce que ces braves gens, politiques, journalistes ou parents ne savent pas ce que c’est que l’autorité. Ils la confondent avec le pouvoir, comme ils le font dans toutes les strates de la société. Nous ne devrions pas nous battre pour avoir du pouvoir, les uns avec les autres, farce moderne qui doit bien faire rire les Dieux. Nous devrions plutôt nous battre avec nous-mêmes pour construire notre autorité…
Dans notre monde inculte, on confond auctoritas et potestas. Mais à trop vouloir croire que seules les mathématiques et les sciences pourront être utiles, on oublie là d’où on vient et ce qui fait de nous des Humains.
L’auctoritas latine, c’est celle du Prince, en l’occurrence de l’Empereur, qui provient de la supériorité de ses vertus morales et de ses mérites, de ses qualités, qu’elles soient intellectuelles ou militaires. C’est la souveraineté qu’un individu possède (le mot est important) sur les autres : cela fait partie de son essence, même s’il peut la cultiver. Le pouvoir ou potestas, c’est la force, la puissance, qui dans la Rome antique était réservée uniquement aux magistrats. Le pouvoir de faire appliquer la Loi, donc de contraindre et de punir. Le pouvoir s’impose aux autres, tandis que l’on accepte l’autorité de quelqu’un sur soi parce qu’on reconnaît en lui ou elle une supériorité que l’on ne possède pas. Notre société est fagocitée par le pouvoir, on ne veut et on ne parle que de cela. L’argent est, pour nous, le privilège suprême, celui qui impose sa Loi à tous les autres moyens humains.
Et quand on discute d’autorité dans les écoles, en fait on parle de pouvoir, à tel point que l’on envisage de mettre des policiers dans les enceintes des établissements (vieille Lune de la droite). Est-ce qu’un policier à une autorité ? Pas du tout, il a du pouvoir, celui que lui donne la loi et avec laquelle il a tendance à nous faire tourner en bourrique. Les enseignants ne devraient pas exercer du pouvoir, mais bien plutôt cultiver leurs autorités auprès de leurs élèves. Pourtant, quand l’institution exige d’eux qu’ils « tiennent leurs classes », qu’ils aient une posture de professeur, qu’ils fassent des cours comme on faisait au XIXe siècle, non seulement dans la forme, mais aussi dans le fond, on leur demande d’user d’un pouvoir que beaucoup n’ont pas, n’ont plus ou ne veulent pas avoir (comme moi par exemple). Quand les recteurs, les chefs d’établissements ou les inspecteurs imposent leurs visions dépassées de l’école et infantilisent prof, élèves et parents, ils usent d’un pouvoir. Le pouvoir est le seul à être dévoyé, dans ce que l’on appelle l’autoritarisme. Car il monte à la tête, comme une piquette du Val de Loire. Moins on en a et plus on veut le montrer et l’utiliser sur les autres.

L’autorité est une essence (mais de celle qui brûle sur les barricades)

Au contraire, connaissez-vous beaucoup de figures d’autorité ? Qu’est-ce qui fait autorité aujourd’hui ? On aurait tendance à répondre : le savoir, les compétences, la tolérance, le respect des autres. Le pouvoir se désintéresse des autres, surtout ceux qui se trouvent sous son aire de régence. À l’école cela se traduit par les chefs d’établissement qui musellent et infantilisent les profs, et les profs qui méprisent les élèves. Vous ne savez pas ce qui se dit dans les salles des profs ! C’est juste énorme. Cela doit être comme dans les commissariats : ces espaces clos et réservés où personne de non autorisée n’entre jamais, sont des lieux où la parole se libère et on dit tout ce que l’on vit et tout ce que l’on pense, de l’institution, des chefs, des élèves et de leurs parents. J’ai quitté l’éducation nationale aussi parce que je n’en pouvais plus de ce que j’entendais dans la salle des profs : mortifère, méprisant, victimaire… tout cela est fatiguant et déprimant.


L’autorité c’est prendre l’autre pour ce qu’il est, dans la situation où il est et sans trop le juger. Nous ne sommes pas tous égaux, mais nous pouvons éviter de nous croire supérieurs ou inférieurs à ceux que nous fréquentons. Ce devrait être un principe dans le système éducatif. C’est ce que j’ai vécu pendant 7 ans au Lycée expérimental, ce n’est pas ce qui existe ailleurs. L’autorité d’un professeur point quand il respecte les adolescents qu’il en face de lui, parce que ce sont justement des jeunes qui sont en formation et que son rôle est d’essayer de les faire progresser sur un chemin qu’il (le prof) n’a pas à juger, à commenter ou à choisir pour l’élève. Ce travail est beaucoup plus difficile à faire avec des jeunes de banlieue, issus de l’immigration et qui vivent des situations sociales exacerbées et sont violents eux-mêmes. Et comme c’est exigeant et subtil, c’est aussi pour cela que beaucoup de professeurs, qui ne veulent pas être seulement des garde-chiourmes, n’arrivent pas forcément à s’en sortir, d’autant plus que ce respect de l’Autre n’est pas non plus très à la mode dans le reste de la société !

L’autorité c’est ce pouvoir presque magique où une ou des personnes obéissent à une ou des autres parce que les premières reconnaissent la légitimité des autres de commander. Ce ne sont pas ceux qui ont l’autorité qui avancent, sabre au clair et armures aux épaules, comme Édouard Philippe par exemple, qui nous soûlent avec ses abus de pouvoir en affirmant que ses réformes se feront envers et contre tous. Ce sont ceux qui sont commandés, ceux qui obéissent qui décident, pour un temps seulement souvent, de suivre l’autorité d’un autre, parce qu’ils considèrent que cette autorité leur est supérieure dans tel ou tel domaine. Un enfant se soumet à l’autorité de ses parents parce que, même s’il n’en a pas conscience, il est trop frêle et fragile pour survivre tout seul. Ce devrait être cela la relation d’un enseignant avec des élèves : ceux-ci acceptent, pour un temps limité de leur vie, de se soumettre aux exigences de l’enseignant, car ils reconnaissent qu’il en sait plus qu’eux et qu’il sait comment les mener à l’émancipation. De l’autre côté, celui ou celle qui possède cette autorité, doit savoir ne pas en abuser, car elle est temporaire et l’enfant ou l’élève d’hier peut très bien dépasser le maître !
Aujourd’hui, selon moi, les figures d’autorité sont très très rares. Un Pierre Rabhi en serait une forme : on comprend qu’il a raison et même si on ne le connaît pas, on suit quelque peu ses recommandations même si elles sont contraignantes. Gandhi, Martin Luther King, le DalaïLama… voilà des noms qui me viennent à l’esprit quand je pense à l’autorité. Ce sont des hommes qui ont un grand pouvoir sur nos consciences, et pas sur nos corps ou nos volontés. Nous restons libres et pourtant nous les écoutons et parfois même nous faisons ce qu’ils nous suggèrent. Ce sont également des personnes qui incarnent leurs valeurs, qui font ce qu’elles disent, qui essayent de se comporter comme elles le recommandent aux autres. L’exemplarité est d’ailleurs un des fondements de l’autorité. Rien de plus délétère que ces politiques au pouvoir rabougri qui nous demandent de faire des efforts financiers et qui se gavent par-derrière.

Les Lumières ne nous éclairent plus…

Pour finir ce billet, je rappellerai le trop fameux article de Denis Diderot dans l’Encyclopédie sur le mot Autorité, qui fut à l’époque un pamphlet violent contre le pouvoir absolu et qu’il fait bon parfois de relire à l’aune de notre siècle tourmenté. Cet article me fait penser également que c’est peut-être de cette époque que l’on a confondu l’autorité et le pouvoir, l’autorité et la force.

« Aucun homme n’a reçu de la nature le droit de commander aux autres. La liberté est un présent du Ciel, et chaque individu de la même espèce a le droit d’en jouir aussitôt qu’il jouit de la raison. Si la nature a établi quelque autorité, c’est la puissance paternelle : mais la puissance paternelle a ses bornes ; et dans l’état de nature, elle finirait aussitôt que les enfants seraient en état de se conduire. Toute autre autorité vient d’une autre origine que la nature. Qu’on examine bien et on la fera toujours remonter à l’une de ces deux sources : ou la force et la violence de celui qui s’en est emparé ; ou le consentement de ceux qui y sont soumis par un contrat fait ou supposé entre eux et celui à qui ils ont déféré l’autorité.
La puissance qui s’acquiert par la violence n’est qu’une usurpation et ne dure qu’autant que la force de celui qui commande l’emporte sur celle de ceux qui obéissent ; en sorte que, si ces derniers deviennent à leur tour les plus forts, et qu’ils secouent le joug, ils le font avec autant de droit et de justice que l’autre qui le leur avait imposer. La même loi qui a fait l’autorité la défait alors : c’est la loi du plus fort.»

Le pouvoir est ce contre quoi on peut se révolter, contre qui on peut faire injure. Si les peuples ou les élèves sont violents, c’est parce qu’ on l’on use et abuse du pouvoir sur eux. L’autorité se dissous avec l’émancipation de ceux qu’elle a conduit à bon port et elle se transmet, comme une bonne recette de vie et de « puissance à être » et non pas seulement à agir.

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6 commentaires sur “L’école à toutes les sauces : autorité ou pouvoir ?

  1. Oh, je ne connaissais pas cette distinction entre autorité et pouvoir ! C’est très intéressant ! Le mélange de ces deux termes a bien fonctionné sur moi… Ca remet pas mal de choses en perspective.

    Par contre, juste un mot par rapport à des noms de figure d’autorité que tu donnes : Pierre Rabhi n’est pas complètement une figure d’autorité pour moi. C’est bien ce qu’il fait, mais il a un esprit très conservateur sur certaines choses (clairement, le mec est pas anti-homophobe ni féministe), donc je ne suivrais jamais un homme pareil. Camus n’était pas irréprochable non plus, mais il avait la décence de ne pas faire de l’oppression de certains ses valeurs et objectifs. Pareil pour Gandhi, il est très admiré et cité en référence très souvent, mais il n’était clairement pas parfait. Reconnaître leurs qualités, oui, mais parler de leurs défauts pour ne surtout pas faire pareil, surtout, oui, mille fois oui. On peut prendre exemple sur eux… mais ne pas forcément les suivre à 100%. Voilà voilà, la fille intransigeante que je suis a fini de chipoter 😀

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    1. C’est pour leurs défauts que j’ai cité ces figures d’autorité. Dans ta remarque il y a l’idée, pour moi dangereuse, que nos modèles devraient être parfaits et que leurs manquements moraux seraient rédhibitoires. Je pense le contraire justement parce que je parle d’autorité et pas de pouvoir.

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      1. Aaaah, je vois ! Du coup, j’avais pas très bien compris ce que tu voulais dire et je crois que, dans mon esprit, les deux termes se confondent encore. En plus, on est d’accord, tu sais que j’adore Albert Camus, et le gars était loin d’être parfait.

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